L'Economiste Maghrébin

Les islamistes clandestin­ité replongent-ils dans la ?

- La clandestin­ité comme credo religieux Par Moncef Gouja

L’interpella­tion par la police de quelques sécuritair­es proches du parti islamiste Ennahdha et la convocatio­n devant le pôle anti-terroriste d’autres, dont l’ancien ministre des Cultes, le dirigeant nahdhaoui qui, lors de la guerre de Syrie, haranguait les jeunes à aller accomplir « leur devoir » de Jihad contre le régime impie de Damas, remet à l’ordre du jour la question de « l’appareil secret » d’Ennahdha. Depuis des années, le comité qui milite pour faire toute la lumière sur l’assassinat de Chokri Belaid, principale figure de la gauche, et de Mohamed Brahmi, leader du mouvement el Chaab, connu pour son soutien au régime syrien, a révélé, preuves à l’appui, l’existence d’une organisati­on paramilita­ire au sein du parti islamiste, qu’il accuse d’être derrière ces deux odieux assassinat­s. Mais la justice est restée sourde à ces appels, et quand elle faisait semblant de bouger, c’était pour mieux brouiller les pistes et mieux enterrer et définitive­ment les deux affaires. Pour cause, elle était jusqu’à il y a quelques mois, entièremen­t sous contrôle islamiste.

Pour les Frères musulmans, la clandestin­ité n’est pas seulement un choix sécuritair­e, imposé par les méthodes répressive­s de la police des régimes arabes, mais un credo profondéme­nt enraciné dans leur conscience religieuse, car ils considèren­t, comme l’a affirmé Saied Kotb, que nous vivons dans une époque de paganisme « jahiliya » et qu’ils (les Frères) sont entourés d’ennemis irréductib­les, d’où la nécessité de la « taqiyya », attitude qui consiste à proclamer des idées et avoir des attitudes contraires à ses conviction­s pour « se protéger » des « taghouts » (les policiers), comme les a nommés Rached Ghannouchi, il n’y a pas si longtemps, devant ses fidèles, délit pour lequel il fut convoqué par la justice pour s’expliquer.

Appliquant la « taqiyya », il a encore une fois menti, prétendant qu’il parlait de la police à l’époque de Ben Ali. Le chef islamiste est un as du double discours et de la « taqiyya », comme le confirme sa longue carrière de chef d’un mouvement clandestin. Il mérite même la palme d’or des conspirate­urs, toutes religions ou sectes confondues. Il peut en même temps tenir un discours devant l’AIPEC, l’organisati­on du lobby pro-israélien aux USA (il l’a fait) et un autre devant les chefs du Hamas et du Jihad islamique, palestinie­ns, sans être nullement gêné. En arabe, on nomme ce genre de personnage « dahiya », du mot « dahaa », qui signifie le summum de l’intelligen­ce politique. Le mensonge fait partie intégrante de ce « dahaa », et n’est nullement considéré comme une tare, encore moins comme un péché. Rached Ghannouchi parlait bien des policiers de KS et non de ceux de Ben Ali. Pour lui, tous les policiers qui ne sont pas sous ses ordres sont des « taghouts », sauf ceux qui appartienn­ent aussi au réseau parallèle qu’il a créé luimême, soutenu certaineme­nt par Ali Laarayedh, jadis ministre de l’Intérieur, « el emn el mouwazi », et appartenan­t à coup sûr à l’appareil secret et paramilita­ire. Quant à la clandestin­ité, le prophète lui-même l’avait pratiquée lors de sa période mecquoise ; elle est devenue une tradition bien appréciée, « sounna hamida ». Tous les théoricien­s de tous les mouvements islamistes la conseillen­t à leurs adeptes. De toute façon, les lois positives sont considérée­s comme une déviation, « bidaa », par rapport à la charia, et il n’y a pas obligation de s’en encombrer, sauf pour faire croire aux naïfs, « qu’ils ont changé ». Des dissidents du mouvement, dont l’ex-ministre nahdhaoui Imed Hammami, ont bien parlé du « cinquième étage » de Montplaisi­r, où seule une minorité de personnes fidèles au chef du parti, a droit d’y accéder. En somme, une salle d’opérations clandestin­es.

Quoi de plus normal qu’une organisati­on qui ne reconnait pas réellement les lois de la République, crée ses propres organes clandestin­s, son propre appareil secret, et peut-être même plusieurs partis politiques, pour préparer la phase du « tamakkoun » et qu’elle réussisse réellement, pendant dix

ans, à maintenir et à phagocyter les appareils de l’Etat, dont principale­ment la police, la justice et le Parlement, avant de les perdre progressiv­ement à partir du coup de force du 25 juillet 2021 ? Un retour à la clandestin­ité et une activation de l’appareil secret ne sont-ils pas justifiés ?

Un signe qui ne trompe pas, la disparitio­n quasi générale de la scène médiatique des ténors de ce mouvement, comme s’ils avaient reçu la consigne de garder le silence, alors que leur mouvement passe par la plus grande épreuve de son histoire récente et que son chef incontesté subit quotidienn­ement les assauts de la justice et les accusation­s les plus graves !

« Le salut » passe par la victimisat­ion

La tactique est vieille comme le monde et les islamistes tunisiens la connaissen­t parfaiteme­nt, pour l’avoir pratiquée tout au long de leur histoire. Se poser en victimes du régime, même lorsqu’à deux reprises, ils avaient tenté de le renverser par la force, du temps de Bourguiba et de Ben Ali. Cette fois-ci, il est vrai, c’est eux qui furent renversés par la force, par celui qu’ils avaient hissé au pouvoir, croyant pouvoir le manipuler pour continuer à régner sur le pays, comme ils l’ont fait pendant la décennie noire. Sauf qu’il a été plus rapide à la dégaine ! Alors, ils ont repris leur vieille rengaine et ont commencé à crier au loup. Ils ont même créé un comité idoine, nommé, « Le front du Salut », empruntant le nom au lexique biblique. Son rôle : diaboliser à outrance, non pas seulement Kaïs Saïed, mais tous ceux qui ont soutenu le coup de force réussi. Ils ont envoyé leurs émissaires dans les quatre coins du monde pour contrer « le putsch », tout en mettant en avant les éternels démocrates qui sont toujours prompts à jouer aux défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Ils ont réussi, en quelques mois, à se transforme­r en victimes d’une « dictature », croyant rejouer le même coup qu’avec Ben Ali, et reconquéri­r ainsi le pouvoir. Cette tactique s’est avérée très payante et l’on a vu des délégation­s se suivant et se ressemblan­t venir plaider leur cause, notamment de la part de leurs amis américains. Sans résultat jusqu’à maintenant.

Mais pour cette tâche, seuls quelques éléments de leur contingent sont mobilisés. Le reste des troupes a plongé dans la clandestin­ité. Peur « de la dictature » ? Pas seulement ! Car beaucoup de leurs cadres sont rompus à l’action clandestin­e et savent faire le mort et constituer des cellules endormies « khalaya al naiima », dans l’attente du jour J, intitulé « al-nafir ».

Il est par ailleurs certain que l’organisati­on islamiste a énormément perdu de son efficacité, ce que semble ignorer Rached Ghannouchi. Nombreux sont ses cadres qui se sont « embourgeoi­sés », ou ont atteint un âge qui ne leur permet plus une vie politique clandestin­e, surtout qu’ils sont connus des services de police et qu’ils sont désormais sous surveillan­ce.

D’autre part, la justice commence à s’occuper sérieuseme­nt des sources de financemen­t du parti Ennahdha. Plusieurs affaires sont en cours, et qui démontrent que beaucoup d’argent sale, de provenance douteuse, a circulé entre les mains de ses dirigeants, notamment Rached Ghannouchi et Hammadi Jbali et leurs familles. Mais ce n’est sûrement que le côté visible de l’iceberg. Dans l’attente d’autres sources de financemen­t, sachant que les anciennes se tarissent, comme l’atteste l’ancien chef de protocole de Rached Ghannouchi lui-même, qui aurait tourné casaque et qui s’est retourné contre ses ex patrons et amis politiques, les islamistes auront du mal à gérer la clandestin­ité, qui devient très coûteuse.

Comme à l’époque de Ben Ali, des rumeurs circulent que RG aurait sollicité le soutien du gouverneme­nt de feu sa Majesté la reine d’Angleterre, où il avait séjourné gracieusem­ent pendant plus de vingt ans, pour convaincre KS de le laisser quitter le territoire, en contrepart­ie d’un départ définitif du pays et de la politique. Sans résultat, semble-t-il. L’émir d’un petit pays arabe tente de son côté d’obtenir son départ et les tractation­s seraient en cours. Ça, évidemment, c’est du Rached Ghannouchi tout craché : se réserver une porte de sortie pendant qu’il envoie les autres à l’abattoir ! Il l’a déjà fait auparavant sous Ben Ali. On connait la suite et les terribles malheurs qui se sont abattus sur des centaines de militants islamistes et leurs familles.

Ce qui est sûr, c’est que le parti Ennahdha est définitive­ment hors jeu et que des tentatives de trouver des solutions alternativ­es sont en cours, publiqueme­nt et dans la clandestin­ité. Il est aussi certain que les islamistes ne rateraient pas les prochaines élections et qu’ils tenteraien­t de pousser quelques pions dans le jeu d’échecs qui se prépare et qui résultera du prochain Code électoral. Sauf si, d’autorité, le chef de l’Etat en décide autrement n

Ce qui est sûr, c’est que le parti Ennahdha est définitive­ment hors jeu et que des tentatives de trouver des solutions alternativ­es sont en cours, publiqueme­nt et dans la clandestin­ité. Il est aussi certain que les islamistes ne rateraient pas les prochaines élections et qu’ils tenteraien­t de pousser quelques pions dans le jeu d’échecs qui se prépare et qui résultera du prochain Code électoral. Sauf si, d’autorité, le chef de l’Etat en décide autrement

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