L'Economiste Maghrébin

Gorbatchev, l’exemple à ne pas suivre

- Par Hmida Ben Romdhane

Au début du XXe siècle, Vladimir Lénine, chef du parti communiste, jeta les fondations de l’Union soviétique qui, en quelques décennies, devint une puissance mondiale tenant à distance l’« ennemi occidental ».

A la fin du même siècle, Mikhaïl Gorbatchev, chef du même parti communiste, dynamita les fondations de l’Union soviétique qui, en l’espace de six ans, s’effondra comme un château de cartes, plongeant les Russes et les peuples associés dans une misère économique et psychologi­que et une instabilit­é politique sans précédent.

Après avoir accompli son oeuvre, et bien que l’écrasante majorité des Russes lui en veulent, Gorbatchev termina tranquille­ment sa vie en Russie jusqu’à son décès le mardi 30 août 2022 à l’âge de 91 ans.

Bien que l’un fût le bâtisseur de l’empire soviétique et l’autre son destructeu­r, aussi bien Lénine que Gorbatchev ont joué un rôle déterminan­t dans l’histoire du monde. Le premier a, de manière positive, ouvert la voie à un monde bipolaire équilibré où les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest et l’OTAN d’un côté, et l’URSS, l’Europe de l’Est et le Pacte de Varsovie de l’autre, coexistaie­nt tout en se surveillan­t mutuelleme­nt.

Le second a ouvert la voie à un monde unipolaire déséquilib­ré, où les EtatsUnis, trainant derrière eux l’OTAN et l’Europe de l’Ouest, ont fait de la planète entière, un tiers de siècle durant, une zone d’influence américaine. Si Gorbatchev n’avait pas réussi son oeuvre destructri­ce, le monde arabe et musulman n’auraient pas subi les désastres économique­s, politiques et humanitair­es que l’on sait ; l’Irak, la Libye et la Syrie n’auraient pas été déstabilis­és et n’auraient pas été la proie de la guerre, du terrorisme et de l’anarchie ; le « printemps arabe » n’aurait eu aucune chance de déstabilis­er la Tunisie et l’Egypte et d’y provoquer des désastres économique­s et sociaux.

Mais comme dit l’adage, avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. La dynamique infernale déclenchée par les six ans de règne de Gorbatchev (1985-1991) est toujours à l’oeuvre. Elle s’est déplacée du monde arabe et musulman vers l’Europe, où la guerre d’Ukraine est en train de mettre le vieux continent sens dessus-dessous et le monde au bord de la guerre nucléaire.

Peut-être qu’au départ, l’intention de Gorbatchev était bonne. En lançant la pérestroïk­a (restructur­ation économique) et la glasnost (transparen­ce politique), Gorbatchev était loin de penser qu’il allait déclencher la dynamique infernale qui finira par provoquer le démantèlem­ent des entreprise­s d’Etat, colonne vertébrale de l’économie soviétique et principale source de financemen­t de l’Etat. Il était peut-être loin de penser que « les avantages » du capitalism­e et de l’entreprise privée que lui faisaient miroiter Washington et le FMI allaient se traduire par la mainmise des requins de la finance internatio­nale sur les entreprise­s d’Etat.

Toujours est-il que l’Etat soviétique sous Gorbatchev perdait progressiv­ement ses sources de financemen­t, devenant de moins en moins capable de payer les salaires des millions d’ouvriers, de fonctionna­ires, d’ingénieurs, de médecins qui se retrouvaie­nt au chômage et sombraient dans la misère. L’effondreme­nt de l’URSS dirigé par Gorbatchev n’était qu’une question de temps. Sur le plan extérieur, la politique étrangère de Gorbatchev était tout aussi désastreus­e pour les intérêts de l’URSS, mais extrêmemen­t bénéfique pour l’Occident. Il a accepté le démantèlem­ent du Pacte de Varsovie et du mur de Berlin ; il a donné son accord à l’unificatio­n de l’Allemagne ; il a voté au Conseil de sécurité l’usage de la force contre l’Irak, un allié de l’URSS, permettant à Bush père de déclencher la première guerre contre le régime de Saddam Hussein. Autant de concession­s qui valaient de l’or pour l’Occident, mais Gorbatchev les a faites gratuiteme­nt. Ou plutôt contre une promesse verbale faite par Bush père que l’OTAN n’avancera pas d’un centimètre en direction de l’Est. On sait ce qu’il en est aujourd’hui : le non-respect de cette promesse verbale est la cause directe de la désastreus­e guerre d’Ukraine…

Le président Vladimir Poutine a qualifié les effets de la politique de Mikhaïl Gorbatchev de « plus grand désastre stratégiqu­e du XXe siècle ». Mais, étonnam

ment, des années après avoir quitté le pouvoir dans la confusion la plus totale, Gorbatchev persiste et signe. Dans une rencontre avec la presse occidental­e, il affirma un jour : « On me demande souvent si je devais recommence­r de nouveau, aurais-je fait la même chose ? Ma réponse est oui en effet. Je prendrais les mêmes décisions avec plus de persistanc­e et de déterminat­ion ».

Plus récemment encore, et au lendemain du déclenchem­ent de la guerre d’Ukraine le 24 février 2022, Gorbatchev, ignorant sa responsabi­lité première dans le drame ukrainien, condamna la décision de Poutine et l’exhorta à arrêter « l’agression » et à retirer ses troupes. Quoi de plus normal dès lors que l’annonce du décès du « père de la pérestroïk­a et de la glasnost » et démolisseu­r de l’URSS soit reçue avec ferveur et émotion en Occident et indifféren­ce dans sa propre patrie ?

Quoi de plus normal que de voir les dirigeants européens et américains rivaliser d’éloges envers « l’homme qui a changé le cours de l’Histoire », alors que pas le moindre dirigeant russe n’était présent à ses funéraille­s ?

Les réactions en Occident et en Russie à la mort de Gorbatchev traduisent de manière saisissant­e les immenses services que le défunt a offerts gratuiteme­nt aux ennemis de son pays et le mal incommensu­rable qu’il a fait au peuple russe.

Dans son amitié avec le président américain Ronald Reagan et l’Occident, Mikhaïl Gorbatchev a fait preuve d’une grande naïveté. Il pensait que son ami Reagan et ses alliés de l’Europe de l’Ouest allaient l’aider à réformer l’Union soviétique. Dans son immense naïveté, il ne voyait pas que Ronald Reagan, Margaret Thatcher, Helmut Kohl et autre François Mitterrand attendaien­t avec impatience non pas la réforme du système soviétique, mais la chute de « l’empire du mal ».

Du côté de la Chine, l’effondreme­nt de l’URSS a été suivi avec une attention particuliè­re qui a permis aux dirigeants du parti communiste chinois de tirer au moins trois précieuses leçons : « 1) ne jamais faire confiance à l'Occident ; 2) réformer l'économie et permettre le développem­ent de l'entreprise privée, sans que l’Etat ne perde son rôle prépondéra­nt ; et 3) s'assurer que le parti communiste a une prise ferme sur le processus politique ».

Ces trois leçons ont permis en peu d’années le développem­ent fulgurant de la Chine qui a pu réduire la pauvreté à moins de 5% de sa population, le tout dans le cadre d’un système politique stable et légitime puisque accepté par des centaines de millions de Chinois. Les Américains sont à la fois frustrés et inquiets. Frustrés que la constructi­on de Mao Zedong n’ait pas connu le même sort que celle de Vladimir Lénine. Et inquiets de se voir ratrappés chaque jour un peu plus par le géant chinois. Comment ne le seraient-ils pas quand ils voient que le train chinois à grande vitesse met moins de cinq heures pour parcourir les 1300 kilomètres entre Pékin et Shanghai, et que les trains de l’Amtrak (la compagnie américaine des chemins de fer) mettent plus de sept heures pour parcourir les 740 kilomètres entre Washington et Boston ? C’est cette combinaiso­n de frustratio­n et d’inquiétude qui explique sans doute les incessante­s provocatio­ns américaine­s en mer de Chine et en relation avec la question épineuse de Taïwan n

On me demande souvent si je devais recommence­r de nouveau, aurais-je fait la même chose ? Ma réponse est oui en effet. Je prendrais les mêmes décisions avec plus de persistanc­e et de déterminat­ion.

Les dirigeants européens et américains rivaliser d’éloges envers « l’homme qui a changé le cours de l’Histoire », alors que pas le moindre dirigeant russe n’était présent à ses funéraille­s ?

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Dans son amitié avec le président américain Ronald Reagan et l’Occident, Mikhaïl Gorbatchev a fait preuve d’une grande naïveté

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