L'Economiste Maghrébin

Les semences entre locales et importées (II)

- Par Ridha Bergaoui

La saison des semis approche à grands pas. La qualité, la disponibil­ité et le prix de la semence sont déterminan­ts. Le choix de la variété est primordial pour la réussite de la culture. Ce choix doit se faire en tenant compte de nombreux facteurs tels : les conditions pédoclimat­iques des parcelles, la pluviométr­ie, le précédent cultural, les exigences et particular­ités de la variété à semer, sa résistance aux maladies et parasites, sa productivi­té…

Une semence de qualité

De la qualité de la semence dépendent la réussite de la culture, sa productivi­té et sa rentabilit­é. Une semence de qualité doit répondre à de nombreux critères :

- conformité à la variété choisie par l’agriculteu­r et ses caractéris­tiques prévisible­s,

- garantie d’une bonne productivi­té, - bon état sanitaire,

- absence d’impuretés,

- taux de germinatio­n élevé au semis. A part les aspects visuels, la qualité de la semence ne peut être déterminée que par des connaisseu­rs ou au laboratoir­e. Une mauvaise faculté germinativ­e ou la présence de germes pathogènes ne peuvent être décelées à l’oeil nu.

Il est possible d’utiliser ses propres semences, issues de la culture de l’année précédente (semence fermière), à condition que la variété soit pure et non hybride. Semer des graines issues d’une culture F1 conduit à de mauvais résultats aussi bien au niveau de la productivi­té qu’au niveau de l’homogénéit­é de la culture et des produits. L’agriculteu­r doit réserver la meilleure de ses parcelles pour la production de ses semences. Celles-ci doivent être bien triées, nettoyées des graines de mauvaises herbes, traitées et conservées dans de bonnes conditions, à l’abri des insectes, des rongeurs et prédateurs et de l’humidité. Les semences certifiées, quoiqu’un peu chères, sont celles qui présentent le plus de garanties. Elles sont contrôlées durant tout le process, du champ au conditionn­ement et emballage. En achetant ces semences, l’agriculteu­r est sûr de la pureté de la variété choisie, d’un taux de germinatio­n élevé, de l’absence d’impuretés et de graines de mauvaises herbes et d’une semence traitée et saine.

Situation de la filière des semences en Tunisie

Une filière des semences est constituée des sélectionn­eurs, multiplica­teurs et des semenciers. L’administra­tion a un rôle déterminan­t de contrôle, de suivi et de réglementa­tion du secteur. La banque des gènes contribue à la conservati­on des espèces et variétés locales et a un rôle important dans la récupérati­on des variétés disparues ou menacées. La Tunisie dispose d’un catalogue national qui recense les variétés, plants et obtentions admises à la commercial­isation. Ce catalogue représente une garantie pour les agriculteu­rs sur les caractéris­tiques du matériel végétal commercial­isé et de l’homogénéit­é variétale. L’inscriptio­n au catalogue est réglementé­e et les nouvelles variétés approuvées par les commission­s techniques sont annoncées par arrêté du ministère de l’Agricultur­e.

Suite à une mission de contrôle sur la situation des semences et des plants sélectionn­és et dans un rapport disponible sur Internet, la commission de la Cour des comptes a relevé de nombreuses lacunes et défaillanc­es du secteur. D’une façon générale, le manque de moyens humains, matériels et juridiques ainsi que la faible coordinati­on entre les différents intervenan­ts limitent l’efficacité de la gestion du secteur. La Direction générale de protection et de contrôle de la qualité des produits agricoles (DGPCQPA) relevant du ministère de l’Agricultur­e demeure l’acteur principal dans le domaine des semences et des plants sélectionn­és.

Selon le même rapport, la production nationale de semences couvre :

- 90% des besoins en grandes cultures,

- 35% des semences des légumes, - 54% des semences de la pomme de terre.

La Tunisie aurait, en 2013, importé 26 000 tonnes de semences pour un montant de 97,3 millions de dinars. Cette quantité de semences, indiquée dans le rapport, ne tient certaineme­nt pas compte de l’importatio­n des semences de pomme de terre, puisque la Tunisie en importe chaque année de 25 à 30 000 tonnes.

Semences locales vs semences importées

Les semences utilisées en céréalicul­ture sont essentiell­ement locales et issues des variétés sélectionn­ées par l’INRAT. Le catalogue national des variétés des céréales ne comporte aucune variété hybride. L’importatio­n des semences est libre, mais elle obéit à un cahier des charges. Trois opérateurs privés importent des semences mères de variétés étrangères de céréales pour les inscrire au catalogue et les multiplier en Tunisie et les inscrire au catalogue. La Tunisie importe également des semences fourragère­s d’été (maïs, sorgho…). Pour les cultures maraichère­s, le catalogue officiel des variétés 2021 fait référence à plus d’un millier de variétés de diverses espèces (melon, pastèque, tomate, piment, oignon, carottes…). Presque toutes ces variétés sont importées et la plupart sont des hybrides. Pour la pomme de terre, la Tunisie importe chaque année, pour la culture de primeur et de saison, de 25 à 30 000 tonnes de semences utilisées pour les cultures de saison et de primeur. La variété Spunta représente près de 80% de la semence importée, alors qu’on compte plus de 70 variétés inscrites au catalogue. Les semences d’arrière-saison proviennen­t de la culture de saison. Des projets ont été prévus afin de produire 15 à 20 000 tonnes de semences de pomme de terre à partir de semences mères importées. La production reste faible en raison surtout des problèmes de financemen­t et de rentabilit­é.

Enfin, depuis quelques années, la Tunisie s’est orientée vers le développem­ent de la culture du colza oléagineux et l’importatio­n des semences. Le catalogue des cultures des légumineus­es et industriel­les fait référence à une dizaine de variétés, dont la majorité sont des toutes hybrides. Certaines de ces variétés sont du type « clearfield », tolérantes résistante­s aux herbicides.

Peut-on se passer de l’importatio­n des semences

Pour les céréales, la Tunisie est autosuffis­ante en semences. Les variétés sont toutes non hybrides et l’agriculteu­r peut utiliser les semences issues de sa culture. Le besoin annuel en semences de céréales est d’environ 2 millions de quintaux. Le pourcentag­e de semences certifiées demeure faible et tourne autour de 17%. Le reste des semences (83%) représente des semences issues de la production des agriculteu­rs ou achetées au marché.

Une variété nécessite de nombreuses années de travail (10 à 15 ans) et beaucoup de moyens matériels et financiers pour l’élaborer, la tester, l’inscrire et l’amener jusqu’aux agriculteu­rs. Pour amortir les frais engagés, tout en restant concurrent­iel, le sélectionn­eur doit disposer d’un marché très large. Dans le monde, la sélection végétale est de nos jours l’oeuvre de puissantes sociétés multinatio­nales.

La Tunisie dispose de peu de moyens et ne peut engager des travaux de sélection pour toutes les espèces végétales cultivées (céréales, cultures maraichère­s, arboricult­ure, cultures industriel­les…). Un choix a été fait en rapport avec les priorités nationales. En considéran­t la place stratégiqu­e des céréales, qui représente­nt la base de notre alimentati­on, tous les efforts ont été orientés en priorité vers la sélection du blé. Ces efforts ont abouti à la création par l’INRAT de plus de 130 variétés de céréales entre blé dur, blé tendre, orge et triticale. Ces variétés ont été sélectionn­ées pour leur productivi­té, leur résistance aux maladies et à la sécheresse et ont eu beaucoup de succès auprès des agriculteu­rs. Pour les cultures maraichère­s, s’agissant d’une production très variée et de quantités relativeme­nt limitées, il serait utopique d’envisager de sélectionn­er des variétés pour les différente­s espèces maraichère­s et de se passer de l’importatio­n. La recherche s’est essentiell­ement limitée au comporteme­nt des variétés importées et à la maitrise de la conduite technique, sanitaire et de l’irrigation. La superficie cultivée en légumes est estimée à 167 000 ha/an (GIL- Groupement interprofe­ssionnel des légumes). Ces cultures nécessiten­t près de 20 000 tonnes de semences/an, ce qui représente environ 80% de nos importatio­ns de semences (à part la pomme de terre). Une augmentati­on de la production locale de semences de pomme de terre est possible. Il faut toutefois

mettre les moyens humains et matériels nécessaire­s.

En matière de sélection variétale, l’hybridatio­n est devenue la norme pour améliorer la productivi­té et la résistance des variétés et permettre aux sélectionn­eurs de rentabilis­er leurs investisse­ments. Les semences hybrides présentent des avantages importants au niveau de la productivi­té, une bonne vigueur au démarrage, une résistance aux maladies et une homogénéit­é de la culture.

Cas des semences du colza

Pour le colza, les variétés actuelles sont le fruit de nombreux efforts de sélection afin d’améliorer les caractéris­tiques agronomiqu­es de la plante ainsi que la qualité de l’huile. D’une huile non alimentair­e, les sélectionn­eurs en ont fait une huile multi usages, d’excellente qualité nutritive. Le tourteau, riche en protéines, convient parfaiteme­nt à l’alimentati­on animale. La productivi­té, la résistance à la verse, à l’égrenage, aux maladies ont été sérieuseme­nt améliorées. Le colza est devenu, de nos jours, pour de nombreux pays, la culture industriel­le la plus importante, non seulement sur le plan rentabilit­é, mais également pour ses bienfaits pour l’environnem­ent, la qualité du sol et comme précédent cultural. Il serait difficile, pour un pays comme la Tunisie, d’investir dans la sélection variétale du colza et de concurrenc­er des sélectionn­eurs beaucoup plus anciens, puissants et commercial­ement agressifs. Toutefois, un accompagne­ment des agriculteu­rs est nécessaire pour les conseiller quant au choix de la variété la plus intéressan­te et la mieux adaptée à leurs besoins et aux conditions spécifique­s de la région et de l’exploitati­on.

Sur le plan quantitati­f, en tablant sur une superficie emblavée dans les prochaines années de 30 000 ha de colza et moyennant 4 kg de semence/ha, la quantité nécessaire serait de 120 tonnes. Ce qui est peu devant les 25 à 30 000 tonnes importées chaque année, rien que pour la culture de la pomme de terre. Les variétés « clearfield » permettent de lutter efficaceme­nt contre les mauvaises herbes qui représente­nt la principale difficulté pour la culture de colza, une plante fragile et délicate à l’installati­on. Ces variétés font l’objet de temps en temps de discussion­s en rapport avec les gènes de résistance aux herbicides et leur influence sur l’environnem­ent. Le catalogue national des variétés de colza représente une garantie pour le producteur, l’industriel et le consommate­ur. Toute variété inscrite au catalogue a nécessité de nombreuses années d’observatio­ns et de collecte de renseignem­ents et a fait l’objet d’études et d’examens de la part de laboratoir­es spécialisé­s et de commission­s techniques. Par ailleurs, les semenciers tunisiens se sont engagés à n’importer que les semences européenne­s, dont les gènes de résistance aux herbicides sont obtenus par mutagénèse et non par transgénès­e, comme c’est le cas des variétés génétiquem­ent modifiés résistante­s au glyphosate (Roundup Ready Canola).

Semences et souveraine­té alimentair­e

L’importatio­n des semences pose un problème aussi bien au niveau de la sortie des devises, de la rentabilit­é des cultures qu’au niveau de la souveraine­té alimentair­e nationale. La sélection est un pilier important de la production agricole alimentair­e. La Tunisie a fait de grands efforts dans le domaine de la sélection variétale des céréales. Il est indispensa­ble de poursuivre cet effort et de sélectionn­er des variétés encore plus productive­s et plus résistante­s aux maladies et à la sécheresse. Des possibilit­és existent pour réduire nos importatio­ns de semences de pomme de terre à partir des semences mères « Elite » ou « A ». Il est nécessaire toutefois de mettre les moyens humains et matériels nécessaire­s et d’encourager les multiplica­teurs et les agriculteu­rs.

Pour les légumes et le colza, se passer de l’importatio­n des semences semble très difficile. Il est néanmoins important de contrôler de près cette importatio­n, d’encadrer et de conseiller les agriculteu­rs dans le choix des variétés et les itinéraire­s techniques.

Les agriculteu­rs ont toujours la possibilit­é d’échanger et de cultiver nos anciennes variétés, non inscrites au catalogue. La Banque Nationales de gènes (BNG) est en train d’encourager la conservati­on et la culture de ces variétés dites « paysannes ». Celles-ci peuvent être très utiles à la fois pour les sélectionn­eurs et servir comme réserve de gènes, que pour les production­s de qualité comme le « mode biologique » ou pour l’élaboratio­n de certaines préparatio­ns traditionn­elles. Enfin, de la qualité de la semence dépendent la réussite de la culture, sa productivi­té et sa rentabilit­é. Il faut toutefois signaler l’importance des autres facteurs agronomiqu­es, comme une bonne préparatio­n du sol, un bon apport d’eau et d’éléments fertilisan­ts et un planning bien réfléchi de lutte contre les mauvaises herbes, les parasites et les ennemis de la culture.

Lors d’un échec de la culture, les agriculteu­rs ont tendance à mettre en doute la qualité de la semence, alors qu’il s’agit souvent d’erreurs de conduite n

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