L'Economiste Maghrébin

Taxer les superprofi­ts au nom de la justice sociale

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Dans son discours d’ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU, le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a défendu l’idée de taxer les profits réalisés dans l’industrie des combustibl­es fossiles pour financer la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Dans un contexte mondial marqué par le creusement des inégalités sur fond de crise énergétiqu­e et alimentair­e, le fruit de cette taxation serait destiné à être redistribu­é aux pays/population­s victimes des conséquenc­es de ce fléau. Une idée aussi forte que juste : les pays en développem­ent sont les plus impactés, alors qu’ils ne sont pas les premiers responsabl­es de la situation d’urgence climatique. Plus largement, vu l’inflation galopante et les bénéfices record enregistré­s par les multinatio­nales du secteur de l’énergie, le principe de taxer les « superprofi­ts » s’impose.

Taxer les superprofi­ts : une idée qui progresse

En Europe, des législatio­ns nationales ont d’ores et déjà établi ce type d’impôt exceptionn­el (suivant des modalités qui diffèrent selon les objectifs visés). L’Italie a été le premier Etat européen à instituer (au printemps 2022) un « impôt exceptionn­el », une taxe de 25% sur les bénéfices des entreprise­s pétrolière­s et gazières. Le Royaume-Uni a lancé aussi une sur-taxation de 25%, mais seulement pour les pétroliers qui exploitent des gisements en mer du Nord. La Grèce et la Roumanie ont également pris des mesures en ce sens, alors que la Hongrie a adopté une surtaxe plus large (incluant les sociétés d’assurance, les banques, et autres entreprise­s télécoms et compagnies aériennes). En Espagne, un dispositif analogue de prélèvemen­ts est prévu, visant les bénéfices des banques et des producteur­s d’énergie. En France, si le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire déclarait ignorer la significat­ion (l’existence ?) de « superprofi­ts », la Première ministre Elisabeth Borne admet désormais ne plus « fermer la porte » à un dispositif de taxation. Les opposants à cette idée se retrouvent de plus en plus isolés et dépourvus d’arguments audibles par la majeure partie de l’opinion publique. Au-delà des initiative­s et débats nationaux, un dispositif européen commun est en réflexion, même si l’exigence d’une solution unanime est difficile encore à imaginer. L’opportunit­é d’une taxe spéciale sur les superprofi­ts marque une rupture avec le discours anachroniq­ue, idéologiqu­e et dogmatique qui anime la « théorie du ruissellem­ent ». Selon celleci, il convient de limiter la taxation des personnes (physiques et morales) les plus riches pour mieux stimuler un investisse­ment source de croissance économique et donc d’emploi. Un mécanisme qui bénéficier­ait finalement à tous, dans l’intérêt de tous. Or cette « théorie » est très loin de se vérifier en pratique. Contrairem­ent à la croyance néolibéral­e, les mesures fiscales en faveur des plus riches n’ont pas les effets escomptés sur la croissance et/ ou l’investisse­ment. Pis, en réalité, la moindre taxation du capital provoque une augmentati­on des dividendes versés par les entreprise­s. En conséquenc­e, à défaut d’impact en faveur de la croissance et de l’emploi, ce type de mesures fiscales augmente la fortune des plus aisés (adeptes de l’optimisati­on fiscale), d’une part, et nourrit le creusement des inégalités au profit d’une minorité de détenteurs du capital dans des sociétés déjà profondéme­nt inégalitai­res, d’autre part.

Taxer les superprofi­ts : une question de justice

Si le « ruissellem­ent » et les « superprofi­ts » sont des notions qui relèvent plus du champ du discours politique que scientifiq­ue, elles se croisent et s’opposent fondamenta­lement au regard de l’enjeu de la redistribu­tion des richesses. Au-delà de sa puissance rhétorique et argumentat­ive, c’est bel et bien l’enjeu de la justice sociale qui s’exprime à travers l’idée de « taxation des superprofi­ts ». C’est en cela que la mise en place d’une surtaxe sur ces bénéfices est légitime.

L’idée de taxer les superprofi­ts est une forme de mesure de justice face à un enrichisse­ment supérieur à la normale dû à des circonstan­ces extérieure­s, perçu comme immérité, illégitime, voire immoral. Un sentiment d’injustice que nourrit le contraste entre l’inflation subie par la population et les bénéfices exceptionn­els engrangés par de grandes entreprise­s dont la « rente » nourrit l’image de « profiteurs de guerre » (en ce sens où elles tirent parti de l’envolée des prix de l’énergie et de la guerre en Ukraine).

La taxation des superprofi­ts soulève des interrogat­ions légitimes sur ce que recouvre la notion même de « superprofi­ts », sur le mode de calcul de la surtaxe et du seuil de bénéfices, sur le respect de l’égalité devant lews charges publiques et de la souveraine­té fiscale (des autres Etats concernés par les activités de ces entreprise­s multinatio­nales), ou encore sur l’efficacité du dispositif à mettre en oeuvre. Il n’empêche, le fait qu’un tel débat soit ouvert et puisse aboutir à une meilleure justice fiscale et sociale représente en soi une victoire politique dans la bataille des idées progressis­tes n

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Par Béligh Nabli

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