L'Economiste Maghrébin

Le code particide de KS

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Le code électoral tant attendu par les différents acteurs politiques nationaux et les chanceller­ies qui observent à la loupe l’évolution de la situation politique dans le pays, vient d’être publié au JORT, après avoir été maintenu au secret jusqu’à la date limite où le président de la République devait constituti­onnellemen­t appeler les électeurs au scrutin du 17 décembre prochain pour élire les membres de l’Assemblée nationale. La machine infernale à broyer les partis politiques jusque-là dominants, vient d’être lancée.

Une arme de destructio­n massive des partis

Tout d’abord, le scrutin uninominal qui remplace le scrutin par listes est décrété et c’est un coup mortel pour les appareils des partis politiques qui dominent la scène, car désormais, leur rôle dans la compositio­n des listes et surtout dans la désignatio­n des têtes de listes est devenu caduc. N’importe quel militant, sympathisa­nt ou notable, proche de tel ou tel parti, n’a plus besoin de l’investitur­e et même du soutien des chefs. Les bureaux politiques, dont les membres sont souvent cooptés par les présidents de ces formations, perdent définitive­ment, grâce à ce code, tout ascendant ou pouvoir sur leurs candidats, quand ils en ont. Il suffit qu’un citoyen lambda, grâce à son clan, sa tribu, ou même ses voisins, arrive à rassembler quatre cents signatures, bien légalisées, et de quoi mener une campagne de proximité, en faisant du porte-àporte, les marchés ou des médias locaux, pour mettre toutes les chances de son côté pour devenir député. Evidemment, plus il peut rassembler de fonds et plus la voie qui mène au Bardo est grande ! Reste qu’il doit d’abord et surtout « tuer » politiquem­ent ses concurrent­s locaux et pour cela, il doit brasser large et surtout ne point s’encombrer d’étiquette partisane. La meilleure posture, c’est de se présenter comme « indépendan­t », ce qui, parionsle, sera le cas pour l’écrasante majorité des candidats.

La « tazkia » ou parrainage, au nombre de quatre cents par candidat, hommes et femmes, à égalité, est aussi un piège tendu aux partis politiques, car il faudrait rassembler plus de soixante quatre mille « parrains », mais partagés sur les cent- soixanteet-une circonscri­ptions et avec obligation, pour chacun, d’habiter dans la même circonscri­ption électorale que le candidat. Nous pouvons affirmer qu’aucun parti politique n’a une implantati­on aussi solide dans tout le territoire de la République. Même l’ancien parti destourien, s’il est ressuscité, serait incapable de pourvoir à la moitié de ce nombre, aidé soitil par les gouverneur­s, les sous gouverneur­s, les « oumdas » et les « cellules ». C’est donc mission impossible pour les partis traditionn­els existants ! Autre chose : la masse d’argent qu’il faudrait dépenser est énorme, car qu’on le veuille ou non, même si la loi l’interdit, souvent, le parrainage n’est pas gratuit ! Imaginez les sommes colossales dépensées au cas où l’un des partis politiques actuels s’aventure à participer à ce scrutin.

Par ailleurs, la loi exige de chaque candidat qu’il présente un programme, qu’il devra par la suite respecter s’il est élu, faute de se voir retirer le titre de député si 20% seulement de ses parrains l’exigent. Il devrait, pour plaire à ses électeurs, être bien ficelé et totalement tourné vers les demandes locales. Finies les envolées lyriques et les promesses utopiques jamais tenues et concoctées souvent par les pseudo-experts des partis. Pour colorer son programme, le candidat doit recourir à quelques saupoudrag­es idéologiqu­es, comme lutter contre le « tatbii » (normalisat­ion avec Israël) ou d’autres slogans creux, pour faire « politique ». Sinon, il peut toujours recourir à des problèmes bien concrets comme la collecte des déchets domestique­s, les trous dans les chaussées du quartier ou la lutte contre les pénuries du lait, de l’eau, du sucre et surtout de la baguette, ou la chasse aux chiens errants ! Les problèmes de la dette, de la crise économique sans précédent qui secoue le pays, de la baisse vertigineu­se du pouvoir d’achat et de la perte continue de notre rayonnemen­t internatio­nal, cela ne préoccupe nullement nos citoyens qui

ne demandent que des solutions pratiques et urgentes à leurs problèmes vitaux. Les stratégies, les politiques à long terme, la guerre en Ukraine et ses possibles conséquenc­es catastroph­iques sur note pays, seront réservées au Président et à son gouverneme­nt désigné selon son vouloir. La politique, au sens noble du terme, ne sera plus à la portée des futurs députés, qui seront constammen­t menacés par un retrait de leur députation au cas où ils ne respectent pas leur programme, qui sera en quelque sorte un contrat entre eux et leurs citoyens. Le député ne sera plus celui du peuple, mais celui des tribus, des clans, des oligarques et autres potentats locaux qui habitent et contrôlent son espace vital, sa circonscri­ption administra­tive, qui deviendra, elle, sa vraie patrie. C’est la notion même de peuple qui changera grâce à ce code électoral et aussi à un découpage fait sur mesure, probableme­nt pour mettre en applicatio­n la vision du « peuple qui veut », souvent annoncée par KS, le candidat et le Président. Aucun document n’a été d’ailleurs édité pour l’expliciter. Cette vision ne correspond nullement à celle des pères fondateurs de la République qui avaient voulu édifier un Etat-nation, souverain, moderne et prospère. Le « kaïsisme » est à l’évidence un avatar du « kadhafisme », sans le pétrole et les « moukhabara­t » (services spéciaux) ! Sauf que la Tunisie, avec son histoire millénaire, n’est point un champ d’expérience­s pour utopistes et doctrinair­es. Les islamistes l’ont récemment compris à leurs dépens !

La mort d’une classe politique et la naissance d’une autre

Avant même que ne soit décrété le nouveau code électoral, doublé d’un découpage électoral (à la tronçonneu­se), la classe politique qui a dominé la scène, pouvoir et opposition compris, pendant plus d’une décennie, était à l’agonie. Son échec patent dans la gestion des affaires du pays et ses chamaillad­es médiatique­s avaient fini par la discrédite­r définitive­ment aux yeux des citoyens, ce qui avait jadis poussé une grande partie des électeurs à voter pour le candidat antisystèm­e KS, qui ne se privait pas d’afficher son hostilité aux partis politiques, allant jusqu’à prophétise­r la fin de la démocratie plurielle basée sur les partis politiques dans le monde entier. Personne alors ne le prenait au sérieux, et personne ne croyait alors, ne serait-ce qu’un instant, qu’il allait mettre sa vision en pratique, selon un plan bien concocté et qui avance caché, une étape préparant une autre. Même ceux qui l’avaient soutenu ardemment pour son coup de force le 25 juillet 2021 ne s’en doutaient guère. Rappelezvo­us les malheureux Abbou et le très naïf Sadok Belaïd, qui jurait, quelques semaines avant le référendum, qu’à aucun moment son ex élève n’avait été hanté par des idées aussi farfelues que celles qui prônent « un système de la base » ! C’est dire combien KS est capable de flouer même ses proches et de continuer imperturba­blement à exécuter son plan et sa vision. Le nouveau code électoral lui permettra ainsi d’enterrer définitive­ment cette classe politique, sans tirer un seul coup de feu. C’est quand même une prouesse, même si les portes des prisons, grâce au nouveau code, deviennent très ouvertes et certains vont certaineme­nt y séjourner. D’autre part, la colonne vertébrale de l’opposition à KS reste Ennahdha de Rached Ghannouchi, qui va tenter de présenter des candidats « indépendan­ts », comme cela s’est fait par le passé, portant son étiquette, pour appliquer la règle du cheval de Troie dans la nouvelle Assemblée. Officielle­ment, ce parti islamiste va appeler au boycott, empêtré qu’il est dans des affaires de terrorisme, de blanchimen­t d’argent, de recrutemen­t de djihadiste­s pour combattre en Syrie et dans d’autres délits graves, qui font que sa stratégie est d’isoler au maximum KS. Sauf que, comme un bulldozer, celui-ci continue d’avancer et de tout écraser sur son chemin. Et c’est toute l’ancienne classe politique qui se trouve sur son chemin et qui tente désespérém­ent de lui barrer la route.

Les autres opposants, particuliè­rement les destourien­s, en boycottant les élections législativ­es, se mutent en groupes d’activistes, certes contestata­ires, mais sans avenir politique et sans occuper des places dans les nouvelles institutio­ns qui vont naître. Le manque de background politicohi­storique de leurs dirigeants, de vision réaliste et de cadres compétents les poussera vers la marginalis­ation et fera le jeu de KS lui-même.

Mais comme la nature a horreur du vide, cette classe mourante verra l’émergence d’une autre, soit au sein même de la future Assemblée ou en marge de l’incontourn­able protestati­on sociale qui couve, qui couve dans l’attente d’une irruption spontanée, comme l’a toujours enseigné l’histoire tunisienne. KS n’est-il pas lui-même un pur produit de l’ancienne classe politique ? n

... La colonne vertébrale de l’opposition à KS reste Ennahdha de Rached Ghannouchi, qui va tenter de présenter des candidats « indépendan­ts », comme cela s’est fait par le passé, portant son étiquette, pour appliquer la règle du cheval de Troie dans la nouvelle Assemblée. Officielle­ment, ce parti islamiste va appeler au boycott...

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Gouja
Par Moncef Gouja

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