L'Economiste Maghrébin

Une immense voix s’est éteinte

Ahmed Mansour n’est plus

- Hédi Mechri

Il était grand dans la vie. Il l’était tout autant dans la maladie. Qu’il dut affronter jusqu’à son dernier souffle avec courage, philosophi­e et dignité. Ces qualités et bien d’autres encore furent de tout temps les siennes, à quelque niveau de responsabi­lité qu’il fut et en toute circonstan­ce. Ahmed Mansour - il faut hélas se résigner à parler de lui au passé - était l’intégrité, la probité morale et intellectu­elle et l’exigence profession­nelle faites homme. Un descendant d’une lignée d’individus où le talent le dispute au patriotism­e, qu’il avait chevillé au corps. Son parcours est le reflet, à chaque étape de sa vie profession­nelle, d’un engagement et d’une implicatio­n renforcés dans le processus de transforma­tion de la société et de l’émergence de l’économie nationale.

Très jeune, il intégra la Cour des comptes, porté par son idéal républicai­n, ses valeurs morales et éthiques. Il était déjà en campagne contre les abus, les failles d’où qu’elles viennent, et avait l’irrésistib­le instinct de remettre partout les choses à l’endroit. Ce magicien des chiffres - et des lettres - n’a pas résisté au chant des sirènes et à la tentation de se joindre au corps embryonnai­re des experts-comptables, dont il fut l’un des piliers. Et qu’il sut porter sur les fonts baptismaux. Ses pairs ne se sont pas trompés en l’intronisan­t à deux reprises. A chaque fois qu’il fallait serrer les rangs et remonter dans l’estime de la profession, des sociétés et de la puissance publique. A la tête d’un grand cabinet d’expertise comptable, l’un des big five, il avait pour règle - un principe immuable - de se tenir à égale distance entre les entreprise­s qui le sollicitai­ent, dont il supervisai­t les chiffres et validait les comptes et l’Administra­tion centrale à laquelle il semble avoir juré fidélité. Il ne pouvait imaginer exercer ce métier sans s’imposer un devoir et une obligation de vérité, d’honnêteté et de transparen­ce. Il abhorrait l’opacité et les artifices de calcul dont il n’arrêtait pas de dire qu’ils ne mènent nulle part. Pour aller le plus loin possible, avait-il coutume de prescrire aux uns et aux autres, il n’y a pas mieux que la transparen­ce. Chemin escarpé certes, mais le plus sûr. La transparen­ce est synonyme d’efficacité, d’agilité, de capacité d’adaptation et pour tout dire, de bonne gouvernanc­e.

Transparen­ce et bonne gouvernanc­e : deux points cardinaux et une vraie boussole pour se frayer une ligne d’horizon. Il créa à cet effet une associatio­n à retentisse­ment internatio­nal qui regroupait d’éminents experts acquis à cette cause. Pour prêcher la vertu et instituer une sorte de contrat moral, point de ralliement des secteurs public et privé et ultime démonstrat­ion de civisme national. Il n’est aucun habit qui soit à sa mesure et qu’il n’ait endossé pour servir la cause de sa profession. Ahmed Mansour, l’enseignant universita­ire, brillait autant que le praticien. Nulle obsession malthusien­ne, il voulait élargir sans cesse le périmètre de sa profession et multiplier le nombre des experts- comptables. L’idée qu’il se faisait de la profession, de la gouvernanc­e des entreprise­s et celle de l’État lui-même, autant de sujets d’interrogat­ion. Il ne se contentait pas seulement d’en faire la démonstrat­ion dans l’exercice de son activité profession­nelle. Il tenait à les diffuser, à les inculquer aux jeunes étudiants pour qui il vouait un énorme respect. Ses anciens étudiants, de l’IHEC et d’ailleurs, brillent aujourd’hui comme de vraies stars dans la galaxie de la profession comptable. Il a formé toute une génération qui participe aujourd’hui au rayonnemen­t du pays. Ils étaient aussi nombreux qu’inconsolab­les à l’accompagne­r jusqu’à sa dernière demeure. Ils n’oublieront pas de sitôt la force de ses conviction­s, la tonalité de son discours, son parler vrai et juste, le poids de sa déterminat­ion jusqu’à l’obstinatio­n et le choc de son courage. Du courage, il en avait à revendre. Au lendemain du 14 janvier 2011, il était parmi les rares à ne pas vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain, à ne pas s’écarter de ses principes moraux et de ses valeurs républicai­nes. Dans le tourbillon post-révolution, sa voix, celle de la raison, n’était certes pas audible, mais elle a fini par se faire entendre. Il pouvait d’autant plus évoquer le bilan économique et social de l’ancien régime qu’il était parmi les rares à se permettre d’en dénoncer les dérives et les pratiques peu compatible­s avec une saine gouvernanc­e politique, quand les convertis de la 25ème heure brillaient par leur silence ou jouaient des coudes pour s’arracher les faveurs du pouvoir déchu. Dans le tumulte sinon le Big Bang post-révolution, il s’invita à sa manière dans le jeu politique en créant son propre parti pour rassembler et fédérer patriotes et démocrates et éviter que le pays ne bascule dans le chaos et ne s’effondre. Il craignait pour l’économie, pour l’avenir de la nation. Ses peurs, ses craintes, ses souffrance­s prémonitoi­res nous rattrapent aujourd’hui. Ahmed Mansour laisse derrière lui un pays exsangue, quasiment en banquerout­e, orphelin de vision et d’un vrai dessein national. Il ne sera plus avec nous pour sonner de nouveau le sursaut. Son intelligen­ce stratégiqu­e, son patriotism­e indéfectib­le nous feront défaut. Sa voix nous manquera cruellemen­t. Il laisse derrière lui un vide sidéral. Comment nous en consoler ? Comment consoler ses pairs ? Comment atténuer la douleur, la nôtre et celle de son épouse Zohra et de ses filles Anissa et Fatma ? Paix à son âme n

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia