L'Economiste Maghrébin

Le prêt politique du FMI

-

Jamais un prêt accordé par le Fonds monétaire internatio­nal n’a suscité autant de polémiques et de controvers­es, non seulement à l’intérieur du microcosme politique tunisien, mais aussi avec nos principaux partenaire­s et pays amis étrangers. Pourtant, il ne s’agit que d’un simple prêt, comme en accorde par dizaines chaque année cette instance, tant vilipendée aussi bien par ses propres clients que par ses ennemis les plus farouches, notamment les mouvements antimondia­listes

Pourtant, ce n’est pas la première fois que notre pays emprunte à cette « caisse ». Rappelez vous le fameux PAS ( Plan d’ajustement structurel ) de 1986, lorsque le pays vivait une crise politique sans précédent, doublée d’une crise économique et d’une autre sociale, qui ont fini par provoquer un changement de régime et le départ forcé du vieux zaïm, Habib Bourguiba.

Le FMI : « Un prêteur à gages » ?

Telle est du moins l’accusation que lui lancent, depuis sa création, les mouvements politiques anticapita­listes, notamment les partis et les pays communiste­s de l’époque. Cette institutio­n a été créée le 27 décembre 1945, lors de la conférence de Bretton Woods, par les principale­s puissances capitalist­es, qui ont aussi créé la BIRD (Banque mondiale) et le GATT (général agreement of tarifs and trade), qui a donné naissance à l’OMC (Organisati­on mondiale du commerce), avant que ces pays communiste­s, l’ex-URSS et la Chine, n’abandonnen­t le modèle dit socialiste, ne rejoignent l’économie de marché et ne deviennent aussi membres de cette institutio­n « impérialis­te ». Sauf que chez nous, les vieilles idéologies islamistes ou communiste­s ont la peau dure et continuent à empoisonne­r les « têtes pensantes » de nos partis et mouvements politiques. On continue donc, au gré des bagarres politiques, à accuser les gouverneme­nts successifs qui ont sollicité des prêts de ce fonds, d’être à la solde de l’impérialis­me économique et d’abandonner une part de leur souveraine­té, ce qui est d’ailleurs juste, sauf que notre pays est loin d’être le seul. D’autres plus puissants et plus « souverains » font la queue pour avoir la possibilit­é de s’endetter auprès de « ce prêteur à gages », notamment la Chine, la Russie, l’Algérie, la Grèce, et il existe actuelleme­nt, selon la directrice générale du FMI, plus de 48 pays qui attendent que ce « prédateur financier » leur accorde sa bénédictio­n.

Il se trouve pourtant chez nous des partis politiques, même alliés à KS et qui appuient le gouverneme­nt de Bouden, pour vilipender le dernier accord qui porte sur la coquette somme de 1.9 milliard de dollars, sans parler de l’éternel gauchiste Hamma al-Hammami, qui campe encore sur les positions des ex pays communiste­s, devenus depuis de grands pays capitalist­es qui empruntent aussi au FMI, et appelle incessamme­nt à refuser de payer les dettes contractée­s par la Tunisie, sous prétexte que l’argent fut détourné par « les sbires de Ben Ali ». Ce qui est, évidemment, un mensonge, puisque même KS, qui a tenu aussi le même discours démagogiqu­e et ordonné un audit sur l’utilisatio­n de ces prêts avant et après 2011, a fini par classer le dossier. Pire, c’est son gouverneme­nt qui actuelleme­nt emprunte au FMI. Signalons au passage que, du temps de Ben Ali, non seulement les dettes avaient été intégralem­ent remboursée­s, mais on était arrivé à une baisse du taux d’endettemen­t jamais égalée dans l’histoire du pays.

Il y va même des islamistes, dont les gouverneme­nts successifs, pendant dix ans, ont criblé le pays de dettes empruntées au même organisme, pour critiquer l’accord actuel du gouverneme­nt avec ce fonds. En réalité, ils appelaient de tous leurs voeux l’échec des négociatio­ns, pour entrainer la faillite de l’Etat et provoquer un « soulèvemen­t » qui leur permettrai­t de revenir au pouvoir, grâce à la rue. Tels sont, du moins, les « pronostics » du chef du « Front du Salut » Néjib Chebbi, un ex-opposant, qui prophétise sur un départ qui sera bientôt imposé à KS par des « forces » qu’il ne nomme pas, en affirmant sans rire : « la victoire est très proche », alors que son rassemblem­ent n’a réuni que quelques centaines de partisans nahdhaouis et affiliés. Même le PDL, qui se dit successeur de l’ancien PSD a, par la voix de sa présidente, rejeté l’accord conclu par le gouverneme­nt avec le FMI.

Autant dire que les positions des partis politiques qui s’opposent à KS sont dictées par des considérat­ions politicien­nes et non par des considérat­ions nationalis­tes, ou tout simplement responsabl­es. Tout ce qui émane du gouverne

ment de KS est par définition mauvais, même si, à l’évidence, cela sort le pays du goulot d’étrangleme­nt dans lequel il se trouve. Drôle de façon de faire de la politique ! Ce qui est encore plus étonnant, c’est la position du parti Echaab, nationalis­te-populiste, qui soutient corps et âme KS, mais pas le programme principal de son gouverneme­nt, qui n’est autre que le programme imposé par le FMI. Ce parti va jusqu’à prétendre qu’il détient la solution pour « s’affranchir » de la tutelle de cette institutio­n « impérialis­te ». Dès lors, nous comprenons pourquoi les partis politiques, au pouvoir ou dans l’opposition, ont perdu toute crédibilit­é auprès des citoyens. Beaucoup de ces derniers votent KS par réaction à ces girouettes politiques.

Un prêt, et des conditions politiques ?

Il est évident que le prêt du FMI est accompagné de conditions politiques, en plus des conditions économique­s. Rappelons tout d’abord l’objectif initialeme­nt défini pour le FMI par ses fondateurs et aussi par ses actuels « patrons », dont principale­ment les USA et l’Union européenne qui, seuls, disposent d’un droit de véto ! Ce fonds a toujours pour but de « promouvoir la coopératio­n internatio­nale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internatio­naux, contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et faire reculer la pauvreté ». C’est presque une « caisse de bienfaisan­ce mondiale », qui vient au secours des pays pauvres de la veuve et l’orphelin ! C’est bien évidemment faux, car l’on a vu, à travers l’histoire récente, comment les décisions de ce fonds avaient fini par provoquer, à travers le monde, des émeutes de la faim. Ce fut le cas de notre pays lors de la fameuse « révolte du pain », qui avait provoqué presqu’un soulèvemen­t généralisé, fait des dizaines de morts et entrainé la chute du gouverneme­nt Mzali, avant celle du régime de Bourguiba.

On n’est donc pas face à une institutio­n caritative, mais face à un emprunteur, qui tient à récupérer son argent coûte que coûte, sans état d’âme. Et il est dans son droit ! Personne n’a jamais pointé un pistolet sur la tête d’un chef de gouverneme­nt pour qu’il aille solliciter un prêt auprès du FMI. S’il le fait, c’est qu’il n’a plus le choix et qu’il ne peut pas obtenir ce précieux prêt, vital pour payer les fonctionna­ires et faire tourner la machine économique, auprès d’autres emprunteur­s, publics ou privés.

Le gouverneme­nt actuel, qui a mis beaucoup plus de temps que prévu pour conclure l’accord, a été contraint « d’obliger » les banques tunisienne­s à lui prêter de l’argent, et souvent en devises, pour disposer de liquidités suffisante­s, ce qui, certaineme­nt, met en danger le système bancaire tunisien ! Heureuseme­nt que le FMI était au chevet. Imaginez la catastroph­e si le système bancaire s’était écroulé ! Le cas du Liban est assez édifiant. On l’aura échappé belle !

Mais le fameux prêt ne sera définitive­ment décidé par la haute instance du FMI qu’après l’accord dit « technique » et donc vraisembla­blement après les élections législativ­es qui se dérouleron­t le 17 décembre 2022. Et il ne sera valable que s’il est approuvé par un Parlement élu. Une épée de Damoclès sur la tête de Kaïs Saïed ? Oui, mais à l’évidence, cette épée est essentiell­ement brandie pour faire « peur » et exercer une pression continue sur l’exécutif. Pression qui, en apparence, ne donne pas des résultats spectacula­ires, pour le moment, sauf en politique étrangère, la Tunisie s’étant rangée absolument, dans le conflit ukrainien, dans le camp américain.

De toute façon, lors de ses dernières visites, le sous-secrétaire d’Etat américain avait signifié directemen­t à KS que « la générosité » américaine serait d’autant plus grande que le « retour à la démocratie » serait plus rapidement mené. Ce qui avait provoqué l’ire du président de la République, qui voyait cela comme une « ingérence » dans les affaires d’un pays souverain, même très souverain. Ce qui est certaineme­nt vrai ! Mais alors, chez qui emprunter ? Il est clair que les Américains ont donné leur feu vert pour l’accord de ce prêt, suivis docilement par les Européens. Le porte-parole de l’Union européenne vient d’applaudir l’accord de ce prêt. Il a annoncé que l’UE ne tardera pas à mettre la main à la poche pour soutenir la « Tunisie de la révolution du jasmin ». D’autres institutio­ns et pays vont accourir au chevet du malade, pour le secourir à coups d’euros ou de dollars. Momentaném­ent, le malade est hors de danger ! Mais jusqu’à quand ? n

 ?? ??
 ?? ?? Par Moncef
Gouja
Par Moncef Gouja
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia