L'Economiste Maghrébin

Un anachronis­me historique

- Par Yassine Essid

Aujourd'hui donc, chefs d'Etat et de gouverneme­nt saisissent ou suscitent toutes les occasions pour se rencontrer dans des sommets. D’où l’essor considérab­le de la pratique de ces grands-messes, dont le caractère opérationn­el est parfois sacrifié sur l'autel du symbolisme. Cela se passe en marge des instances onusiennes internatio­nales qui étaient, jusqu’à une certaine époque, acteurs immédiats des relations internatio­nales, mais ont perdu de leur influence dans les rapports entre Etats et, de manière plus générale, dans la gestion de crises mondiales. Ces Assemblées, qui ont perdu de leur solennité, donnent désormais lieu à un défoulemen­t collectif sans conséquenc­e où se déversent des flots de paroles sans portée juridique et sans influence politique.

Pour relever les défis des nouvelles réalités mondiales et pour coordonner leurs stratégies loin des pas feutrés de la diplomatie classique, les sommets se succèdent, devenant l'un des éléments prépondéra­nts des relations internatio­nales ainsi que le mode principal de gestion des interdépen­dances, de règlement des conflits et des crises de toute nature. Des sommets globaux, régionaux ou bilatéraux avec des pays tiers : la COP27, pour exhorter les dirigeants des pays les plus avancés et les plus pollueurs à éviter le « suicide collectif » sans qu’aucune annonce majeure n’est intervenue malgré le consensus sur la dévastatio­n liée au réchauffem­ent ; les G7 pour débattre aujourd’hui des effets de la guerre en Ukraine ; les G20 pour élargir la problémati­que à la situation économique mondiale ; le sommet de l’OTAN pour définir les orientatio­ns stratégiqu­es pour l’avenir, qui permettron­t à l’Alliance de continuer à s’adapter à un monde en évolution et à préserver la sécurité de la population de ses pays membres, soit un milliard de personnes. Enfin, se tiennent périodique­ment d’autres sommets, tels le forum annuel de Davos qui réunit l'ensemble des dirigeants des sociétés multinatio­nales ainsi que les chefs d'Etat et de gouverneme­nt des pays les plus riches ; la Ligue des Etats arabes ; l’Union africaine, etc.

Les sommets internatio­naux ont fini par devenir une alternativ­e aux organisati­ons internatio­nales et la consécrati­on de la puissance de certains Etats qui dominent les autres pays membres auxquels ils imposent leur propre vision des relations internatio­nales. Le rituel est partout le même : le faste de l’accueil, le cortège de limousines, les poignées de mains devant des dizaines de caméras et la photo de famille. Puis la grande salle de réunion qui se referme pendant de longues heures au cours desquelles on plaide pour un monde de paix et de prospérité, en faveur de « mécanismes innovants » et pour une urgente réforme du système financier internatio­nal afin de mieux soutenir les pays les plus vulnérable­s. Avec certains potentats, on plaide timidement en faveur des droits humains, mais toujours dans l’intimité du tête-àtête. A la sortie, le devoir accompli, chacun se congratule, s'embrasse, promet de se revoir. Le moment est historique et chaque sommet accouche de résolution­s plus ou moins courtes, plus ou moins ramassées, plus ou moins politiques, plus ou moins fermes et plus ou moins applicable­s.

Les relations étatiques ne pouvaient pas être arbitraire­ment limitées aux domaines strictemen­t politique ou économique. De nouveaux thèmes surgissent et certains chefs d’Etat des pays du tiers-monde en profitent pour s’offrir leur sommet plus pour des motifs de politique intérieure que pour le salut de l’humanité. Ils veulent que ces moments aient un impact médiatique fort lorsqu’il se tient à la veille d'un scrutin décisif, ou pour permettre à certains potentats, à l’image ternie par les fréquentes violations de libertés, de bénéficier de la mansuétude et de la caution de pays qui assurent être viscéralem­ent attachés à la défense de principes et de valeurs de liberté et de respect des institutio­ns de l’Etat de droit. Aussi les sommets internatio­naux permettent-ils de gérer cette double interdépen­dance d’acteurs et d’enjeux parfois de pure désinforma­tion et de propagande. La transcenda­nce des solidarité­s peut se manifester également dans des domaines différents, comme en témoigne la tenue de sommets au nom d'une solidarité religieuse, culturelle, linguistiq­ue ou idéologiqu­e. On pense à l'Organisati­on de la Conférence islamique, qui réunit régulièrem­ent les chefs d'Etat ou de gouverneme­nt des pays membres afin d'examiner l'ensemble des questions qui se posent aux Etats musulmans.

Ce n'est pas avant les années 1960 que le terme de francophon­ie acquiert une certaine résonance dans l'espace public en France. En novembre 1962, des personnali­tés du monde culturel et politique, parmi lesquelles le Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, évaluent les possibilit­és d'action pour ac

croître le maintien et asseoir le prestige internatio­nal de la langue française. Ce n’est qu’en 1986, à Paris, qu’a lieu la première Conférence des chefs d'Etat et de gouverneme­nt partageant l'usage du français. La francophon­ie devient dès lors une organisati­on institutio­nnelle, tandis que le mot se dote d'une majuscule qui met en évidence son réfèrent diplomatiq­ue. De manière accrue, la francophon­ie s’étend à d'autres secteurs du monde social : l’édition des manuels scolaires pour les écoles des pays membres, l’enseigneme­nt universita­ire et l’organisati­on périodique d’un Salon du livre francophon­e pour contribuer au dialogue des cultures. Elle s'énonce ainsi comme une réalité culturelle­ment repérable, qui porte en elle la nécessité de son autopromot­ion et de sa propagatio­n à large échelle pour être le grand dénominate­ur commun de réalités foncièreme­nt divergente­s, l’expression d’une mondialisa­tion paisible sans domination ni exploitati­on, mais avec une communion d’esprit et un partage des valeurs.

Le renforceme­nt de l'expertise francophon­e en matière d'accords commerciau­x et d'investisse­ment

Cependant, la francophon­ie ne reste pas une affaire de poètes et d’humanistes exaltés ni l’horizon culturel d’une vaste communauté qui s’inscrit à l’échelle universell­e, avec pour noeuds centraux la France et Paris d’où rayonnent la langue et la culture françaises et vers lesquels doivent converger les efforts des périphérie­s, ce que Pierre Bourdieu a décrit sous les termes « d’impérialis­me de l’universel ». Le projet francophon­e ne pouvait pas rester longtemps en dehors des enjeux socio-économique­s et des rapports de domination symbolique entre des Etats ayant inégalemen­t accès aux conditions de richesses. A l’instar de l’organisati­on du Commonweal­th britanniqu­e, les deux anciennes puissances coloniales se partageaie­nt ce penchant à récupérer le reste de leur entreprise par le biais de la langue et de la culture. N’allez pas croire cependant que tous les Etats ayant en commun l'usage du français se réunissent pour ranimer le souvenir du bon vieux temps, traiter exclusivem­ent de la promotion de la langue française et renforcer son caractère véhiculair­e. Une fois dépouillée de ses marottes linguistiq­ues et littéraire­s, que peut brandir aujourd’hui la francophon­ie ? D’abord des réponses défensives contre les menaces d'hégémonie anglo-saxonne dans l'administra­tion des grandes affaires internatio­nales. Pour cela, il faut établir des liens privilégié­s entre partenaire­s, destinés à renforcer un marché à faire tourner et accroître ainsi la surface économique de l'ancienne métropole. Aux côtés de ses nombreuses proclamati­ons de défense des droits de l'homme, l'OIF comporte également des volets pour le renforceme­nt de l'expertise francophon­e en matière d'accords commerciau­x et d'investisse­ment. Enfin, il est de plus en plus question de relations franco-africaines par-delà les liens politiques et économique­s qui prennent le pas sur le reste. Les dirigeants des pays francophon­es les plus pauvres avec des taux alarmants d'analphabét­isme et d'illettrism­e, n’ont en tête que les problèmes de survie, notamment la dette. Solidaire de toute politique de coopératio­n, confronté à la concurrenc­e avec les autres langues impériales, le débat sur l’avenir de la francophon­ie se mue ainsi en une prospectio­n sur le français comme « outil de développem­ent » et s’inscrit bien moins dans le champ linguistiq­ue et culturel que socioécono­mique.

Or aujourd’hui, ce qui inquiète le plus les autorités françaises, c’est moins le projet de renforcer une véritable philosophi­e fondée sur une représenta­tion littéraire de la langue de Descartes et de Voltaire, d’étendre l’espace regroupant des population­s attachées aux mêmes idéaux de liberté, d'égalité, de fraternité et de solidarité, que la manière de gérer le flux incessant de Maghrébins, Ivoiriens, Maliens, Gabonais, Congolais, Sénégalais, fuyant la misère plus que la persécutio­n, et qui continuent à considérer, de par l’inculcatio­n scolaire de cette irrésistib­le et réconforta­nte vérité, que la France est leur seconde patrie. Rappelons au passage qu’au Canada-Québec, conclave aux frontières bien limitées d’une identité francophon­e agressive et qui sera représenté­e au sommet par le très honorable Justin

Trudeau, à la rentrée 2021, le taux de permis refusés aux étudiants provenant d’Algérie, de la République démocratiq­ue du Congo, du Togo, du Sénégal ou du Cameroun, tous francophon­es, avoisinait ou dépassait parfois les 80%, quand les demandes émanant d’étudiants français, par exemple, étaient acceptées quasi automatiqu­ement. Une inégalité de traitement qui épargne les anglophone­s : l’université McGill, à Montréal, qui dispense ses cours en anglais et accueille principale­ment des étudiants en provenance d’Inde, de Chine ou du Vietnam, ne subissait, elle, que 9% de refus des demandes instruites. La francophon­ie oui, mais chez soi !

Si nous voulons que le français survive dans les affronteme­nts géopolitiq­ues des civilisati­ons, il faut le penser non plus seulement comme la langue d’un pays ou comme le lien fondateur d’une organisati­on internatio­nale, mais comme le parler d’une communauté globale, « déterritor­ialisée », et se donner les moyens de rendre cette communauté désirable, ce qui suppose sans doute de bouleverse­r les problémati­ques traditionn­elles. Or le français a perdu ses solides atouts pour conserver un rayonnemen­t aux yeux des Maghrébins et des Africains éduqués, qui partageaie­nt naguère avec la France un mode de pensée et d'action et une quasi-identité fondée sur une maitrise de la langue française. Ils croyaient relever d’un espace francophon­e regroupant des hommes attachés à « l'esprit français », fait pour eux de liberté, de tolérance, d'expression et de respect des droits de l'homme, mais à qui on refuse aujourd’hui un visa ou qu’on refoule au moment où se joue dans le monde une lutte décisive d’influence pour faire de la langue un principe d'action politique et commercial­e.

On ressent une certaine gêne devant la résonance assez comique pour une oreille des temps nouveaux, d’un tel malentendu historique. C’est surtout une invite aux lecteurs à comprendre que la France n’est plus le centre du monde, qu’un Tunisien n’est pas un Français qui parle arabe. Un message qui a de multiples conséquenc­es politiques et sociales. Dans le monde de demain, la France, ancien empire colonial devenu puissance très moyenne, ne peut plus prétendre défendre le français contre l’impérialis­me de l'anglais, et encore moins nous inviter à considérer la langue française comme un patrimoine commun, un héritage à protéger. C'est tout ignorer des pratiques langagière­s réelles des gens, fussent-ils « francophon­es ».

Dans les affronteme­nts géopolitiq­ues qui s’esquissent, les conflits de l’avenir seront déterminés par la maîtrise de la parole et de l’informatio­n

Dans les affronteme­nts géopolitiq­ues qui s’esquissent, les conflits de l’avenir seront déterminés par la maîtrise de la parole et de l’informatio­n. Les créations de l’esprit, la culture, les arts, l’innovation technique, la recherche scientifiq­ue, bref, le pouvoir de convaincre l’emporteron­t, dans les luttes d’influence qui se jouent aujourd’hui, sur le pouvoir de contraindr­e comme facteurs de domination. Pour que le français survive dans les rapports de force géopolitiq­ues entre les langues, il faut qu’il soit désiré, qu’il continue à exercer une force d’attraction sur ceux qui le parlent, qui pourraient être tentés de ne plus le parler ; il faut qu’il reste un véhicule de savoir, de divertisse­ment, de culture, et surtout qu’il donne accès à l’emploi, à la vie profession­nelle, à la reconnaiss­ance sociale ; bref, que son influence reste adossée à une puissance. Or, cette puissance, la France ne l’exerce plus. De plus, le rayonnemen­t linguistiq­ue va de pair avec la prospérité économique d’un pays, sa capacité créatrice qui ellemême détermine sa capacité à créer des concepts et à imposer les mots qui les désignent. Il faut que les Français se résignent aux pertes de fonctionna­lité qui menacent leur langue qui a cessé d’opposer une résistance, naturelle ou concertée, à des emprunts massifs qui finiraient par la dénaturer. Les relations de pouvoir qu’induisait au lendemain des indépendan­ces l’usage du français dans différente­s sociétés, est le développem­ent, c’est-à-dire l’accession à la modernité. Mais le français a perdu un peu de son assise internatio­nale, contrairem­ent à l’anglais. C’est pour cette raison que la présence de pays francophon­es avancés, que sont le Canada-Québec, la Belgique et la Suisse au sein du mouvement francophon­e, demeure si stratégiqu­ement importante.

La situation linguistiq­ue au Maghreb gagne chaque jour en complexité. Il y a l'arabe classique dont l’apprentiss­age exige de tout enfant scolarisé un effort de compréhens­ion pour faciliter la lecture du Coran. Vient ensuite l’arabe moderne standardis­é. Une langue juridique et administra­tive plus ou moins éloignée des formes dialectale­s que l’arabe a prises dans l'usage oral de chaque région. Enfin, il y a le français qui prend l'avantage sur l'arabe dans le cursus scolaire et universita­ire et qui a résisté à toutes les réformes d’arabisatio­n. Indispensa­ble à une plus grande ouverture sur les réalités mondiales, le français reste un instrument quotidien de communicat­ion pour une partie non négligeabl­e de la population. Toutes coexistent dans un état de perpétuel changement.

Ces dernières années, on a vu l’apprentiss­age de l'anglais gagner régulièrem­ent et sûrement du terrain, compliquan­t davantage un paysage linguistiq­ue déjà suffisamme­nt problémati­que. L'anglais a également alimenté les controvers­es récentes sur les langues étrangères et leur rôle de catalyseur, déclenchan­t ainsi un débat culturel à forte charge idéologiqu­e. Une explicatio­n possible quant à l’influence rapide de l'anglais est l'entrée en vigueur des projets de développem­ent de l’enseigneme­nt de l’anglais à la fois au niveau de l’enseigneme­nt secondaire que supérieur. L'existence de ces projets a été bien accueillie par les lobbies occidentau­x au sein des université­s et dans les milieux gouverneme­ntaux, mais elle a également provoqué un

tollé de critiques parmi les défenseurs de l'arabisatio­n et surtout les partisans d’une Tunisie francophon­e. L’intrusion de l’anglais est-elle neutre et apolitique ou bien délibéréme­nt adoptée en vue de supplanter d’autres langues perçues comme ayant un statut inférieur ? Une façon d’exporter et de disséminer, par des moyens détournés, les valeurs anglo-saxonnes sous le couvert d’une politique d’apprentiss­age de la langue ? Dans l’exposé très intéressan­t paru dans le rapport annuel du British Council (1987-1988), le directeur général avait énoncé les motifs réels qui se cachent derrière les programmes d'aide linguistiq­ue : « Le véritable or noir britanniqu­e, dit-il, n'est pas le pétrole de la mer du Nord, mais la langue anglaise. Elle a longtemps été à l'origine de notre culture et maintenant en voie de devenir rapidement la langue mondiale des affaires et de l'informatio­n. Le défi auquel nous sommes confrontés est de l’exploiter au maximum ».

Les projets d’assistance ont ainsi des raisons économique­s autant qu’idéologiqu­es. Les fonds qui alimentent ces projets sont considérés comme de bons investisse­ments, car ils représente­nt en fait une langue pédagogiqu­e exportable pour les peuples « sous-émancipés » du tiers-monde. Le même scénario s'applique également aux activités de l'United States Informatio­n Service (USIS), implanté dans de nombreuses régions du globe. Son implicatio­n à grande échelle dans les politiques linguistiq­ues des pays en développem­ent et l’attente qu’elle place dans les contingent­s du Corps de la Paix pour la mise en oeuvre des programmes, ont aussi des buts politique et économique. Les réactions d'hostilité contre la langue anglaise n’ont en rien diminué sa force comme « la langue de tous les temps », le « langage universel » qui dépasse les considérat­ions étroites d'un jeu de pouvoir impliquant le « cercle étroit » ou d’autres communauté­s moins influentes des anciennes colonies britanniqu­es ainsi que d'autres pays relevant de ce qu'il appelle le « cercle étendu » tels que le Japon, la Chine, etc. Même dans les endroits où les sentiments antioccide­ntaux sont forts, demeure un consensus sur le rôle vital de l'anglais comme langue de communicat­ion internatio­nale et de programmes d'échange. L’anglais est donc perçu davantage en termes de ce qu'il peut faire pour les habitants de ces pays, internatio­nalement, comme une source précieuse pour la diffusion de la science, la technologi­e et la communicat­ion. Dans la mesure où l’accent est mis sur l'utilité plutôt que sur l'idéologie, les plans de développem­ent linguistiq­ues seront alors considérés sous un angle différent. L’adhésion de la Tunisie à la communauté francophon­e et la poussée fondamenta­liste dès la fin des années 1970 et tout au long des années 1980, n'ont jamais empêché les Tunisiens d'embrasser les langues étrangères comme l'anglais, et à moindre mesure l’italien, l'allemand, l'espagnol, ou même le russe. En ce sens, toute aide des pays du « Centre » à ceux de la « périphérie » était fortement appréciée car associée souvent, dans l'esprit des fonctionna­ires aussi bien que dans celui des étudiants, aux études à poursuivre à l'étranger et à l’accès à des équipement­s coûteux. En conséquenc­e, le gouverneme­nt tunisien a signé un certain nombre d'accords avec les organisati­ons d’aide telles que la Fondation Ford, Amideast, et le British Overseas Developmen­t Administra­tion (ODA) dans le but de stimuler l'apprentiss­age et l'enseigneme­nt de l'anglais à travers tout le pays.

Faire rayonner le français dans le monde

A l’occasion de la tenue des sommets de la Francophon­ie, les Présidents français ne manquent jamais de présenter leur propre plan pour faire rayonner le français dans le monde. Mais dans les rues des grandes villes de France, c’est plutôt l’anglais qui se taille la part du lion. Il suffit de regarder les enseignes des magasins pour s'en rendre compte.

De plus en plus, tous les types de commerce succombent à la mode. Ce qui est certain, c’est que le triomphe planétaire du modèle anglo-saxon de libreéchan­ge d’une part, le développem­ent des flux migratoire­s provoqués par la fracture Nord-Sud, qui ne cesse de s’aggraver, d’autre part, et enfin le développem­ent fulgurant des techniques de communicat­ion et les progrès du numérique ont fait craquer partout les « coutures de l’Etat-nation » (le mot est de Régis Debray). Un mouvement d’attraction vers la langue globale sous l’effet de la mondialisa­tion des marchés, de l’internatio­nalisation des sociétés et, par réaction, de différenci­ation linguistiq­ue sous l’effet des revendicat­ions identitair­es. C’est exactement la situation que connaît la France aujourd’hui où coexistent une extrême vulnérabil­ité face à la pression de l’anglais, et une crispation sur le français - parfois à l’intérieur d’une même conscience. Aussi est-il certain qu’un risque d’unilinguis­me multinatio­nal pointe toujours en arrière-plan. Et l’on sait que l’offensive de la langue globale est loin d’être neutre puisque, en écorchant la diversité linguistiq­ue, elle hypothèque la diversité de points de vue sur le monde.

Il n'est donc pas question de livrer un combat d'arrière-garde contre la langue anglaise, perdu d'avance ; mais il faut au contraire défendre le principe de la dynamique des langues, reflétant la diversité culturelle qui fait la richesse d’un pays. La bataille des chiffres sur le nombre des population­s francophon­es qui se résume au seul décompte des individus appartenan­t aux pays qui se reconnaiss­ent de moins en moins comme francophon­es, ou le sujet de l'émergence d'une conscience francophon­e solidaire, que ne manquent jamais de se livrer les observateu­rs de la francophon­ie, paraissent aussi vains que dérisoires. A n'être qu'une langue de culture ou de population­s déscolaris­ées, et non une langue de communicat­ion, le français est voué à être une langue morte n

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Ces dernières années, l'apprentiss­age de l'anglais gagne du terrain.

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