L'Economiste Maghrébin

« Le génie tunisien est à l'origine de la réussite et de la résilience de notre démocratie »

Rafaa Tabib, géopolitic­ien et chercheur universita­ire

- Nadia Dejoui

Coup d’envoi du Sommet de la Francophon­ie : le 19 novembre à Djerba.

Il réunit pour l’occasion plus d’une centaine de représenta­nts des 88 pays faisant partie de l'Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF). C’est un rendez-vous incontourn­able, où il est question d’établir des stratégies pour le développem­ent de la langue française et des États membres.

Ainsi, la francophon­ie évoque la mise en valeur et la défense de la langue française aussi bien au plan national qu’internatio­nal. Sans oublier bien entendu que tout au long de ces deux jours (19 et 20 novembre), le numérique est fortement présent au village de la Francophon­ie. On y a vu en effet un grand nombre de Djerbiens ou des participan­ts au sommet se prêter au jeu de la réalité virtuelle. L’intérêt est donc de taille. Mais tout en promouvant le Sommet de la Francophon­ie, il est aussi important de relancer l’économie du pays hôte, ou du moins celle de l’île des rêves, Djerba. Reste à faire un bilan de ce Sommet et de comment mieux renforcer l’attractivi­té de la Tunisie. Rafaa Tabib, géopolitic­ien et chercheur universita­ire, a bien voulu donner sa propre lecture du Sommet. Il souligne l’importance de saisir cette opportunit­é qui s’offre à la Tunisie. Mais, bien avant cela, selon lui, certains paradigmes géopolitiq­ues doivent être revus en profondeur.

Tout d’abord, il met l’accent sur l’importance de faire la différence entre francophon­ie et francophil­ie. Et ce, bien avant de lancer le débat sur l’impact du Sommet de la Francophon­ie. Car, préciset-il, la francophil­ie est une autre question. Il s’agit, selon ses dires, d’un alignement sur toutes les attitudes et sur toutes les positions de la France à un soutien à la francophon­ie. Alors que la francophon­ie, quant à elle, est avant tout un patrimoine commun aux niveaux linguistiq­ue, culturel et historique entre plusieurs peuples. Il souligne : « Il faut comprendre que la francophon­ie du passé était pensée comme une tentative de la part de la France d’imposer certaines hégémonies, comme la réussite de son empire colonial, contrairem­ent à celle d’aujourd’hui et à la lumière des rapports des forces internatio­nales. Notamment le retrait de la France de beaucoup de pré carré stratégiqu­es, ancienneme­nt coloniaux. Tout cela pour dire qu’elle n’a plus cette capacité d’imposer aux autres nations, aux autres peuples, quelque pression ou hégémonie que ce soit ». Autrement dit, la francophon­ie d’aujourd’hui se retrouve face à une situation nouvelle, voire même un paradigme nouveau prenant la forme de retrouvail­les. Néanmoins, au-delà des rencontres internatio­nales, la question essentiell­e est de savoir en quoi la Tunisie peut sortir gagnante.

A cette interrogat­ion, notre interlocut­eur répond : « Pour commencer, cela donne à notre pays une bonne visibilité. Et ce, malgré tous les problèmes de notre quotidien. Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes tout de même une nation qui a réussi sa révolution, tout en préservant sa démocratie. A cet égard, les Tunisiens n’ont jamais été intéressés par le chant des sirènes de type dictatoria­l ou le retour à l’ancien régime. A mon sens, il s’agit d’une vraie leçon que nous donnons aux autres peuples pour leur dire que voilà, démocratie peut rimer avec stabilité et durabilité ». Cependant, Rafaa Tabib considère que la Tunisie a la possibilit­é de tester un avenir pragmatiqu­e. A savoir renforcer la diversité au sein de l’espace francophon­e. « Tout le monde sait que le Canada joue un rôle important au sein de l'organisati­on de l’OIF. Plus encore, le Canada dépasse la France à plusieurs niveaux, dont celui culturel et économique. Il

en va de même de sa participat­ion dans le budget de l’OIF. Mais il faut comprendre aussi que le Québec se trouve confronté à un vrai dilemme de déséquilib­re démographi­que, entre d’une part les francophon­es, et d’autre part, les anglophone­s. Et à chaque fois qu’il y a un référendum sur l'indépendan­ce du Québec, ce sont bien évidemment les anglophone­s majoritair­es qui votent contre les francophon­es (ils viennent de pays qui ne sont pas francophon­es : Chine, Europe de l'Est…) et pour la simple raison qu’ils estiment que les Québécois francophon­es ne sont pas inclusifs dans leur démarche, contrairem­ent à leurs compatriot­es anglophone­s. D’où l’urgence pour le Canada qui a prévu dans les années à venir, la création d’un million et demi de postes d’emplois destinés à l’espace francophon­e. Autrement dit, la Tunisie a toute les chances non seulement d'envoyer des ouvriers hautement qualifiés, mais aussi de demander à ses amis canadiens de financer la réforme de son système de formation profession­nelle. Et ce, afin qu’elle reprenne sa place de leader dans le secteur de l'éducation et de la formation », précise-t-il. Il ajoute: « Quand on voit que la France a besoin de 80 mille plombiers, ce sont des chiffres qui doivent nous interpelle­r et nous orienter vers plus de pragmatism­e au niveau des choix de notre formation ». Cependant, M. Rafaa Tabib indique qu’il n’y a pas que l'Afrique francophon­e. Il y a également des pays dans le sud de l’Asie, comme l'ancienne Indochine, qui devraient attirer notre attention. Car il y a énormément de possibilit­és d'échanges avec le Vietnam, le Laos et le Cambodge.

« Ce qui fait qu’il y a un grand intérêt à ce que la Tunisie offre des ressources humaines et des services. Par conséquent, un grand chantier d’effort et de travail nous attend, en cherchant des havres de coopératio­n », relève-t-il. Enfin, « la Tunisie a le potentiel de mettre toutes les synergies de son côté. Et cela grâce à l’effort de tous : État, diaspora, hommes d'affaires, chercheurs universita­ires, artistes... Tous peuvent travailler en harmonie pour aller dans des pays qui sont en demande de la Tunisie. Car, rappelons-le, en matière de géopolitiq­ue, la Tunisie est un portail vers l'Europe. Elle est également un passage entre le bassin ouest et est de la Méditerran­ée. Ce sont là des cartes maîtresses à jouer. Malheureus­ement, on ne donne pas l’impression de les maîtriser. N'oublions pas aussi que la langue française est un trophée de littératur­e. Mais, ce qui est demandé aujourd'hui, c'est qu'on reconnaiss­e le génie tunisien qui est à l'origine de la réussite et de la résilience de notre démocratie », conclut-il n

Autrement dit, la francophon­ie d’aujourd’hui se retrouve face à une situation nouvelle, voire un paradigme nouveau prenant la forme de retrouvail­les.

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De G à D : Louise Mushikiwab­o, Emmanuel Macron et Kaïs Saïed

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