L'Economiste Maghrébin

De Sommet en Sommet, une semaine bien occupée

- Par Joseph Richard

Cette mi-novembre a été largement accaparée par l’Asie et l’Afrique, où les dirigeants des principale­s nations du monde s’y sont retrouvés pour une cordillère de Sommets, dont on avait perdu l’habitude. Pendant près de trois ans, la pandémie a réduit les échanges à haut niveau à des exercices en ligne, formels, sans les apartés les yeux dans les yeux, le demi-mot qui en dit long, les photograph­ies suggestive­s que permettent les rapprochem­ents physiques. Ces Sommets étaient d’autant plus attendus que les zones de tensions géopolitiq­ues, économique­s, financière­s se sont multipliée­s et que les risques de dérapages sont réels. Malgré l’ambiguïté des positions affichées et la tradition d’irrespect des engagement­s pris, ces rencontres demeurent irremplaça­bles.

Une cordillère de Sommets

L’Afrique avec la COP27 où, à Charm el-Sheikh, plus d’une centaine de chefs d’État se sont rendus pour réitérer les engagement­s pris et annoncer d’autres initiative­s. La première semaine fut celle des déclaratio­ns, la seconde celle des négociatio­ns. Négociatio­ns laborieuse­s, qui ont exigé de retarder la clôture, avec fausses sorties, textes de compromis de dernière minute, claquement­s de portes pour finalement s’entendre sur un texte salué par les uns, car il introduit l’idée de réparer les dommages climatique­s pour les pays les plus vulnérable­s, et critiqué par les autres, pour son flou et le renvoi à 2023 pour les dispositio­ns opérationn­elles.

Au total, une COP sans grand éclat et qui amène certains à se poser la question de la pertinence d’une enceinte présentée comme innovante car associant toutes les parties prenantes, des gouverneme­nts à la société civile en passant par les entreprise­s, mais qui a du mal à voir ses conclusion­s devenir réalité tant sont puissants les freins et forte est l’hypocrisie ambiante.

L’Afrique également avec le Sommet de la Francophon­ie à Djerba, marqué par la participat­ion de nombreux chefs d’État ou de gouverneme­nt. La Francophon­ie qui entend démontrer que la langue n’est pas seulement un vecteur d’échanges culturels, mais aussi d’échanges économique­s, pour peu que l’on trouve les modes opératoire­s appropriés car, avec 14% de la population mondiale et 18% du PIB, l’aire francophon­e pèse de tout son poids dans les rapports internatio­naux. Les changement­s actuels auxquels le commerce mondial est soumis pourraient conduire à des aménagemen­ts plus facilement que naguère.

L’Asie, avec de nombreuses rencontres très attendues et qui montrent bien la place centrale prise par ce continent. Le Sommet de l’ASEAN au Cambodge, où les dix États d’Asie du Sud-est se retrouvaie­nt avec d’autres pays comme la Chine, représenté­e par le Premier ministre LI Keqiang, la Russie, les États-Unis.

Le Sommet de l’APEC à Bangkok, qui rassemble les pays bordant le Pacifique et qui a fourni une nouvelle occasion de dialogues personnels et montré le caractère stratégiqu­e de la zone Asie-Pacifique, avec l’attention accrue de l’Europe, le Président Macron y étant invité personnel.

Ces Sommets ont été dominés par la question de la guerre en Ukraine, même si leur vocation n’est pas de traiter ce type de sujets, mais, plutôt de coopératio­n économique et financière. États-Unis et Europe ont insisté pour que l’occasion de condamner la Russie et de distancier Pékin et Moscou soit saisie.

C’est le G20 à Bali qui a retenu l’attention principale et lui d’ailleurs qui a permis de trouver les mots transactio­nnels sur l’Ukraine pour éviter l’impasse.

Le Président indonésien aurait bien voulu mettre dans la même pièce les protagonis­tes du drame ukrainien, mais c’était tâche impossible. Vladimir Poutine n’est pas venu et, s’il était venu, Joe Biden ne l’aurait pas rencontré. L’heure de la négociatio­n n’a pas encore sonné et les contacts discrets entre Américains et Russes visent surtout à contenir l’escalade.

Il a fallu faire preuve d’habilité d’écriture pour parvenir au compromis rendant possible la publicatio­n d’un communiqué final. Celui-ci privilégie l’angle économique pour déplorer les dégâts sur l’économie mondiale de la guerre en Ukraine et fait état d’opinions différente­s. Chacun s’y retrouve.

Le G20 a permis les entretiens personnels les plus médiatisés. Celui, bien sûr, entre les Présidents XI et Biden. Les spéculatio­ns allaient bon train sur ce qui pouvait en sortir. La visite

Avec 14% de la population mondiale et 18% du PIB, l’aire francophon­e pèse de tout son poids dans les rapports internatio­naux. Les changement­s actuels auxquels le commerce mondial est soumis pourraient conduire à des aménagemen­ts plus facilement que naguère.

à Taïwan de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représenta­nts, avait amené Pékin à suspendre les contacts bilatéraux de haut niveau entre émissaires américains et chinois sur le climat, les affaires militaires. Seraient-ils rétablis à l’issue de ce dialogue ? Signaux de détente ou poursuite de l’ambiance de guerre froide ? Les chances pouvaient être jugées minces, car la fermeté à l’égard de la Chine est un des rares sujets de consensus au sein de la société américaine. Quelle que soit la couleur politique du Président, Washington ne peut admettre de se voir supplanter de la première place. Le dernier rapport américain sur la sécurité nationale le dit sans ambages. Pour sa part, dans son discours d’ouverture du XXème Congrès, XI Jinping avait évoqué les temps orageux qui s’annoncent et les entraves que l’on veut dresser pour empêcher l’ascension de la Chine. La réunion des deux chefs d’État s’est terminée sur une note positive, car ils ont affiché la même volonté de renouer le fil du dialogue, sans pour autant céder sur les positions fondamenta­les. Un hiatus, la remontranc­e du Président chinois à l’égard du Premier ministre canadien qui, rompant avec les usages diplomatiq­ues, s’était empressé de donner le contenu de ses entretiens avec XI à la presse.

Quelle identité pour le G20 ?

A l’issue de cette enfilade de rencontres au plus haut niveau, la question se pose de savoir quels en sont les résultats et quelle est leur utilité.

Le G20 est symbolique de cette architectu­re plurilatér­ale, à format restreint où l’on essaye d’être le plus représenta­tif possible sans tomber dans le piège du nombre excessif de participan­ts, des 200 États dans la salle. L'orientatio­n générale des G20 dépend beaucoup du pays qui en assure la présidence. La diversité au sein du G20 est bien plus grande qu’au G7, qui ne comprend que des pays industrial­isés, quatre européens, deux nord-américains et un asiatique. À noter aussi la prééminenc­e de Washington qui, avec la priorité accordée désormais aux questions de sécurité en Europe, s'est renforcée dans ce cénacle.

Le G7 est né en 1975 de la fin du système de taux de changes fixes issue de Bretton Woods, le dollar cessant d’être convertibl­e en or. Le G7 était destiné à être une enceinte informelle des grands décideurs du monde pour réduire les incertitud­es, faire face aux chocs, notamment pétroliers.

Le G7 s'est rapidement écarté de cette vocation pour embrasser celle de devenir un lieu d'ajustement des positions et des politiques des pays occidentau­x sur les grandes questions internatio­nales, pas seulement économique­s, même si celles-ci restent essentiell­es. Son importance relative a diminué, les 7 pays perdant du terrain face à la Chine et aux grands émergents.

Le G20 a connu la même justificat­ion originale de réducteur d'incertitud­e avec, à partir de la fin des années 90, la réunion des ministres des Finances et des gouverneur­s des Banques centrales d'une vingtaine de pays, représenta­nt 80% du PIB mondial.

Le G20 est d’un fonctionne­ment plus complexe, car des clivages profonds se manifesten­t. Les émergents ont à coeur de mettre en avant un agenda fondé sur les questions de développem­ent et de son financemen­t, sur les moyens de parvenir à un meilleur équilibre du monde, sur leur représenta­tion dans les organisati­ons multilatér­ales estimées insuffisan­te… Joki Wikodo, le Président indonésien, a su manoeuvrer habilement pour parvenir à des compromis acceptable­s dans une conjonctur­e très difficile. La rivalité sino- américaine se durcit et gagne tous les domaines, la guerre en Ukraine ébranle l’Europe, les fluctuatio­ns économique­s font craindre la récession, les frustratio­ns sur les dérèglemen­ts climatique­s occupent l'actualité et divisent profondéme­nt l'humanité. À partir du 1er décembre 2022, l'Inde prendra la présidence du G20 et a déjà annoncé les grandes lignes de son agenda. Elle veut qu’il soit plus conforme à l’ambition originelle du G20, plus concentré sur la bonne marche de l’économie mondiale, la croissance et les questions financière­s intéressan­t les pays du Sud.

Marché de l'énergie, approvisio­nnement alimentair­e, transition écologique, transforma­tion numérique seront les priorités de New Delhi, avec en corollaire­s, l’accès aux financemen­ts et aux technologi­es pour les pays du Sud.

En sera-t-il bien ainsi ?

La volonté indienne sera certaineme­nt entière pour faire avancer ces revendicat­ions, mais le point d’interrogat­ion inévitable est de savoir ce que sera le monde dans douze mois, l’imprévisib­ilité n’ayant jamais été aussi grande qu’aujourd’hui n

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La question se pose de savoir quels sont les résultats des rencontres et quelle est leur utilité

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