Encore deux ans de gestion des affaires courantes
Quel bilan faire après l’entame de la quatrième année de pouvoir de Kaïs Saïed ? Car, oui, depuis son élection plébiscitaire de l’automne 2019, c’est bien l’an IV de sa présidence qui a bel et bien commencé alors que l’impression domine qu’on en est seulement au début de l’an II. La rupture imposée par le coup de force du 25 juillet 2021 et sa prise des pleins pouvoirs abolissant le Parlement élu sont passées par là. Cela donne l’impression qu’il en est encore seulement à sa deuxième année de présence au sommet de l’Etat. Et que, finalement, tout se passe de nos jours comme si le cours de l’histoire actuelle de la Tunisie avait commencé à l’été 2021 et que l’on serait aujourd’hui, en 2022, encore seulement dans la deuxième année du régime présidé par Kaïs Saïed.
Mais, en réalité, depuis son élection plébiscitaire à la présidentielle de l’automne 2019, nous en sommes actuellement, il faut le rappeler, au début de sa quatrième année de présidence quinquennale de la République. Mais son coup de force d’il y a à peine seize mois a marqué une telle rupture d’avec la présence d’un Parlement défaillant qu’on a l’impression que tout a commencé le jour de la mise à l’écart des parlementaires élus.
Quel bilan tirer après trois années de présidence ? En apparence, certes, cela se résume à une one-man-révolution, autrement dit la révolution d’un seul homme. Après un semblant de dialogue avec un certain nombre de personnalités publiques promptes à révolutionner la manière de gouverner, c’est-à-dire à mettre en place un régime aux pouvoirs équilibrés, les institutions ont été radicalement changées du fait référendaire, le Parlement ayant été dissous au profit d’un pouvoir législatif accaparé par le locataire du palais de Carthage. Commencée avec les pleins pouvoirs du chef de l’Etat selon une interprétation personnelle de la Constitution de 2014, la gestion des affaires courantes du pays se poursuit ainsi sous ce régime d’exception, en attendant la mise en place d’une nouvelle Assemblée des représentants du peuple sans réels pouvoirs et promise avec l’échéance législative du 17 décembre prochain. Car il s’agit bien pour l’heure et encore d’une simple gestion des affaires courantes de la Tunisie. Assurément, il y a un gouvernement qui travaille, mais il ne fait que ceci : gérer au jour le jour un pays endetté jusqu’au cou, ce qui ne laisse guère de place à des réformes susceptibles de se traduire par des investissements publics en faveur de l’emploi. On voit certes apparaître de temps à autre la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, mais ses discours ne traduisent aucune vision quant aux principales préoccupations de ses concitoyens, dont, au premier chef, la lutte contre le chômage.
On observe également la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, s’exprimer sur les contreparties consenties au Fonds monétaire international (FMI) en échange d’un prêt devant soulager l’endettement excessif de l’Etat, mais personne ne la croit quand elle affirme que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que le pays n’est pas en passe de traverser une période de lourds sacrifices pour restructurer ses entreprises publiques et le mode de subvention des produits de première nécessité. Seule certitude annoncée publiquement : chacun a compris qu’on se dirige progressivement, voire brutalement, au regard du portefeuille qui sera saigné à blanc, vers la réalité du prix de l’essence à la pompe. Ce qui, du fait de sa répercussion sur l’ensemble de l’économie, est l’équivalent d’une annonce d’inflation à deux chiffres dans un avenir proche. Pourtant, on voit mal le Président, qui s’est jusqu’ici cantonné dans des réformes purement institutionnelles, envisager de se représenter à un second mandat en 2024 dans un univers encore plus inflationniste qu’il ne l’est déjà. En l’absence d’une dimension d’homme d’Etat offrant des perspectives de sortie de crise, ce serait se tirer une balle dans le pied et aller perdant d’avance aux élections.
Tout porte à croire que Saïed retardera plutôt, autant que possible, l’échéance de la réalité des prix qui risquerait de le priver à coup sûr d’un vote favorable à sa réélection. Il y a fort à parier qu’il pèsera de toutes ses forces pour que se poursuive une conduite morne des affaires de l’Etat et que, coutumier du fait, ses arguments se limiteront à dénoncer des ennemis partout, pendant que les priorités économiques continueront d’être reléguées au second plan. Est-ce tenable, et jusqu’à quand ? n
Dénoncer des ennemis partout, pendant que les priorités économiques continueront d’être reléguées au second plan. Est-ce tenable, et jusqu’à quand ?