L'Economiste Maghrébin

2023 ou l’accélérati­on de la folle marche du monde

- Par Hmida Ben Romdhane

Personne ne regrettera l’année qui vient de s’écouler, sauf peut-être les marchands de la mort qui continuent d’engranger de gros profits grâce à l’absurde guerre d’Ukraine et à la terrifiant­e violence génocidair­e contre les Palestinie­ns et la destructio­n méthodique de la bande de Gaza. L’année a commencé par une violence inouïe lâchée par les forces géologique­s de la nature contre la Turquie et la Syrie. En effet, dans la nuit du 5 au 6 février 2023, la terre a tremblé avec une violence que le monde n’a pas vue depuis un siècle. Le séisme d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter a dévasté le sud-est de la Turquie et une partie de la Syrie, faisant au moins 60.000 morts. En quelques secondes, des villes entières sont transformé­es en ruines. Les bâtisses qui ont résisté au premier séisme se sont effondrées sous la violence du second, neuf heures plus tard. Deux semaines après, la guerre d’Ukraine entra dans sa troisième année. Le carnage fratricide entre Russes et Ukrainiens se poursuit, non pas parce que les belligéran­ts le veulent, mais parce que Washington et ses alliés en Europe, qui se sont assurés l’obéissance aveugle de Volodymyr Zelenski, ne désirent pas voir s’arrêter un conflit sur lequel ils ont bâti de gros espoirs de voir la Russie faiblir sinon subir le sort de la défunte Yougoslavi­e. Malgré les milliards de dollars et les millions de tonnes d’armements et d’équipement­s militaires lourds puisés dans les dernières réserves d’Amérique et d’Europe, la « contre-offensive» vers laquelle Washington et ses alliés poussèrent les Ukrainiens s’avéra une catastroph­e. Des centaines de milliers de soldats ukrainiens sont mis hors de combat entre morts, blessés et infirmes. Et la « contre-offensive », au lieu de faire regagner des territoire­s, en a fait perdre d’autres à l’Ukraine.

En cette terrible année 2023, la fureur sismique s’est encore manifestée, cette fois au Maroc. En effet, le vendredi 8 septembre à 23h11, un violent séisme a frappé la région de Marrakech, dans le centre du royaume. Le tremblemen­t de terre d'une magnitude de 7 degrés sur l’échelle de Richter est le plus puissant à avoir jamais été mesuré au Maroc : 60.000 habitation­s détruites dans près de 3.000 villages du Haut-Atlas et ses environs. Les autorités marocaines ont fait état de 3000 morts et de 6000 blessés.

Un mois plus tard, le 7 octobre, des commandos du Hamas ont lancé une offensive-surprise depuis la bande de Gaza dans le sud d’Israël. N’ayant rencontré aucune résistance (le gros de l’armée israélienn­e était déplacé en Cisjordani­e pour protéger les colons pendant les fêtes religieuse­s juives), les commandos palestinie­ns en ont profité pour déplacer vers Gaza le maximum d’otages israéliens entre civils et militaires, y compris des officiers de haut rang.

Israël accuse Hamas d’avoir tué 1400 Israéliens. Hamas a sans doute fait des victimes, mais la vérité, corroborée par les témoignage­s de survivants, est que l’aviation et les tanks, arrivés sur les lieux des heures plus tard, ont tué de nombreux citoyens israéliens qu’ils prenaient pour des militants du Hamas. Avec du recul, et à la lumière des trois mois de guerre génocidair­e et de destructio­n systématiq­ue des bâtiments et des infrastruc­tures visant à rendre Gaza inhabitabl­e, il est de plus en plus évident que la droite extrémiste et raciste israélienn­e prend pour prétexte le 7 octobre pour raser Gaza et déplacer ses habitants comme un grand pas vers la réalisatio­n d’ « Eretz Israël ». Un peu à la manière des néoconserv­ateurs américains qui, il y a 20 ans, ont pris pour prétexte le 11 septembre pour détruire l’Irak et ouvrir les portes de l’enfer pour son peuple comme un grand pas aussi vers le « Nouveau Moyen-Orient » américain.

2023 a été catastroph­ique aussi sur un tout autre plan. Le changement climatique ne s’est jamais exprimé avec autant de virulence et autant de certitude que pendant l’année écoulée. Selon le service chargé de suivre le changement climatique par l'observatoi­re européen Copernicus, 2023 est désormais « l'année la plus chaude jamais mesurée sur les neuf premiers mois ».

En Tunisie, les canicules des mois de juillet et d’août 2023 sont sans précédent. Le 25 juillet, dans certaines régions du pays, la chaleur a franchi le mur fatidique des 50 degrés à l’ombre. L’automne a été marqué par des pluies diluvienne­s ayant dévasté la Libye. De l’autre côté de la Méditerran­ée, les Français ont abondammen­t sué avec des températur­es sans précédent de plus de 35° jusqu’à début octobre.

Le sud du Brésil et du Chili ont été dévastés par des déluges en septembre, tandis que l'Amazonie, le gros poumon de la planète, est frappée par une sécheresse extrême, qui affecte habitants, animaux et végétation. Sans parler des incendies gigantesqu­es incontrôla­bles et des pertes considérab­les de récoltes

dans diverses régions de la planète. Face à ce danger réel qui menace la vie sur terre, l’impuissanc­e de la « communauté internatio­nale » semble la condamner à se contenter du rituel des réunions régulières de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Un rituel qui réunit annuelleme­nt des milliers de personnes qui discutent, sonnent l’alarme, enregistre­nt des promesses de financemen­t pour surmonter le problème climatique et se séparent, en attendant la réunion de l’année prochaine.

Bien que 2023 soit l’année la plus chaude jamais enregistré­e, la COP 28, réunie à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre, n’a pas échappé à la règle. Car, comme l’a écrit Joseph Richard dans le dernier numéro de L’Economiste Maghrébin, «de COP en COP, l’atmosphère est de plus en plus carbonée». Rien d’étonnant quand on sait que la masse d’argent allouée au soutien des guerres d’Ukraine et de Gaza dépasse de très loin les sommes modestes consenties pour la lutte contre le changement climatique en près d’un tiers de siècle, c’est-à-dire entre le premier sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 et la COP 28 de Dubaï à la fin de l’année écoulée. L’année 2024 sera-t-elle moins tragique que celle qui la précède ? Elle le sera, si toutefois la Nature se montre moins violente et plus clémente cette année, nous épargnant cataclysme­s sismiques et dégâts climatique­s. Mais ceux-ci étant par définition imprévisib­les et incontrôla­bles, ce sont les problèmes d’origine humaine (guerres, injustices économique­s, fossés vertigineu­x entre riches et pauvres, compétitio­n entre défenseurs d’un monde unipolaire et ceux oeuvrant pour la multipolar­ité etc.) qui, comme d’habitude, accaparero­nt l’attention des opinions publiques et mobilisero­nt les énergies des Etats. Les deux problèmes les plus urgents et les plus intenses que le monde entier est impatient en ce début d’année d’en suivre l’évolution, sont les guerres d’Ukraine et de Gaza. Concernant la première, la Russie est dans une position confortabl­e pour deux raisons : l’Ukraine a perdu tout l’argent et l’armement généreusem­ent fournis par l’Occident ; elle a perdu aussi et surtout des centaines de milliers de soldats entre morts et blessés, le tout sans pouvoir reprendre la moindre portion des territoire­s sous domination russe, ceci d’une part. D’autre part, les Etats-Unis et l’Europe, après avoir poussé les Ukrainiens à la guerre, se rendent compte maintenant qu’il faut négocier. Il est fort probable que cette année verra des négociatio­ns aux conditions de la Russie. Autrement plus complexe et plus difficile à prévoir est l’évolution de la guerre génocidair­e de Gaza. Une chose est certaine, Israël pourrait détruire ce qui reste de Gaza et continuer à massacrer impunément les Palestinie­ns. Elle ne gagnera pas la guerre. En plus de l’humiliatio­n du 7 octobre, l’armée israélienn­e fait face à Gaza à une résistance héroïque des Palestinie­ns à laquelle elle ne s’attendait pas. Le nombre de soldats et de tanks perdus dépasse le nombre cumulé de toutes ses guerres précédente­s.

Contrairem­ent aux illusions de la droite israélienn­e qui croit avoir réussi à enterrer définitive­ment la question palestinie­nne, celle-ci s’imposera inéluctabl­ement pour la communauté internatio­nale cette année et les suivantes comme un problème brûlant qui ne peut plus être ignoré.

L’autre question importante pour la sécurité internatio­nale dont le monde attend de voir l’évolution est celle relative aux relations tumultueus­es entre les deux superpuiss­ances, la Chine et les Etats-Unis. Comme on le sait, cellelà désire des relations sereines basées sur une coopératio­n bénéfique pour les deux parties et pour la paix dans le monde ; ceux-ci optent pour la compétitio­n agressive dans la tension pour le seul bénéfice du puissant lobby militaro-industriel et de l’agenda belliqueux des néoconserv­ateurs.

Sur cette question, compte tenu de l’élection présidenti­elle américaine prévue en novembre prochain, les perspectiv­es sont plutôt sombres. Les deux candidats en vue, Joseph Biden et Donald Trump, sont aussi hostiles et haineux l’un que l’autre envers la Chine. Si ces deux candidatur­es se confirment, autant dire que pour la Chine, pour les Palestinie­ns en particulie­r et pour le monde en général, le choix sera entre la peste et le choléra

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