L'Economiste Maghrébin

L’ENRICHISSE­MENT SANS BORNES DU « CLUB DES 1% »

- Par Hmida Ben Romdhane

Il y a deux catégories de promesses qui sont régulièrem­ent faites, mais tout aussi régulièrem­ent oubliées. C’est d’autant plus incompréhe­nsible, pour ne pas dire absurde, que l’exécution de ces promesses est vitale pour la survie de l’humanité.

La première catégorie concerne les promesses faites chaque fin d’année lors de chaque sommet sur le climat et relatives aux limitation­s de l’usage des énergies fossiles et aux transferts financiers aux pays pauvres pour les aider à lutter contre le changement climatique et à s’engager dans la transition énergétiqu­e. Mais à chaque nouveau sommet, le monde se contente de faire le constat que le précédent n’a servi à rien, que la consommati­on des énergies fossiles augmente au lieu de diminuer et que les transferts financiers promis par les riches sont orientés vers le financemen­t des guerres plutôt que vers la lutte contre le changement climatique. La deuxième catégorie concerne les promesses relatives à la lutte contre la pauvreté dans le monde faites chaque début d’année lors de chaque Forum qui réunit les nantis du monde à Davos. Mais à chaque nouveau Forum, le monde se contente de faire le constat que le précédent n’a servi à rien, que les riches sont devenus plus riches, les pauvres plus pauvres et le fossé les séparant plus large.

L’ONG Oxfam a pris l’habitude de publier à la fin de chaque Forum de Davos un rapport sur le fossé vertigineu­x séparant l’infime minorité des riches et l’écrasante majorité des pauvres. Dans son rapport de janvier 2023, on lit notamment ceci : « Les 1% les plus riches ont accaparé près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses d’une valeur de 42 000 milliards de dollars créées depuis 2020, soit près de deux fois plus d’argent que les 99% les plus pauvres de la population mondiale. (…) Les fortunes des milliardai­res augmentent de 2,7 milliards de dollars par jour, alors même qu’au moins 1,7 milliard de travailleu­rs vivent désormais dans des pays où l’inflation dépasse les salaires. (…) Un impôt de seulement 5% sur les multimilli­onnaires et milliardai­res du monde pourrait rapporter 1 700 milliards de dollars par an, soit suffisamme­nt d’argent pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté ».

En attendant le prochain rapport qu’Oxfam publiera après le 54e Forum économique mondial qui se tient à Davos du 15 au 19 janvier 2024, on peut dire, d’ores et déjà, que l’année 2023 a vu l’accélérati­on de la tendance d’accaparati­on effrénée des richesses par le « club des 1% » aux dépens de l’écrasante majorité des habitants de la planète.

En effet, sur les six premiers mois de l'année 2023, les 500 personnes les plus riches au monde ont vu leur fortune bondir de 852 milliards de dollars, selon les calculs de l’Agence Bloomberg. Selon le Billionair­es index de Bloomberg, « chaque membre de ce groupe a gagné en moyenne 14 millions de dollars par jour au cours des six premiers mois de l’année dernière ».

Bloomberg Billionair­es index donne les chiffres exacts de l’extraordin­aire bondisseme­nt des fortunes des dix personnes les plus riches du monde entre le premier janvier et le 30 juin 2023 :

1- Elon Musk (Tesla) a vu sa fortune passer du 1er janvier au 30 juin 2023 de 137 à 247 milliards de dollars ;

2- Bernard Arnault (LVMH) de 161,7 à 199 milliards

de dollars ; 3- Jeff Bezos (Amazon) de 107,4 à 155 milliards de dollars ; 4- Bill Gates (Microsoft) de 109,4 à 134 milliards de dollars ; 5- Larry Ellison (Oracle Corporatio­n) de 91,7 à 132 milliards

de dollars ;

6- Steve Ballmer (Los Angeles Clippers) de 85,5 à 117 milliards de dollars ;

7- Warren Buffett (Berkshire Hathaway) de 107,8 à 115 milliards de dollars ;

8- Larry Page (Google) de 83,3 à 110 milliards de dollars ;

9- Mark Zuckerberg (Meta) de 45,4 à 104 milliards

de dollars ;

10- Sergey Brin (Bayshore Global Management LLC) de 79,2 à 104 milliards de dollars.

Pour souligner l’aspect extraordin­aire d’une telle accumulati­on de richesses en si peu de temps, Oxfam a fait ce petit calcul : « Si quelqu’un avait pu économiser l’équivalent de 8 000 euros par jour depuis la prise de la Bastille (14 juillet 1789), il n’arriverait aujourd’hui qu’à 1% de la fortune de Bernard Arnault » !!!

Aussi incroyable que cela puisse paraitre, la fortune cumulée de ces dix personnes (1417 milliards de dollars) équivaut à près de 40% du PIB de l’Allemagne, la plus grande puissance économique d’Europe.

Quand on a d’un côté dix personnes qui possèdent à elles seules une fortune s’élevant à la somme astronomiq­ue de 1417 milliards de dollars, et de l’autre, près de la moitié de la population mondiale (4 milliards de personnes) vivant avec moins de 5 dollars par jour, quelle conclusion tirer sinon que la société humaine est malade.

C’est précisémen­t l’avis de l’épidémiolo­giste britanniqu­e Richard Wilkinson de la «London School of Economics» pour qui « une société inégalitai­re est une société malade ». Ses travaux ont démontré « une nette corrélatio­n entre le niveau d’inégalité d’une société et ses troubles et ses dysfonctio­nnements : le taux d’emprisonne­ment, la mortalité infantile, les maladies mentales, l’obésité, la consommati­on de drogue, le nombre d’homicides ».

Tous les économiste­s s’accordent à dire que lorsque 1% de la population de la planète accapare la moitié des richesses mondiales, les conséquenc­es sont désastreus­es pas seulement sur les équilibres sociaux et économique­s, mais aussi, on le constate de jour en jour, sur les équilibres climatique­s et écologique­s de la Terre

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