L'Economiste Maghrébin

Les banques continuent de briller de mille feux

- Bassem Ennaifar

La Banque centrale de Tunisie a publié son rapport sur la supervisio­n bancaire pour l’année 2022. C’est un document qui constitue une mine d’informatio­ns qui nous aide à comprendre l’avenir de l’industrie bancaire et son potentiel de croissance.

Les statistiqu­es nous expliquent également pourquoi la digitalisa­tion de l’économie reste toujours théorique tant que la majorité des Tunisiens restent à l’écart des finances organisées.

Les banques suivent le cash

Sur les dernières années, le réseau des agences des banques tunisienne­s a bien évolué. Fin 2022, il est composé de 2 031 agences contre 1 913 fin 2018. Cela signifie qu’environ 30 nouveaux points de vente sont annuelleme­nt créés sur la période. C’est un très faible rythme pour un pays qui cherche à améliorer ses indicateur­s de bancarisat­ion. La densité bancaire s’est établie à 5 812 habitants en 2022, contre 7 471 en 2012. A titre de comparaiso­n, dans la zone Euro, une agence bancaire sert en moyenne moins de 3 000 habitants. Il y a donc du chemin à parcourir pour se rapprocher des meilleurs indicateur­s. Encore plus, il faut tenir compte de la répartitio­n géographiq­ue de cette présence. Il y a une concentrat­ion dans les pôles économique­s du pays. Le Grand Tunis, Sousse, Sfax, Nabeul et Monastir se partagent 1 459 agences, soit 71,8% du réseau national. A l’autre bout du spectre, Tozeur, Tataouine, Kébili, Siliana, Zaghouan, Le Kef, Kasserine et Sidi Bouzid n’abritent que 173 antennes des banques, dont 69 agences sont assurées par les trois établissem­ents de crédit publics, alors que tous ceux privés assurent le reste. Ici, c’est l’un des rôles clés des banques publiques qui acceptent d’aller s’implanter dans les régions peu attractive­s pour celles privées. Ces dernières n’ouvrent un point de vente que s’il y a un potentiel de collecte de dépôts, ce qui n’est pas le cas dans les zones défavorisé­es.

A noter que le lancement envisagé de la Banque postale peut améliorer tous les indicateur­s en one shot. La Poste a 1 046 bureaux informatis­és répartis sur tout le territoire, et nous pouvons passer du simple au double en termes de bancarisat­ion dans certaines régions. De ce point de vue, c’est une étape nécessaire pour la digitalisa­tion tant souhaitée de l’économie.

La Covid est passée par là

Le nombre de comptes ouverts auprès des banques résidentes s’est établi à 10,031 millions de comptes. En 2011, ce chiffre était de 6,103 millions, soit une moyenne de 392 800 nouveaux comptes par an sur cette période. Ce rythme est relativeme­nt élevé si nous tenons compte qu’il y a 64 agences nouvelles par an, sur la même période, avec une faible progressio­n du nombre des actifs dans l’économie.

Si nous poussons encore les calculs, nous constatons que par point de vente, il y a en moyenne 4 939 comptes. De plus, ces comptes sont gérés par 20 137 personnes, soit 498 clients par agence. En 2011, ce chiffre était de 323. Les banques ont donc bien amélioré leur efficacité opérationn­elle, justifiant ainsi la charge du personnel et leur coefficien­t d’exploitati­on à 44,9% fin 2022 (50,7% fin 2011).

Par type de compte, les comptes d’épargne sont de loin dominants, au nombre de 5,295 millions, mais ils ont baissé relativeme­nt par rapport à 2019, où il y avait 5,762 millions de comptes du même type. Idem pour les comptes à vue, dont le nombre est passé de 3,924 millions fin 2019 à 3,564 millions trois ans plus tard. L’effet de la crise sanitaire est visible et a laissé des traces aussi bien sur des établissem­ents financiers

qui investisse­nt peu, et sur un citoyen appauvri.

Le risque souverain est réel

La structure de l’actif des banques n’a pas trop évolué sur les dernières années, mais quelques chiffres méritent d’être analysés plus que les autres, à l’instar de la part des investisse­ments en portefeuil­les. Fin 2022, les placements des banques résidentes en dette souveraine locale se sont élevés à 22 700 MTND et 1 900 MTND sont alloués à d’autres titres de créances privés. En 2011, ces chiffres sont respective­ment de 3 231 MTND et de 200 MTND.

De plus, les financemen­ts bancaires octroyés à l’Etat et aux entreprise­s publiques ont poursuivi leur tendance haussière avec un accroissem­ent annuel de 23,1% pour se situer à 31 400 MTND. Ces chiffres sont très significat­ifs, car ils confirment l’idée générale que les banques sont en train d’investir massivemen­t en Bons du Trésor au détriment de l’investisse­ment privé. Cette situation s’est traduite par la hausse des pressions sur la liquidité bancaire, partiellem­ent atténuées par les efforts du secteur bancaire en matière de collecte des dépôts, avec une croissance de 10,1% à 96 661 MTND et ce, en tirant notamment profit du relèvement du niveau du taux de rémunérati­on de l’épargne.

Par ailleurs, les actifs pondérés par les risques ont évolué à un rythme moins rapide que celui des fonds propres nets, soit 6,9%. Cette tendance a permis au secteur bancaire de consolider son ratio de solvabilit­é s’élevant à 14%, contribuan­t à renforcer sa résilience face à une montée éventuelle des risques et aux nouvelles exigences prudentiel­les envisagées dans le cadre de la convergenc­e vers les standards internatio­naux (Bâle 3 et IFRS). Le ratio Tier I est à 10,9%, un niveau acceptable. Globalemen­t, seules trois banques, ayant une part de marché en termes d’actifs de 3,3%, se trouvent, en 2022, dans une situation de non-respect du minimum des ratios de solvabilit­é.

Statu quo

Tous ces chiffres montrent que les banques sont fortement présentes dans l’économie. Certes, c’est le cas, mais pas pour tout le monde. Selon l'Observatoi­re tunisien des services bancaires, plus de 50% des Tunisiens n’ont pas de comptes bancaires.

Outre les exigences d’une attestatio­n de travail aux nouveaux clients, une bonne partie des citoyens préfèrent évoluer loin des yeux, en optant pour les transactio­ns en liquide. Même le commerce électroniq­ue se résume souvent à une commande en ligne et à un paiement en cash. Toute l’économie souterrain­e utilise aussi ces méthodes, ce qui limite la capacité réelle de l’économie tunisienne à passer à l’ère de la digitalisa­tion.

Même si des tarificati­ons avantageus­es et des formules simples sont proposées par les banques et la Poste, l’améliorati­on du taux de bancarisat­ion évoluera peu. C’est une question de mentalité avant d’être une question de moyens. Entre-temps, les banques continuero­nt à gagner de l’argent, et l’Etat poursuivra sa politique de pression fiscale sur elles pour avoir sa part du gâteau d’un super profit qui n’a jamais servi la croissance­n

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