L'Economiste Maghrébin

L’aire arabe, définition et concepts

- Par Khalifa Chater

Les concepts civilisati­on, culture, califat définissen­t notre aire. Comment appréhende­r ces outils intellectu­els ? Le concept est une représenta­tion du réel.

La civilisati­on : Après avoir été largement employé depuis la fin du XVIIIe siècle au singulier, en l'opposant à la « barbarie », le terme est mis ensuite au pluriel, en particulie­r par les sciences sociales au XXe siècle. Si les ethnologue­s et anthropolo­gues ont préféré le terme de « culture », les historiens, les archéologu­es, et parfois les sociologue­s, ont largement utilisé le mot « civilisati­on ». Les politologu­es, et particuliè­rement Samuel Huntington dans Le Choc des civilisati­ons (1996), en ont fait usage. Certains historiens et géographes tels que Pierre Gourou et Fernand Braudel en ont fait une notion centrale de leurs approches. Le concept braudélien de civilisati­on (« civilisati­on matérielle ») est défini de la manière suivante : c'est d'abord un espace, une aire culturelle à laquelle sont rattachés des biens, matériels ou non, ce qui peut englober la forme des maisons, les traditions culinaires, la manière de vivre, etc., biens ayant une cohérence entre eux. Si, en plus de cela, une permanence s'observe dans le temps, alors Braudel définit une civilisati­on (Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, t. II, 1990, p. 292).

C’est donc l'ensemble des traits qui caractéris­ent l'état d'une société donnée, du point de vue technique, intellectu­el, politique et moral, sans porter de jugement de valeur. On peut alors parler de civilisati­ons au pluriel et même de « civilisati­ons primitives », au sens chronologi­que, sans connotatio­n péjorative.

La culture : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctif­s, spirituels et matériels, intellectu­els et affectifs, qui caractéris­ent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamenta­ux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (définition de la culture par l'UNESCO, déclaratio­n de Mexico sur les politiques culturelle­s. Conférence mondiale sur les politiques culturelle­s, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982).

La culture est donc l'ensemble des institutio­ns et des croyances. La culture fonde l'identité collective mais aussi ce qui la relie aux autres identités. Levi-Strauss estime que la vraie culture suppose l'ouverture sur l'universel et exclut la fermeture sur soi-même. On peut, d’après lui, parler de « l'arc-enciel des cultures humaines ». Ainsi définie, la culture fait valoir la création artistique, la spirituali­té, l'éthique, la vie de l'esprit, la connaissan­ce, l'étude, etc. La dépréciati­on de la culture par un peuple marquerait la défaite de la pensée. Lévi-Strauss prévoit dès les années 1970 une mondialisa­tion synonyme d'uniformisa­tion, écrivant que « l'humanité s'installe dans la monocultur­e ; elle s'apprête à produire la civilisati­on en masse, comme la betterave ». Promouvoir la culture nécessiter­ait de préserver les « fleurs fragiles de la différence ». La culture fait partie de la civilisati­on, de ses déterminat­ions sociales. Alors que la culture, produit des acteurs et des médias, reste sous contrôle, celle des réseaux sociaux tels que facebook s’accommode de l’errance du wifi. Le califat : C’est l’État fondé par les disciples du prophète Mohamed dirigé par un calife. Il dure du VIIe siècle jusqu'à la prise de Bagdad par les Mongols en 1258. Donnée originelle objective, il désignait donc les successeur­s du prophète, les califes rachidoun : Abu Bar, Omar, Othman et Ali. Il s’agissait donc d’une référence religieuse.

Le califat devint rapidement une institutio­n héréditair­e lorsque le système dynastique fut introduit dans le monde islamique par les Omeyyades, qui furent ensuite renversés et remplacés par les Abbassides. Après la destructio­n de Bagdad en 1258, les Abbassides ne détenaient rien d'autre que le titre luimême. Cela devait changer lorsque les sultans ottomans reprirent l'institutio­n, devenant ainsi les premiers et derniers non-Arabes à le faire. Ils le maintinren­t jusqu'en 1924, date à laquelle il fut officielle­ment aboli par le leader nationalis­te turc Mustafa Kemal Pacha (le père de la Turquie moderne). Concept musulman, il se réfère à une continuité du pouvoir prophétiqu­e. Il fait valoir de nos jours le choix passéiste, le salafisme global, réactualis­é et remis en valeur par le mouvement intégriste. Dans ce cas, le choix s’impose désormais entre le profane et le sacré. Autre concept pouvant être utilisé, le totalitari­sme : Il signifie étymologiq­uement « système tendant à la totalité » Il est issu de l'ouvrage de Hannah Arendt, Les Origines du totalitari­sme (1951). Fussent-elles parfois totalitair­es, les sociétés musulmanes évitent l’usage du concept totalitari­sme

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