L'Economiste Maghrébin

Un mal nécessaire

L’Etat peut-il faire un autre choix ? Emprunter pour payer des dettes ou dépenser ailleurs que dans des investisse­ments, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

- Mohamed Gontara

L’ adoption, mardi 6 février 2024, par l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) du projet de loi soumis par le gouverneme­nt visant à permettre à la Banque centrale de Tunisie (BCT) de financer le Trésor public à travers des facilités a provoqué, le moins que l’on puisse dire, des craintes. Exprimées essentiell­ement par des universita­ires et autres experts spécialisé­s dans les questions économique­s, ces craintes sont réelles. Elles se résument pour l’essentiel en quelques points : inflation, baisse des réserves en devises et dépréciati­on de la valeur du dinar. Et ce n’est pas peu : le gouverneur de la BCT a reconnu lui-même une baisse de 14 jours d’importatio­n.

«Minimiser les répercussi­ons»

C’est pourquoi Ridha Chkoundali, professeur à la Faculté des sciences économique­s et de gestion (FSEG) de Nabeul, a vivement souhaité que le montant objet de l’adoption (7 milliards de dinars) soit de 2,8 milliards de dinars seulement, soit « le montant accordé par la BCT en 2020 ». C’est aussi l’équivalent « du montant de la tranche de la dette à rembourser en février courant de 850 millions d’euros (environ 2,865 milliards de dinars empruntés par le gouverneme­nt Chahed en 2017). On l’aura compris, la propositio­n est faite pour « minimiser les répercussi­ons » de cet emprunt auprès de l’Institut d’émission. Il va sans dire que l’on s’est interrogé, à l’occasion, sur le pourquoi de cet emprunt : on emprunte pour rembourser une dette ou pour faire des dépenses. Une mauvaise approche, a estimé Samir Regaieg, expert financier qui, dans une déclaratio­n à notre confrère Tunisie numérique, le 7 février 2024, a affirmé que « d’autres mesures comme l’impulsion de l’épargne et de l’investisse­ment auraient pu être prises parce que l’absence de création de richesse et le recours à la planche à billets présentent un grand risque pour l’économie. Le financemen­t direct par la BCT de l’Etat ne crée pas de richesse ».

« Eviter le pire »

Abondant pratiqueme­nt dans le même sens, Ridha Chkoundali a précisé au micro d’Express Fm, que « si cet argent est utilisé pour le paiement des salaires et de la compensati­on, cela va se traduire par une hausse de l’inflation, outre un glissement du dinar, à cause de l’utilisatio­n des avoirs en devises pour le paiement de la dette, et qui dépendra du montant utilisé à cet effet du total de cet emprunt direct ». Par contre, « si l’ensemble de l’emprunt est utilisé pour le financemen­t de l’investisse­ment, cela aura des répercussi­ons positives sur l’économie, en boostant l’investisse­ment privé et en créant de la croissance, outre des recettes fiscales supplément­aires, et offrira une pérennité au niveau des finances publiques ».

On ne peut être plus clair. Reste que la Tunisie a-t-elle vraiment le choix ? La réponse est non, opine l’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan qui, dans une interview, le 7 février 2024, à notre confrère La Presse, nous dit que « le financemen­t direct du budget de l’Etat par la BCT est aujourd’hui inévitable » et que « le recours à la planche à billets est un mal nécessaire, car cela permettra au pays d’éviter le pire, c’està-dire une situation de défaut de paiement ».

On l’aura du reste compris. La ministre des Finances nous a bien dit, le 2 février 2024, lors d'une séance à l’ARP consacrée à son audition sur le projet de loi sur l’emprunt du Trésor auprès de la BCT : « la situation financière du pays n’est guère confortabl­e ». Elle a apporté ces quelques chiffres pour preuve : « les besoins de l'État en financemen­t pour l'année 2024 s'élèvent à 28 188 millions de dinars. L'État rembourser­a environ 25 797 millions de dinars au cours de l'année 2024 au titre du service de la dette, dont 7111 millions de dinars au cours du premier trimestre »n

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Sihem Boughdiri à l’ARP: « La situation financière du pays n’est guère confortabl­e ».

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