L'Economiste Maghrébin

Ennahdha et la descente aux géhennes

- Par Moncef Gouja

Dans sa longue vie de comploteur, Frère musulman Rached Ghannouchi, un des dirigeants mondiaux de cette organisati­on trans-nationale, n'a jamais vécu un cauchemar aussi horrible que celui qu'il vit maintenant. Et pour cause ! Il est en prison et vraisembla­blement pour longtemps, et même très longtemps. Alors qu'il purge des peines de prison pour lesquelles il a été jugé, un dossier vient d'être réouvert par la justice, après de longues années de manoeuvres et de procédures, celui de l'assassinat du leader de la gauche radicale, feu Chokri Belaïd. Une sorte de revanche posthume de ce martyr sur ses assassins, déjà inculpés ou présumés, et surtout véritables commandita­ires de cet horrible meurtre. Parmi les coupables présumés, la Cour désigne Rached Ghannouchi. Un commandita­ire? Le procès finira bien par nous éclairer !

Quand Ghannouchi était le maître de Tunis

Dans tous les cas de figure, Rached Ghannouchi était le maître absolu du pays, lorsque Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été crucifiés sur l'autel des ambitions insensées de celui qui maintenant se présente comme un vieillard, largement atteint par la maladie. Il voulait tout simplement transforme­r la Tunisie en une sorte de régence appartenan­t à un Califat, comme l'a déclaré son adjoint de l'époque, Hamadi Jebali en public, tellement ils étaient tous les deux sûrs de leur prophétie. Ils devaient sûrement penser à leur ami et patron Redjeb Tayyeb Erdogan. Lui aussi, à l'époque, rêvait de la restaurati­on de la Sublime Porte avec des régences un peu partout dans le monde, comme celle de Tripoli sur laquelle il avait lancé sa soldatesqu­e et pourquoi pas celle de Tunis. Ce n'était pas seulement une vue d'esprit, car à cette époque, nombre de martyrs tunisiens sont tombés sous les balles des terroriste­s de Ansar al-charia, une création ex nihilo d'Ennahdha, puisque son fondateur, Abu Iyadh en était, dans sa jeunesse, un membre actif avant de partir rejoindre Al Qaïda de Ben Laden et avant que les services turcs (encore eux) ne le remettent aux autorités tunisienne­s sous Ben Ali. En prison, avec les détenus d'Ennahdha, il était dans la même cellule que ses dirigeants les plus radicaux. De toute façon, lorsque la police tunisienne a voulu l'arrêter à Jame3 el Fath, d'où il menaçait de mettre le pays à feu et à sang, c'est encore un nahdhaoui, alors ministre de l'Intérieur, Ali Larayedh pour le nommer, qui donna l'ordre de le laisser filer, ce qu'il fit illico presto pour aller rejoindre en Libye son ami le terroriste libyen Abdelhakim Belhaj, d’où ils avaient préparé la tentative d'insurrecti­on de Ben Guerdane. Pendant ce temps, R. Ghannouchi nous chantait la litanie de l'islam démocrate, tout en continuant à envoyer des milliers de nos jeunes se faire tuer en Syrie au nom du djihad, dont Rached Ghannouchi est un des théoricien­s. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à lire sa littératur­e sur le sujet. N'est-il pas aussi le fondateur de l'Internatio­nale islamiste en 1992 à Khartoum avec son ami et gendre Hassen Tourabi et aussi Oussama Ben Laden, qui tenait à l'époque un camp d’entraîneme­nt de djihadiste­s ? Beaucoup de cadres politiques d'Ennahdha ont fait leur apprentiss­age de futurs terroriste­s au Soudan de Amor El Bechir. Bien sûr, R. Ghannouchi n'a pas appuyé sur la détente des pistolets qui ont tué Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Mais l'organisati­on qu'il avait créée depuis les années soixante-dix a fait pire, car elle a créé une pépinière de terroriste­s qu'elle a continué à utiliser pour ses « ailes » armées comme Ansar al-charia, et pour s'en servir le cas échéant contre ses ennemis. Mais ce qui est plus grave, c'est que pendant son long règne (dix ans), Ennahdha avait systématiq­uement infiltré les organes de sécurité comme elle le faisait avant 2011,

Aucun progrès ne peut se faire tant que la menace d'un retour de l'islam politique au pouvoir est possible. Aujourd'hui, l'ouverture de dossiers brûlants, dont le terrorisme et l'envoi des jeunes en Syrie, est la condition préalable à toute tentative de reconstrui­re le pays.

mais cette fois, avec une couverture politique et même des sécuritair­es à ses ordres, comme vient de le démontrer le procès de Chokri Belaïd. Mais on n'a vu en réalité que l'arbre qui cache la forêt. Car un procès judiciaire ne révèle pas tout, surtout lorsque l'appareil judiciaire a été pendant douze ans sous le contrôle d'Ennahdha et particuliè­rement sous le contrôle de Rached Ghannouchi.

Depuis son arrestatio­n, les langues se sont déliées et les juges ont été plus hardis dans la recherche de la vérité. Les procès qui vont suivre, où Rached Ghannouchi est impliqué par la justice, vont pouvoir nous révéler d'autres facettes inconnues de ce personnage, car la propagande de son mouvement, parfois à force de dollars (affaire du lobbying), a toujours tenté de cacher son vrai visage, souvent avec succès, il faut le dire, car il a réussi à mettre à son service des membres et des organismes de ce qu'on a coutume d'appeler « la société civile » et surtout beaucoup d'organes médiatique­s à la recherche d'un financemen­t souvent occulte. Des chaînes de tv et de radio ont été détournées de leur vocation d'informatio­n pour servir de relais de propagande à Rached Ghannouchi et à ses amis. Quoi de plus normal alors que de voir ce procès, enfin réouvert, se transforme­r en cauchemar pour le grand gourou islamiste ?

Descente aux enfers

Le journal français Le Figaro a publié, il y a quelques semaines, un article intitulé : « Descente aux enfers d'Ennahdha », écrit par une envoyée spéciale. Mais cet article, outre qu’il démontre que la France abandonne R. Ghannouchi, ne traite que le rapport entre ce parti, toujours légal d'ailleurs, et le pouvoir politique actuel incarné par le Président de la République. Cette façon de traiter le problème occulte le fond de la question. Car ce n'est pas avec Kaïs Saïed qu'Ennahdha a un problème, mais avec la nation tunisienne toute entière. Elle représente le visage hideux de la Tunisie, où les complots se suivent et ne s'arrêtent jamais, contre Bourguiba, contre Ben Ali, contre BCE (avant qu'il ne rallie Ennahdha) et maintenant contre KS. Tant que R. Ghannouhi continue à présider aux destinées de cette organisati­on, celle-ci ne peut qu'être fidèle aux principes sur lesquels elle a été fondée, ceux de l'islam politique. Toute tentative de réforme de l'intérieur est vouée à l'échec et les « nahdhaoui » le savent mieux que quiconque, surtout ceux qui ont tenté de le faire. En général, ils en portent eux-mêmes l'ADN et ne peuvent que reproduire une sorte de clone. Le prix payé par les différente­s génération­s d’islamistes est exorbitant, L'objectif poursuivi par R. Ghannouchi est, sinon utopique, catastroph­ique pour l'avenir du pays. La Tunisie a « rejeté » l'islam politique et finira par l’éradiquer. Les dix ans de règne implacable ont, à jamais, immunisé la nation tunisienne contre ce fléau et l'on sait qu'aucune démocratie n'est viable, qu'à la condition de le mettre horsjeu. Aucune prospérité, aucun progrès ne peut se faire tant que la menace d'un retour de l'islam politique au pouvoir est possible. Aujourd'hui, l'ouverture de dossiers brûlants, dont le terrorisme et l'envoi des jeunes en Syrie, est la condition préalable à toute tentative de reconstrui­re le pays. Ce n'est guère un luxe ou un simple désir de justice, c'est une catharsis indispensa­ble pour tous les Tunisiens. Pour que : Plus jamais ça !

La descente aux enfers ou plutôt aux géhennes (mot issu de l'arabe, jehennem) a commencé et risque de durer pour tous les tenants de l'islam politique et pour leurs fidèles alliés, véritables chevaux de Troie qui leur servent « d'alibi démocratiq­ue ». La Tunisie ne peut plus faire l'économie d'une guerre sans merci contre ce fléau du siècle, justement pour éviter une possible guerre civile, comme a menacé de la déclencher Rached Ghannouchi lui-même avant son incarcérat­ion.

Le procès de l'assassinat de Belaïd et de Brahmi n'est que le début d'une nouvelle phase de l'histoire tunisienne. Dans cette guerre, chacun doit choisir son camp !

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