Le 7 octobre, une grande occasion ratée
Jusqu’à la veille du 7 octobre 2023, l’idée dominante en Occident, en particulier aux Etats-Unis et en Israël, était que « le Moyen-Orient n’a jamais été aussi stable » et que « les accords d’Abraham sont sur le point d’enterrer définitivement l’idée d’Etat palestinien ». Ils en voulaient pour preuve la « normalisation» avec Israël de nombre d’Etats arabes et la disposition d’autres, dont l’Arabie saoudite, à le faire. Le 7 octobre a été, d’une part, un coup de pied dans la fourmilière qui a fait sauter en éclats cette idée chimérique du MoyenOrient. D’autre part, au vu de l’ampleur hallucinante de la réaction vengeresse d’Israël et de son grand allié, le 7 octobre est une grande occasion ratée pour faire du Moyen-Orient une région véritablement stable et paisible. Un coup de pied dans la fourmilière. En d’autres termes, ce n’est pas l’Etat palestinien qui est enterré, mais « les accords d’Abraham », signés en fanfare le 15 septembre 2020 à la Maison Blanche, qui ont sombré dans l’oubli. Leur caducité met dans l’embarras les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc qui, peut-être, regrettent aujourd’hui la légèreté avec laquelle ils se sont laissé impressionner par les fanfaronnades moyen-orientales de l’ancien président américain Donald Trump. Une grande occasion ratée. Il faut dire qu’un minimum de sagesse politique aurait pu convaincre l’establishment washingtonien que les événements dramatiques du 7 octobre, plutôt que d’ouvrir la voie à la destruction de Gaza et au massacre de son peuple, devraient être une grande occasion pour résoudre une fois pour toutes la question palestinienne et faire régner la paix au MoyenOrient.
S’il y avait des hommes sages à Washington, soucieux de la paix dans le monde, ils auraient pris le 8 octobre Netanyahu par l’oreille et lui auraient dit la vérité qu’il abhorre : « Cela fait plus d’un demisiècle qu’Israël tente de faire plier par la force le peuple palestinien. Son armée, ses bombardiers, ses tanks n’ont servi à rien. Le 7 octobre est la preuve sanglante qu’Israël ne sera jamais en paix s’il ne cède pas aux droits palestiniens de construire leur Etat. Il est temps ».
Mais, hélas, comme tout le monde sait, ceux qui tiennent le haut du pavé à Washington sont vaccinés contre la sagesse et abhorrent la culture de la paix, du compromis, de l’entente et de la coopération. Autant de concepts, fruits de la sagesse humaine, considérés à Washington comme des signes de faiblesse indignes de la plus grande puissance du monde… De Harry Truman et son apocalypse nucléaire au Japon, à Joseph Biden et ses politiques désastreuses en Ukraine et au MoyenOrient, en passant par Lyndon Johnson et son engagement catastrophique au Vietnam, George Bush père et fils et leur destruction de l’Irak et de l’Afghanistan, sans parler de Barak Obama qui se vantait cyniquement d’avoir bombardé sept pays musulmans, il est difficile de trouver un seul dirigeant américain qui a recouru à la diplomatie plutôt qu’aux forces armées pour résoudre un problème ou une crise dans le monde. Ils sont tous dans l’état mental de cet homme dont le seul outil est un marteau et qui voit en tout problème un clou.
Cette image est incarnée aujourd’hui jusqu’à la nausée par le secrétaire d’État Antony Blinken. Depuis le 7 octobre, ce responsable américain s’est transformé de chef de la diplomatie en boutefeu intraitable, s’opposant à tout cessez-le-feu à Gaza et lançant des menaces en cascade aux Houthis au Yémen et aux milices chiites au Liban et en Irak. « Nos réponses militaires comprendront plusieurs niveaux, se dérouleront par étapes et se poursuivront dans le temps », affirme-t-il à l’intention des mouvements de résistance qu’il accuse d’être « à la solde de l’Iran ».
On se rappelle sa première visite en Israël au lendemain de l’attaque du Hamas quand il s’est adressé au criminel de guerre Netanyahu pour l’assurer qu’il ne venait pas en Israël en tant que secrétaire d’Etat mais en tant que juif, provoquant la consternation des uns et le mépris des autres.
Depuis, le plus belliciste des diplomates américains a fait de très nombreuses visites au MoyenOrient au cours desquelles il a contribué beaucoup plus à la pollution atmosphérique et au réchauffement climatique qu’à la résolution du moindre problème généré par la guerre génocidaire. La politique menée actuellement par le tandem Biden-Blinken au Moyen-Orient, en Europe de l’Est et en mer de Chine méridionale, bien qu’abhorrée par la plupart des pays du monde, est soutenue dans ses désastreux dévoiements
par le Main Stream Media. Mais cela n’étonne personne, car depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les organes les plus influents de la presse américaine ont soutenu toutes les guerres menées par Washington dans les quatre coins de la planète. Ils ont inventé ou relayé les mensonges tendant à justifier ou à encourager une agression en cours ou une autre qui se prépare.
Le New York Times, considéré comme l’organe le plus influent en matière de politique étrangère, continue jusqu’à ce jour à estimer les violences israéliennes comme « des actes de légitime défense » et les actes de la résistance palestinienne comme « terroristes ». Le journal ne semble guère perturbé par les dizaines de milliers de morts et la destruction de 80% de la ville de Gaza, mais il est fortement soucieux par les actes de représailles du Hezbollah libanais, des Houthis yéménites et des groupes chiites irakiens contre les crimes de guerre israéliens. Son éditorialiste-phare, Thomas Friedman, a la solution qui ouvre la voie à « un Moyen-Orient tranquille et paisible ». Comment ? C’est très simple : « L’Amérique, avec des représailles militaires vigoureuses, détruira le Hezbollah, les Houthis et les multiples groupes armés en Irak et en Syrie ; Israël détruira Hamas et pacifiera la Cisjordanie » !!! Beaucoup à travers le monde et quelques voix aux Etats-Unis qui peinent à se faire entendre, pensent que la politique étrangère et les déchainements militaires meurtriers et ravageurs que l’Amérique mène depuis des décennies sont fondamentalement contre ses intérêts et ceux de son peuple. Et si une telle politique continue à être menée impunément, c’est parce les citoyens américains, dans leur large majorité, sont soit inconscients, soit ignorants, soit intoxiqués par les mensonges et les contre-vérités débités à longueur d’années par le Main Stream Media.
La question qui se pose est pourquoi la classe dirigeante, qui sait pertinemment que sa politique est contraire aux intérêts et à la réputation mondiale de l’Amérique, continue dans la même voie. La réponse nous est donnée par le professeur Jeffrey Sachs de l’université de Columbia, qui définit la politique étrangère américaine comme « une arnaque à grande échelle » menée aux dépens des intérêts du peuple américain. Dans un article remarquable publié le 2 janvier 2024 dans le site antiwar.com, le professeur Sachs écrit : « Le gouvernement fédéral actuel fonctionne comme un racket multi-divisions. La division Wall Street est gérée par le Trésor. La division de l'industrie de la santé est gérée par le ministère de la Santé et des Services sociaux. La division Big Oil and Coal (pétrole et charbon) est gérée par les ministères de l’Énergie et de l’Intérieur. Et la division Politique étrangère est gérée par la Maison Blanche, le Pentagone et la CIA (…).
La division Politique étrangère est dirigée par un petit groupe soudé, comprenant les hauts gradés de la Maison Blanche, de la CIA, du Département d'État, du Pentagone, des commissions des forces armées de la Chambre et du Sénat, ainsi que par les chefs des principales forces armées et des entreprises d’armement, dont Boeing, Lockheed Martin, General Dynamics, Northrop Grumman et Raytheon. Il y a peut-être un millier de personnes clés impliquées dans l’élaboration des politiques où l’intérêt public est marginalisé ». Les choses sont on ne peut plus claires. C’est ce millier de personnes, leurs proches et leurs amis qui se partagent la plus grosse part des richesses fabuleuses de l’Amérique. Plus il y a de guerres, plus il y a de bénéfices à partager. De l’autre côté de la barrière, plus il y a de guerres, plus les rues des villes américaines pullulent de sansabris et les prisons américaines suffoquent de surpeuplement. Peut-être est-il temps pour les élites américaines en particulier et occidentales en général de commencer à méditer ces mises en garde lancées par Aimé Césaire dans son « Discours sur le colonialisme » il y a plus de sept décennies : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ; une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte ; une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde »