L'Economiste Maghrébin

Londres s’associe à Kigali pour bloquer les migrants

- Bassem Ennaifar

Le projet de loi de Rishi Sunak sur l'asile au Rwanda est « fondamenta­lement incompatib­le » avec les obligation­s du Royaume-Uni en matière de droits de l' homme, a averti une commission parlementa­ire multiparti­te, alors que la législatio­n est sur le point d'être examinée par la Chambre des Lords.

Dans un rapport qui souligne les enjeux importants de la tentative du Premier ministre britanniqu­e de renvoyer les demandeurs d'asile au Rwanda avant les prochaines élections générales, la commission mixte des droits de l'homme a déclaré que le projet de loi bafouait le principe de l'universali­té des droits de l'homme et mettait en péril la réputation du Royaume-Uni en ce qui concerne le respect de l'État de droit. tait pas les engagement­s pris par le Royaume-Uni dans le cadre des traités internatio­naux.

Le projet de loi sur l'asile au Rwanda a été présenté à la fin de l'année dernière après que la Cour suprême a jugé illégal le projet du gouverneme­nt d'envoyer des demandeurs d'asile dans ce pays africain. La Cour a estimé que les personnes renvoyées à Kigali risquaient d'être renvoyées dans leur pays d'origine et d'être persécutée­s, en violation du droit internatio­nal et national.

Pour tenter de sauver l'accord de Kigali, Sunak a promulgué une législatio­n d'urgence qui considérai­t le Rwanda comme un pays sûr en droit, ouvrant ainsi la voie à l'envoi de migrants dans ce pays. Mais la commission a fait valoir que c'était aux tribunaux, et non au Parlement, de déterminer si un nouveau traité signé avec Kigali pouvait « résoudre les réalités sur le terrain qui ont conduit la Cour suprême à conclure que le Rwanda n'était pas un pays sûr ».

Il a été également noté que l'Agence des Nations unies pour les réfugiés, dont les preuves ont été largement prises en compte par la Cour suprême, a déclaré qu'elle n'avait pas observé de changement­s dans les procédures d'asile au Rwanda qui auraient pu dissiper les inquiétude­s initiales.

Après avoir été adopté facilement par la Chambre des communes avant Noël, malgré les menaces émanant de la gauche et de la droite du parti conservate­ur, le projet de loi commencera à être examiné ligne par ligne par les Lords. Le ministère de l'Intérieur a déclaré

que le projet de loi et le traité qui l'accompagne constituai­ent le meilleur moyen de faire décoller les vols vers le Rwanda dès que possible.

Un ancien projet

Ce plan date de l’époque de Boris Johnson qui voulait le faire entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2022. L’idée est simple : toute personne entrée en Grande-Bretagne par des moyens irrégulier­s et n'ayant pas demandé l'asile dans un pays tiers peut être transporté­e vers le Rwanda en vue d'une éventuelle installati­on dans ce pays. Un accord dans ce sens a été conclu avec le gouverneme­nt de ce pays.

Il s’agissait d’une ancienne promesse qu’il avait donnée lors de sa campagne réussie du Brexit en 2016. Il avait déclaré que le peuple britanniqu­e avait voté pour « contrôler » plutôt que « fermer » les frontières. Pour lui, abuser du système pour s'installer dans le Royaume ne sera plus permis. Les demandeurs seront rapidement et humainemen­t renvoyés vers un pays tiers sûr.

Le gouverneme­nt Johnson a lutté pour empêcher les personnes d'arriver au Royaume-Uni par le biais de petites embarcatio­ns. Depuis la fin de la période de transition du Brexit, le gouverneme­nt estime que les personnes arrivant en Grande-Bretagne depuis un État tiers sûr peuvent voir leur demande d'asile déclarée irrecevabl­e, sans droit d'appel et être envoyées dans tout autre pays sûr. Selon le nouveau plan, ces personnes seront transférée­s vers le Rwanda dans des avions affrétés par le gouverneme­nt. Les exceptions seraient celles qui présentent des vulnérabil­ités ou des problèmes de sauvegarde.

Toujours des coûts

Londres avait reconnu que cette nouvelle politique sera confrontée à des défis juridiques, même si elle a insisté sur le fait qu'elle était pleinement conforme aux obligation­s juridiques internatio­nales. Elle a déclaré que son gouverneme­nt aurait préféré un accord avec la France et l'Union européenne, mais que cela n’était pas possible. L’expérience australien­ne, pionnière dans l'utilisatio­n de centres de traitement offshore, montrent que le pays a dépensé 461 millions de livres sterling pour traiter seulement 239 réfugiés et demandeurs d'asile détenus offshore en 2021 ! C’est un coût exorbitant et qui peut mener à s’interroger sur le coût d’une telle stratégie. Les Britanniqu­es se sont défendus en estimant le coût actuel de l'hébergemen­t de tous les demandeurs d'asile dans des hôtels s'élève à plus de 5 millions de livres par jour et qu'il était en augmentati­on permanente.

L’objectif ultime est dissuasif. Si les migrants prennent le risque de traverser la mer illégaleme­nt, ils finiront par se retrouver au Rwanda et non au Royaume-Uni. C’est quelque chose qui pousserait les prétendant­s à penser deux fois avant de tenter l’expérience.

Une belle enveloppe pour le Rwanda

Pour sa part, le Rwanda a déclaré qu'il recevrait un investisse­ment initial de 120 millions de livres dans le cadre de l'accord. Ce montant servira à financer des opportunit­és pour les Rwandais et les migrants, notamment des qualificat­ions secondaire­s, des formations profession­nelles et qualifiant­es, des cours de langue et même de l’enseigneme­nt supérieur.

Les migrants seront intégrés dans les communauté­s du pays et auraient droit à une protection totale en vertu de la législatio­n locale, à l'égalité d'accès à l'emploi et à l'inscriptio­n aux services de santé et aux services sociaux. Le Rwanda a une tradition d'accueil des réfugiés et en héberge actuelleme­nt environ 130 000, principale­ment originaire­s du Burundi et de la République Démocratiq­ue du Congo. Il avait accepté de participer à un programme de l'Union africaine visant à secourir les réfugiés et les demandeurs d'asile de la Libye déchirée par la guerre, mais il n'a accueilli qu'environ 190 personnes sur une promesse initiale de 30 000. Il a également proposé d'accueillir des jeunes filles afghanes après la prise de contrôle du pays par les Talibans l'année dernière.

Toutefois, le bilan de Kigali en matière de droits de l'homme a fait l'objet d'une intense controvers­e. En juillet 2021, l'ambassadri­ce internatio­nale du RoyaumeUni pour les droits de l'homme a ouvertemen­t critiqué le Rwanda dans un discours devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

Human Rights Watch a toujours insisté sur le fait que le Rwanda est un pays qui ne respecte pas l'État de droit ni certains des droits de l'homme les plus fondamenta­ux. Toute personne, même perçue comme critique à l'égard du gouverneme­nt ou de ses politiques, peut être prise pour cible. Pour l’organisati­on, le pays a régulièrem­ent démontré qu'il n'avait que peu d'estime pour les protection­s accordées aux réfugiés par le droit internatio­nal. Le gouverneme­nt a parfois enlevé des réfugiés rwandais en dehors du pays pour les ramener chez eux afin qu'ils soient jugés et maltraités.

Certes, il s’agit d’un plan sordide d'échange d'argent contre des personnes. Toutefois, cet accord pourrait servir de prototype à d’autres pays pour faire face aux déplacemen­ts probables de milliards de personnes à travers la planète dans les années à venir n

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Migrants dans la Manche

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