Un business model qui part en vrille !
L’année 2023 restera dans les annales comme une année noire, marquée par un recul de la consommation vestimentaire européenne, des faillites en cascade de distributeurs notoires, des montagnes d’invendus, des stocks abyssaux et un commerce international fortement contracté. Les importations d’habillement de l’UE ont chuté de 16% en valeur et leur prix de 21%. Ce n’est pas une surprise. Avec des budgets plombés par l’inflation, bon nombre de consommateurs ont déserté les boutiques, contraints et forcés. D’où l’effondrement du marché et des importations. La correction à la baisse est d’autant plus forte que l’année 2022 avait été marquée par une croissance excessive des quantités de vêtements mis sur le marché. La crise sectorielle, car il faut bien appeler les choses par leur nom, peut paradoxalement avoir un effet bénéfique pour la filière : inciter à mettre fin à ce business model antiéconomique et anti-écologique que je dénonce personnellement depuis des années, consistant à inonder le marché de vêtements bas de gamme fabriqués en Asie dans des conditions sociétales généralement déplorables, à multiplier les points de vente, à casser les prix à coups de soldes et promotions tout au long des saisons, à vendre une bonne partie des invendus aux spécialistes du déstockage, à détruire une autre partie ou à expédier des montagnes de vêtements vers des pays d’Afrique Noire où ils vont pourrir dans des décharges à ciel ouvert, le long des plages. Un vrai désastre ! Si Jean de La Fontaine vivait, il écrirait sans doute une fable sur l’inanité voire l’idiotie de ces stratégies de sourcing et d’internationalisation des productions. Ce business model, fondé sur des importations massives d’Asie, encouragé par l’OMC et soutenu par la Commission européenne depuis 2005, a provoqué la disparition de pans entiers de notre industrie, de centaines de milliers d’emplois en Europe et de notre savoir-faire, a laminé la distribution indépendante qui animait l’activité économique et sociale de nos villes et de nos villages, a enfoncé dans la crise nos partenaires méditerranéens dont le textile-habillement était un secteur clé de leur équilibre socio-économique. Ce business model détestable va-t-il enfin percuter le mur vers lequel il semble se diriger inéluctablement depuis vingt ans ? Et, espérons le, laisser la place à un modèle vertueux de quasi-parfaite adéquation entre l’offre et la demande? De formidables solutions technologiques avancées existent pour qu’il en soit ainsi et nos pays ne manquent pas de designers et de créateurs capables de mettre sur le marché une mode attractive qui va inciter les consommateurs européens à retrouver le chemin des boutiques et l’envie de s’habiller. En attendant, la Chine reste le premier fournisseur de l’UE, suivie du Bangladesh. Mais tous les principaux fournisseurs de l’UE, à l’exception notoire de la Tunisie, enregistrent des baisses significatives de leurs exportations en 2023. Corrélativement, les prix sont aussi en chute libre (voir tableau).
L’Asie demeure, de très loin, la principale zone de sourcing d’habillement de l’Europe. La part des pays européens extra-UE (Royaume-Uni, Suisse, Albanie, Serbie, Macédoine…) plafonne à 6,1%, alors que celle des pays méditerranéens (Turquie, Maroc, Tunisie, Egypte...) se stabilise à moins de 19% contre 24,8% il y a 20 ans, en 2003. A l’époque, la Tunisie était le 4ème fournisseur de l’UE, avec des exportations d’une valeur de 2,7 milliards d’euros contre 2,4 milliards d’euros maintenant. Le Maroc était alors le 5ème fournisseur de l’UE, avec des ventes de 2,47 milliards d’euros, soit à peu près la même valeur que 20 ans plus tard. Tous ces chiffres doivent nous interpeller et interpeller nos partenaires méditerranéens. Il n’y a pas de fatalité du déclin. Réveillons-nous ! Formons et recrutons des modélistes inspirés, des logisticiens, des analystes de la Data, des infographistes, des spécialistes de la communication, du merchandising… Intégrons à marche forcée les technologies 4.0 fondées sur l’IA. Considérons l’information comme un facteur clé de compétitivité. Redynamisons le partenariat de proximité sur fond de stratégie gagnant-gagnant et de solidarité. Et mettons fin à cette politique naïve et irresponsable de cadeaux douaniers aux pays asiatiques qui perpétuent des systèmes sociaux moyenâgeux de production et dont certains bafouent sans vergogne les droits de l'Homme !