La Tunisie, état des lieux
Comment interpréter l’analyse de Bernard de la Villardière : « Tunisie, misère et risque de dictature », diffusée le dimanche 3 mars par la chaine TV M6 ? Lancée par une grande publicité, elle occupa l’opinion publique. Analyse tendancieuse, elle a mis en valeur : l’islamisme et le Front du Salut public, ignorant le parti destourien, dirigé par Abir Moussi. L’article procéda par une enquête hâtive, justifiant l’opinion d’un critique qui affirma que la montagne a accouché d’une souris. La misère est certes évidente. La révolution populaire avait alors soulevé un immense espoir de prospérité et de démocratie. Mais après une décennie d’instabilité politique, une vague d’attentats terroristes et une crise économique sans précédent, le pays vit une grave ère d’épreuves. Est-ce à dire qu’il se dirigerait vers une dictature ? Cette hypothèse ne peut se justifier.
L’épreuve du voisinage
La Tunisie vit une situation léthargique, après la décennie islamique. Elle est, certes, en manque d’argent pour faire face au déficit budgétaire. D’autre part, ses échanges commerciaux la desservent. Fait plus important, la Tunisie subit l’épreuve du voisinage : Etat centralisé, disposant d’une armée puissante, riche en gaz, l’Algérie ne représente pas de menace pour la Tunisie. Les accords commerciaux qu’elle a signés avec la Tunisie confirment les relations cordiales entre les deux pays.
La situation est plus préoccupante avec le voisinage libyen. La Libye peine à se relever du chaos provoqué par la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, à la suite d'une révolte populaire appuyée par l'OTAN. Le pays est divisé en deux camps rivaux, respectivement basés dans l'ouest à Tripoli, et dans l'est à Benghazi, avec deux gouvernements parallèles. La situation sécuritaire « reste encore très volatile » et la « politisation » du contrôle de la compagnie nationale de pétrole aggrave une « situation économique désastreuse », a rapporté la sous-secrétaire générale de l’ONU pour l’Afrique, Martha Pobee, devant le Conseil de sécurité de l’ONU le lundi 25 juillet 2023.
Une multitude d’acteurs
Cette situation inquiète l’Europe et surtout les Nord-Africains, les Égyptiens et les Sahéliens (Tchadiens, Nigériens, Maliens). Tous les proches le savent : la Libye ne retrouvera pas de sitôt un système stable de partage du territoire, de la rente pétrolière et de l’autorité, rappelant la Jamahiriya qu’imposa pendant plus de 40 ans le raïs Kadhafi. Après son éviction musclée, la Libye semble réduite en morceaux comme avant lui : une multitude d’acteurs, internes et externes, tente de défendre qui son pré carré, qui sa voie économique ou politique.
Réalité spécifique et trajectoire récente, la Libye n’a pas de vrai centre politique, encore moins d’État partagé et n’en a jamais eu. Elle a moins d’unité que jamais. Elle est, on le sait, divisée par nature en confins spécifiques, Cyrénaïque à l’est, Tripolitaine à l’ouest, Fezzan au sud. Dans ces trois régions, les tribus qui les dominent entretiennent des accointances multiples, égyptiennes à l’est, maghrébines à l’ouest, et, dans le sud, tchadiennes avec la communauté Toubou, et sahéliennes avec sa cousine touarègue. Chacune de ces tribus ou communautés possède ses milices « armées», composées de guerriers de métier, manoeuvrant par des raids profonds et capables aussi bien de se regrouper dans des alliances de circonstance que de se disperser dans l’immensité sahélienne. D’autre part, la Libye a été contaminée par un jihadisme militant: le désordre s’est transformé en guerre civile.
Le Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a insisté sur l’obligation de mettre fin à toute forme de présence militaire étrangère en Libye, pour espérer résoudre la crise qui secoue le pays. Il a fait ce plaidoyer dans son allocution prononcée à l’ouverture de la réunion du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye. Dans la capitale congolaise, Brazzaville, l’émissaire de Tebboune a, en outre, insisté sur la nécessité de retrait de tous les mercenaires. La Libye est devenue, dit-il, un repaire des milices armées, des groupes terroristes et des réseaux criminels de trafic d’armes et de drogues