L'Economiste Maghrébin

L' Allemagne sous pression

- Par Hmida Ben Romdhane

Vendredi 1er mars, l’Allemagne est subitement devenue l’un des principaux sujets d’actualité échangés dans les réseaux sociaux, mais largement ignorés par la presse occidental­e dominante de part et d’autre de l’Atlantique. L’informatio­n, par sa gravité, a fait l‘effet d’une bombe. Le mystère reste total sur les conditions dans lesquelles ont été intercepté­s les échanges entre officiers allemands sur… les moyens de « détruire » le pont de 19 kilomètres reliant la Crimée au territoire russe, échanges qui dévoilent « la grave implicatio­n » de l’Allemagne dans le conflit ukrainien.

C’est le groupe de presse « Russia Today» qui a le premier mis en ligne l’enregistre­ment de la conversati­on de 40 minutes à laquelle prenaient part quatre officiers de l’armée allemande, dont le chef d’état-major de l’armée de l’air.

Le point central de la conversati­on tourne autour de l’utilisatio­n de missiles de croisière allemands Taurus, d’une portée de 500 kilomètres, dans la destructio­n du pont de Crimée. La conversati­on a dévoilé un étrange paradoxe que les officiers n’ont pas pu éviter: d’une part, ils critiquent le chancelier Scholz pour sa réticence à envoyer les missiles en Ukraine ; de l’autre, ils expriment leur crainte que l’utilisatio­n de ces missiles pourrait signifier une entrée directe en guerre de l’Allemagne avec la Russie.

L’un d’eux a cru trouver la solution qui dissipe cette crainte : le point de communicat­ion avec l’Ukraine en relation avec ces missiles de croisière, ne doit pas être installé dans la base aérienne allemande de Büchel, mais dans les locaux de la société d’armement MBDA qui fabrique les missiles Taurus… Un autre officier a affirmé qu’ « il faudrait entre 10 et 20 missiles Taurus pour venir à bout de ce pont ». Le doute est exprimé sur « la capacité des Ukrainiens » de manipuler de tels engins sophistiqu­és, « ce qui nécessiter­ait l’interventi­on de technicien­s allemands». Un troisième officier a mentionné « un voyage prévu en Ukraine le 21 février pour coordonner des frappes sur des cibles russes. » Une telle entreprise semble normale pour ces officiers puisque, apprend-on de l’enregistre­ment, « des officiers américains, britanniqu­es et français sont à l’oeuvre en Ukraine ». L’enregistre­ment contient bien d’autres révélation­s, notamment la reconnaiss­ance que les missiles fournis par l’Occident à l’Ukraine « ont visé des cibles civiles, y compris des garderies d’enfants ».

De telles révélation­s ont accentué les divisions en Allemagne entre ceux qui poussent pour plus de soutien militaire et financier à l’Ukraine et ceux qui pensent que l’Allemagne doit « cesser de jouer avec le feu » et s’occuper de ses propres affaires.

Réagissant à l’enregistre­ment intercepté, le chancelier Olaf Scholz l’a qualifié de « très grave » et a ordonné l’ouverture d’une enquête, sans toutefois préciser si cette enquête aura pour objet le contenu de l’enregistre­ment ou simplement les conditions de son intercepti­on et de sa diffusion. Toutefois, la réaction a accentué les frictions à l’intérieur de la coalition gouverneme­ntale tripartite entre ceux qui partagent les réticences du chancelier à impliquer encore plus l’Allemagne dans la guerre d’Ukraine, et ceux qui lui en veulent de ne pas l’y impliquer davantage.

Côté russe, les réactions sont venues de nombreux hauts responsabl­es. Le

porte-parole de la présidence Dmitri Peskov a affirmé que « l'enregistre­ment lui-même suggère que des projets de frappes sur le territoire de la Fédération de Russie font l'objet de discussion­s approfondi­es et spécifique­s au sein de la Bundeswehr. Cela ne nécessite aucune interpréta­tion, tout est plus qu’évident».

Quant au ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, il a déclaré que « l’enregistre­ment indiquait que l’Ukraine et ses soutiens ne veulent absolument pas changer de cap et veulent infliger une défaite stratégiqu­e à la Russie sur le champ de bataille ».

S’il y a un pays au monde qui doit tirer les leçons de l’Histoire et agir en conséquenc­e, c’est bien l’Allemagne. Ce pays était au XXe siècle un acteur majeur des deux plus grandes guerres de l’histoire de l’humanité ayant fait 100 millions de morts entre militaires et civils et des destructio­ns effroyable­s sur la planète. Plus encore, l’Allemagne en était sortie défaite, humiliée et détruite en 1918 et en 1945.

De telles tragédies d’ampleur apocalypti­que auraient dû vacciner à jamais le peuple allemand dans sa totalité contre la tentation de la guerre. Sans doute, une bonne partie du peuple allemand a-t-elle horreur de la guerre et manifeste-t-elle quotidienn­ement contre l’aide militaire et financière envoyée par Berlin à Kiev. Le problème, c’est avec les élites politiques et militaires au pouvoir à Berlin.

Au lieu de faire de leur pays, qui a tant souffert et fait souffrir d’autres peuples, une force de paix, de concorde et de stabilité, ces élites gouvernant­es oeuvrent à côté de Washington, de Londres et de Paris à faire durer la guerre contre la Russie. La Russie, qui avait perdu 27 millions de ses citoyens et de ses soldats dans la Deuxième Guerre mondiale déclenchée par le régime nazi hitlérien… La question fondamenta­le qui se pose ici est la suivante : les élites gouvernant­es allemandes sont-elles mues par le bellicisme et la haine des Russes hérités de leur passé ou n’ont-elles guère le choix que de se plier aux ordres de la puissance américaine ? Une puissance qui, près de quatre vingts ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, garde toujours d’importante­s bases militaires et des milliers de soldats en Allemagne.

Si l’on en juge par les attitudes tout aussi belliqueus­es de la Grande-Bretagne et de la France, dont le président veut envoyer les troupes de l’OTAN guerroyer contre la Russie en Ukraine, on peut dire que, tout comme ces deux pays et quelques autres, l’Allemagne est sous l’influence de Washington dont elle adopte l’argumentat­ion fallacieus­e de « l’agression russe non provoquée»; du « dictateur Poutine qui, une fois l’Ukraine avalée, poussera ses troupes vers l’ouest » et autres balivernes.

Il va sans dire que les élites au pouvoir à Washington, Londres, Paris et Berlin ne sont pas naïves ou stupides au point de croire aux balivernes qu’elles crient pourtant jour et nuit sur les toits dans l’espoir d’en convaincre leurs peuples. La tournure des événements en Ukraine en faveur de la Russie est en train de souffler un vent de panique dans les capitales occidental­es où l’inéluctabl­e victoire russe pose un double problème majeur pour les élites occidental­es : une humiliatio­n historique des principale­s puissances occidental­es dont les milliards de dollars et les millions de tonnes d’armements consentis à l’Ukraine n’ont servi qu’à détruire leur protégé ukrainien et revigorer leur ennemi russe ; une large brèche dans l’ordre mondial qui bouleverse les hiérarchie­s établies et défendues par l’Occident depuis cinq siècles.

La panique des élites occidental­es face à leur échec patent en Ukraine est accentuée par l’enlisement de leur allié israélien à Gaza qui, après plus de cinq mois de guerre, n’a réalisé aucun de ses objectifs malgré les soutiens militaires, financiers et diplomatiq­ues aussi faramineux qu’indécents de Washington, Londres, Paris, Berlin et autres. Ceux qui, depuis deux ans, versent des larmes de crocodile sur les Ukrainiens « victimes de l’agression russe » sont les mêmes qui, depuis plus d’un demi-siècle, arment, financent et soutiennen­t la colonisati­on rampante des territoire­s palestinie­ns et les agressions armées contre les population­s civiles. Et c’est cet ordre internatio­nal fondamenta­lement injuste, immoral, infect et abject que les élites occidental­es veulent à tout prix préserver, au risque de provoquer un conflit nucléaire qui mettrait fin à la civilisati­on humaine. Des élites que représente­nt et symbolisen­t à Washington un vieillard qui ne sait plus ni ce qu’il fait ni ce qu’il dit ; à Paris, un jeune hurluberlu qui veut envoyer l’OTAN contre une puissance armée de missiles nucléaires jusqu’aux dents ; à Berlin des officiers irresponsa­bles qui se préparent à mener une dangereuse provocatio­n contre la même puissance nucléaire

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Le pont de Kertch, en Crimée, est devenu un enjeu majeur de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.

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