L'Economiste Maghrébin

Le Ghana entre le marteau des conservate­urs et l'enclume du FMI

La mise en oeuvre d'une loi anti-LGBT+ adoptée par le Parlement ghanéen pourrait faire dérailler le financemen­t de ce pays d'Afrique de l'Ouest par les institutio­ns multilatér­ales, y compris la Banque mondiale et le FMI. Une catastroph­e pour Accra.

- Bassem Ennaifar

Deux semaines auparavant, le Parlement ghanéen a adopté une loi antiLGBT+ de grande envergure, intitulée « Promotion of Proper Human Sexual Rights and Ghanaian Family Values Bill » (projet de loi sur la promotion des droits sexuels humains et des valeurs familiales ghanéennes). Cette loi a bénéficié d'un soutien bipartisan et a été accueillie favorablem­ent par les groupes chrétiens, musulmans et traditionn­els. Elle étend la criminalis­ation des relations consensuel­les entre personnes de même sexe et impose des peines de prison aux minorités sexuelles ainsi qu'aux personnes et organisati­ons réputées défendre leurs intérêts. La loi recommande trois ans de prison pour toute personne reconnue coupable d'être homosexuel­le, cinq ans pour les promoteurs des droits des homosexuel­s et cinq ans pour les personnes ayant des relations sexuelles avec des homosexuel­s, contre trois auparavant. Le FMI a déclaré la semaine dernière qu'il suivait de près les événements au Ghana.

Accords fragiles

Le Ghana, qui cherche à se remettre de la pire crise économique qu'il ait connue depuis une génération, pourrait perdre 3,8 milliards de dollars de financemen­t de la Banque mondiale au cours des cinq à six prochaines années, si le Président Nana Akufo-Addo promulgue le projet de loi. Cela pourrait inclure une perte immédiate de 600 millions de dollars en soutien budgétaire pour 2024 et 250 millions de dollars dans un engagement séparé de la Banque mondiale. Si cela a lieu, les réserves de change du Ghana et la stabilité du taux de change seront sérieuseme­nt altérées, étant donné que ces entrées sont censées renforcer sa position de réserve du pays. Le retrait du soutien de la Banque mondiale aurait également un impact négatif sur le programme du FMI, qui dépend d'un financemen­t fiable de la part des partenaire­s de développem­ent. Le Ghana, qui a fait défaut sur sa dette en 2022 et qui lutte contre une inflation de 23,5%, a accepté un plan de 3 milliards de dollars soutenu par le FMI en décembre 2022. Cela déclencher­a à son tour une réaction du marché qui affectera la stabilité du taux de change.

Pire encore, Accra n’a pas tout à fait finalisé tous ces accords pour décrocher ces aides. Ses créanciers officiels, y compris la Chine, ne se sont concertés que récemment sur un accord concernant la date qui sera considérée comme à partir de laquelle le pays est considéré officielle­ment en défaut de paiement. C'était indispensa­ble pour le reste du processus de restructur­ation et qui s’élève à 20 milliards de dollars. Certains créanciers ont défendu le 31 décembre 2022 comme date, le Ghana ayant été en défaut de paiement au début de ce mois. Cependant, d'autres ont fait pression pour le 24 mars 2020, car c'est à cette date que le G20 a introduit son initiative de suspension du service de la dette pour aider les pays les plus pauvres du monde à faire face aux retombées de la crise sanitaire et où le Ghana n'avait pas participé. Le Club de Paris a enfin opté pour la date de décembre 2022 comme date limite. Le pays est également en pourparler­s avec les détenteurs d'obligation­s étrangères pour restructur­er sa dette internatio­nale de plus de 15 milliards de dollars. C’est loin d’être une partie facile, étant donné les noms qui figurent sur la liste, à l’instar de BlackRock, PIMCO, Vontobel, AllianceBe­rnstein et Neuberger Berman.

Inquiétude­s justifiées

Ainsi, toute perturbati­on du programme du FMI risque de compromett­re les négociatio­ns de restructur­ation de la dette du pays avec les détenteurs d'euro-obligation­s bilatérale­s et commercial­es.

Le programme de soutien de la Banque africaine de développem­ent ne serait pas affecté, mais les responsabl­es ghanéens s'inquiètent d'une « éventuelle réaction négative de l'Allemagne et de la communauté européenne au sens large ». Les fonctionna­ires allemands ont fait savoir au Ghana qu'ils s'opposaient au projet de loi. Le ministère des Finances a exhorté le Président ghanéen à entamer un engagement efficace avec les pays conservate­urs, y compris les pays arabes et la Chine, qui pourraient aider à déclencher des ressources pour combler les lacunes de financemen­t potentiell­es. A l'instar de nombreux États africains, le gouverneme­nt ghanéen tente de trouver un équilibre entre des valeurs conservatr­ices profondéme­nt ancrées dans le pays et son engagement auprès des pays et des institutio­ns occidentau­x.Se tourner vers les riches États du Golfe pourrait ne pas être simple, car des pays tels que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite sont en train d'assouplir leurs propres lois sur les normes en matière de genre. Cette inquiétude survient après que la Banque mondiale a déclaré en 2023 qu'elle n'envisagera­it aucun nouveau financemen­t pour l'Ouganda après l’adoption par cet État d'Afrique de l'Est de sa propre loi contre les homosexuel­s. Le Président, qui dispose de sept jours à compter de l'adoption de la loi pour donner l'assentimen­t présidenti­el ou de 14 jours pour motiver son refus, a indiqué qu'il retarderai­t toute action dans l'attente de l'issue d'un recours juridique déposé par des groupes de la société civile auprès de la Cour suprême.

Enjeux électoraux

La tâche du nouveau ministre des Finances est donc bien ardue. L'homme qui avait supervisé les efforts de restructur­ation de la dette, a été effectivem­ent remplacé par Mohammed Amin Adam, auparavant viceminist­re de l'Energie chargé du secteur pétrolier. En 2023, les prix ont flambé et la monnaie locale, le cedi, s'est effondrée. L’ex-ministre a dû faire face à des appels à la démission de la part de manifestan­ts dans la rue et de députés de l'opposition et du parti au pouvoir, appels auxquels il a survécu. La décision de le démettre de ses fonctions est intervenue avant les élections de décembre 2024, au cours desquelles le vice-président Mahamadu Bawumia, également économiste, cherchera à prendre ses distances avec les récents problèmes économique­s du pays, dans le cadre de sa candidatur­e à la présidence. Le Ghana risque donc de se retrouver face à une vraie crise. Le Président en poste n’a rien à perdre en signant le projet de loi, car il arrive bientôt à la fin de son second mandat, le dernier. Sa décision va conditionn­er l’avenir du pays

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