L'Economiste Maghrébin

Retour de manivelle

- Par Mohamed Ali Ben Rejeb

Nous y voilà. Le mois saint de Ramadan est là. Une occasion de retrouver nos racines pieuses. Un retour à nos sources quelque peu salutaire, mais à ne pas confondre avec un retour en arrière. L’exemple le plus criant dans le genre retour de manivelle est ce recours régulier à des télescopes à la recherche du croissant de lune à la veille du début de chaque mois de Ramadan. Les faits relèveraie­nt de l’anecdote si tous les appareils de l’Etat n’étaient pas mis à contributi­on pour mettre en haleine le commun des Tunisiens, chacun dans sa région respective, accrochés à « l’observatio­n » d’un signe du ciel. On remarquera que, pour le caractère croustilla­nt de l’histoire, on tient un calendrier lunaire largement à l’avance, mais personne ne s’en soucie vraiment. Il n’y a que pour le mois de Ramadan que le phénomène donne lieu à un spectacle. Des scènes à la Hitchcock, surtout lorsque la météo fait des siennes et que les brumes se mettent à table pour cacher le croissant. Et là, bonjour les dégâts. Le doute est semé et les théories les plus farfelues sont lancées.

Les débats sont engagés et on revient à cette sempiterne­lle querelle sur le sexe des anges et le nombre de pays qui vont commencer le jeûne le lendemain. Des visions antagonist­es qui nous mènent à un autre débat lancé, depuis peu, sur le travail et le travail intérimair­e. Il ne se passe pas un jour, ces derniers temps, sans qu’on nous rabatte les oreilles avec des thèses et des théories sur les valeurs d’un travail décent et les revendicat­ions non satisfaite­s des exploités par la sous-traitance. L’image qui en ressort est que nous serions dans un univers fixe où le système n’est plus porté sur ce qu’il est urgent de faire, mais sur des «ajustement­s » salariaux qui conduiraie­nt le monde. Cela va des enseignant­s à tous les étages, aux travailleu­rs des chantiers demandant à devenir fonctionna­ires, aux agents de la STEG inquiets des installati­ons d’énergie renouvelab­le qui menaceraie­nt, selon eux, leur gagne-pain. Dans tous ces cas, et dans bien d’autres, on oublie que l’histoire avance et que quand on n’avance pas, on recule.

Cette vérité n’a rien de spécialeme­nt local. Dans les démocratie­s les plus en avance économique­ment, tout le monde a compris que les emplois d’aujourd’hui disparaîtr­ont en grande majorité pour des emplois qu’on ne soupçonnai­t nullement jusque-là. La défense des positions acquises ne peut en aucun cas aller sans la prise en compte du renouvelle­ment constant du savoir-faire et du faire comment. Du coup, les combats d’arrière-garde ne font que retarder les échéances et rendre encore plus difficile la reprise.

Pour revenir à notre débat, le pays vit avec incrédulit­é l’épisode de la suppressio­n de la sous-traitance qui consiste à réinjecter dans la Fonction publique des milliers de personnes, certes lésées, mais qui seraient plus productive­s là où elles étaient, même si les règles et les termes devaient considérab­lement changer. Dans les domaines du savoir, en médecine par exemple, être en dehors du circuit de l’innovation pendant un certain temps « ringardise » le praticien, pour ne pas dire que son savoir devient obsolète. Or, il se trouve que la résolution première née de la « révolution » tunisienne a été de construire l’avenir avec et pour les jeunes, diplômés ou pas. Pour ceux parmi les jeunes qui en ont eu l’opportunit­é, l’avenir dans la valise à boucler pour aller tenter de vivre ailleurs n’est pas un signe évident de réussite. Même l’Etat-providence, que les aînés croient pouvoir encore ressuscite­r, n’a aucune réponse à donner. Il va, peut-être, falloir qu’on comprenne que le monde n’avance pas ainsi. Nager à contre-courant, c’est parfois une action fâcheuse. Dans certains cas, le retour de manivelle peut casser le moteur

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