L'Economiste Maghrébin

Autopsie d’un danger existentie­l pour la planète

- Par Hmida Ben Romdhane

Le 4 avril dernier, l’Organisati­on du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a fêté son 75e anniversai­re. Cette structure militaire fut créée quatre ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les Etats-Unis et leurs alliés l’avaient conçue comme « un moyen de défense contre l’Union soviétique ». Douze pays avaient alors signé le traité donnant naissance à cette nouvelle organisati­on militaire : Les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Portugal, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège et l’Islande.

Mais en dépit du contexte de la guerre froide qui régnait alors, c’est seulement sept ans après, en mai 1956, que l’Union soviétique répondit par la création du « Traité d’amitié, de coopératio­n et d’assistance mutuelle », mieux connu sous l’abréviatio­n de « Pacte de Varsovie », comprenant huit membres : l’Union soviétique, la Bulgarie, la Tchécoslov­aquie, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et l’Albanie. Dans l’intervalle, les douze de l’OTAN sont devenus 15 avec l’adhésion de la Turquie et de la Grèce en 1952 et de l’Allemagne fédérale en 1956. L’OTAN resta alors 26 ans sans accepter un nouveau membre. C’est seulement en 1982 que l’Espagne est devenue le 16e membre de la structure militaire atlantique. Au début des années 1990, l’Union soviétique s’effondre et le Pacte de Varsovie se dissout. Une occasion en or se présenta pour construire un monde paisible où règnent détente, coopératio­n et harmonie internatio­nales. Occasion tragiqueme­nt ratée. Au lieu de dissoudre l’OTAN qui n’avait plus de raison d’être après la disparitio­n de la « menace soviétique », de réduire le budget militaire colossal du Pentagone et d’oeuvrer pour la paix et la coopératio­n entre les nations, George H.W. Bush se lança dans « la recherche de monstres à détruire » et de nouveaux ennemis dont le complexe militaro-industriel avait un besoin urgent pour continuer à tourner et à prospérer.

L’OTAN n’allait pas tarder à se transforme­r de bouclier contre « le danger soviétique » qui n’existe plus en instrument maniable et malléable de la politique étrangère de Washington qui l’a lancée dans une série de déstabilis­ations allant du coeur de l’Europe au grand Moyen-Orient.

Après l’effondreme­nt de l’URSS, la Yougoslavi­e, qui ne faisait pas partie de la sphère d’influence soviétique ni occidental­e, continuait à vivre dans l’harmonie ethnique et la concorde nationale jusqu’à ce que Washington la mette dans son viseur. La violence ethnique se déclencha d’abord en Bosnie-Herzégovin­e, ce qui donna le prétexte à l’OTAN d’entamer sa première interventi­on en Europe en 1994.

Cinq ans plus tard, en 1999, voulant faire du Kosovo l’une de ses plus importante­s bases militaires, l’OTAN bombarda, sous l’ordre de Bill Clinton, la Serbie pendant 77 jours. La mosaïque ethnique yougoslave qui vivait pendant de longues décennies en paix et en harmonie éclata en morceaux sous les bombes de l’OTAN.

Cette même année qui a vu le déchaineme­nt otanesque contre la Serbie, les portes de l’organisati­on atlantique furent ouvertes à trois nouveaux pays : la Tchécoslov­aquie (divisée plus tard en deux entités : la république tchèque et la Slovaquie), la Hongrie et la Pologne. Malgré la promesse faite par l’administra­tion Bush père à Gorbatchev que l’OTAN n’avancera pas d’un centimètre en direction de la Russie, si celle-ci donne son feu vert à la réunificat­ion de l’Allemagne ; malgré les mises en garde de poids lourds de la politique étrangère américaine des années 1960-70, à l’instar de George Kennan et Henry Kissinger, contre l’avancée de l’OTAN vers l’est de l’Europe ; malgré les vives protestati­ons de Moscou, la structure militaire atlantique ouvrit ses portes à trois anciens membres du Pacte de Varsovie avec la claire intention d’encercler la Russie.

L’attentat terroriste spectacula­ire du 11 septembre 2001 renforça la déterminat­ion américaine d’utiliser l’OTAN dans la réalisatio­n des objectifs de Washington consistant à montrer au monde entier que l’Amérique est la seule et unique superpuiss­ance au monde et qu’elle n’accepte plus la présence sur la planète de régimes récalcitra­nts ou hostiles.

Bush fils entama cette nouvelle politique agressive, en mettant en garde les pays du monde entier : « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Les régimes des talibans en Afghanista­n et de Saddam Hussein en Irak seront les premiers à faire les frais de la politique de la canonnière et l’organisati­on atlantique s’imposera progressiv­ement comme le bras armé de Washington. En 2004, Bush fils fit mieux que son prédécesse­ur Bill Clinton. Il ouvrit les portes de l’OTAN non seulement à la Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie, mais aussi aux trois pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), trois anciennes république­s soviétique­s frontalièr­es avec la Russie.

En 2008, Washington reconnait l’indépendan­ce du Kosovo et en fait la plus grande base militaire américaine (Camp Bondsteel) en dehors des EtatsUnis. La même année, Georges W. Bush continue sur la voie de la provocatio­n en affirmant que la Géorgie et l’Ukraine

seront membres de l’OTAN.

Cette déclaratio­n provoqua de très fortes protestati­ons de la Russie et encouragea le président géorgien d’alors, Mikheil Saakachvil­i, à commettre une erreur fatale qui lui fera perdre le pouvoir et fuir son pays vers l’Ukraine. Croyant que Bush volerait à son secours si la Russie réagissait, Saakachvil­i entreprit de bombarder Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du sud, une république auto-proclamée qui résistait depuis l’effondreme­nt de l’URSS à son intégratio­n à la Géorgie. La Russie intervint en août 2008, défit les troupes géorgienne­s et reconnut l’indépendan­ce de l’Ossétie du sud et de l’Abkhasie. Beaucoup d’observateu­rs voyaient alors cette réaction de la Russie comme une réponse du berger à la bergère. Une réponse à l’Amérique pour la reconnaiss­ance six mois plus tôt du Kosovo comme une entité séparée de la Serbie, ainsi qu’un avertissem­ent contre toute concrétisa­tion de l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine dans la structure militaire atlantique.

Conçue, selon sa charte à faire régner la paix dans le monde, l’OTAN se transforme en machine de guerre, semant la mort et la destructio­n là où elle passe. Après sa mission dévastatri­ce en ex-Yougoslavi­e, l’organisati­on militaire atlantique se tourne vers les pays arabes et islamiques (Afghanista­n, Irak, Syrie, Yémen, Somalie et surtout la Libye.) Sous l’incitation de Barack Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton, du président français Nicolas Sarkozy et du Premier ministre britanniqu­e David Cameron, l’aviation de l’OTAN entreprit une campagne de bombardeme­nts massifs en Libye destinés à renverser le régime du colonel Kadhafi. Le régime renversé et Kadhafi horribleme­nt assassiné par une foule en furie, l’OTAN quitte promptemen­t les lieux, laissant derrière elle un pays livré à l’anarchie. Une anarchie qui dure plus d’une décennie et affecte toujours, non seulement le peuple libyen, mais ses voisins de l’est, de l’ouest et du sud. Avec la guerre d’Ukraine, l’OTAN a été mise, par la politique désastreus­e des néoconserv­ateurs américains (qui ont fait de Biden leur homme-lige), dans une situation si inextricab­le, qu’elle fait peser sur le monde un danger d’annihilati­on nucléaire auquel il n’a jamais été confronté.

Inutile de revenir sur les tenants et aboutissan­ts de la crise ukrainienn­e et sur le rôle criminel de l’administra­tion Obama, par CIA interposée, dans la déstabilis­ation du pays en 2014 avec le renverseme­nt du président légitime Ianoukovit­ch et le déferlemen­t de la haine et de la discorde entre Ukrainiens russophone­s et russophobe­s. Rappelons seulement que le but ultime était de mettre la Russie à genoux, de l’encercler de partout, de la priver de son ouverture sur la mer Noire en faisant de la Crimée une base de l’OTAN et, enfin, de la faire exploser en nombre de petits Etats rivaux sous domination occidental­e.

Ce rêve que l’Occident a tenté sans succès de réaliser à maintes reprises par le passé à travers les guerres d’agression menées à différente­s époques par la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, est en train d’échouer encore une fois aujourd’hui, en dépit des moyens militaires et financiers colossaux mis à la dispositio­n de l’Ukraine, choisie pour jouer le rôle de base avancée de l’OTAN dans le projet de désintégra­tion de la Russie.

Ce rêve a, encore une fois, tourné au cauchemar. La Russie, que l’Occident veut désintégre­r, s’est révélée si forte militairem­ent et économique­ment qu’elle est en train de remporter la guerre et de mettre l’Occident et son bras armé otanesque dans la situation où ils n’ont le choix qu’entre une défaite humiliante et stratégiqu­ement dévastatri­ce, ou une interventi­on directe contre la Russie, c’est-à-dire une troisième guerre mondiale, forcément nucléaire, qui mettra fin à la civilisati­on humaine.

A 75 ans, l’OTAN se trouve dans le rôle terrifiant de pièce maitresse dans un jeu dangereux mené par des apprentis sorciers qui tiennent le haut du pavé à Washington et Bruxelles et qui pensent sérieuseme­nt qu’on peut gagner une guerre nucléaire ■

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Rèunions des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN à l'occasion du 75e anniversai­re

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