Oussama Troudi ou le bricolage érigé en art
Tout l’argumentaire repose sur des entrelacements de fils, des croisements improbables, des liens impossibles, des jonctions inappropriées, des noeuds insolubles…
Les oeuvres ont des noms de villes : des cités du Nord et du Sud qui ne se joignent pas
On l’a découvert jouant sur les partitions musicales, utilisant les croches et les notes comme support artistique. On l’a suivi dans ses expérimentations informatiques, évoluant dans un pointillisme sidéral. On a été attentif à ses recherches, aux voies qu’il explorait, à un parcours qui, selon les galeristes et les critiques, faisaient de lui un des talents les plus prometteurs de cette nouvelle génération d’artistes oscillant entre le conceptuel et le politiquement incorrect. Lui ne cherchait ni à provoquer ni à choquer, encore moins à perturber. Et quand message il voulait transmettre, c’était par allusion, suggestion… Chez Ghaya Gallery, on découvre un aspect inconnu de Oussama Troudi : celui du bricoleur qui détourne le bricolage en oeuvre
d’art. Tout est né d’un projet de table. Aycha Ben Khalifa la lui réclamait depuis longtemps, lui laissant libre cours quant à son interprétation. On en vint à suggérer un travail avec des fils….Et on arriva à cette exposition où toute la démarche, tout l’argumentaire repose sur des entrelacements de fils, des croisements improbables, des liens impossibles, des jonctions inappropriées, des noeuds insolubles, des rencontres impossibles. Les oeuvres ont des noms de villes : des cités du Nord et du Sud qui ne se joignent pas, celles des côtes et de l’intérieur du pays qui n’ont pas de contacts entre elles, celles qui s’ouvrent à l’horizon, celles qui se referment sur elles-mêmes. Quant au support, Oussama Troudi innove : parce qu’il n’y a pas de
magasin de matériel pour les BeauxArts dans ce Montfleury où il vit et travaille, mais aussi parce qu’il croit que l’art n’est pas seulement «riche», l’artiste s’approvisionne dans les quincailleries : le plâtre pour support, pour traduire la fragilité des choses, leur précarité mais aussi les faux-semblants que cachent les apparences. Les clous pour dénoncer la passion du pouvoir, cet attachement irrésistible de ceux qui le détiennent à leur poste, et l’adage populaire du «mosmar mkhazez». Déconcertante, certes, cette exposition de Oussama Troudi, expliquée à sa manière par Mohamed Ali Berrhouma : «En perçant, clouant, vissant, tendant, attachant, enduisant, grattant, martelant, l’artiste tourne les actes d’un quotidien tâcheron travaillant ses murs en possibilités créatrices et en parcelles murales visuelles ouvertes. De la même manière qu’un bricoleur s’affairant à ses murs pour les prémunir, les parer et pour finalement y accrocher quelque élément, Oussama Troudi, dans sa geste créatrice, pousse le bricolage dans ses prolongements esthétiques et bricole ses pans de murs plâtrés pour y accrocher, enfin, notre regard. » Nous, on aime aussi cette ode à un vieux quartier oublié, Montfleury au joli nom, que l’artiste a choisi comme lieu de vie, lieu de faire, espace social dont il met à contribution les artisans et dont il convoque la mémoire