La Presse (Tunisie)

La polémique enfle

Les députés nidaistes et nahdhaouis clament toujours leur soutien à Youssef Chahed. En même temps, ils livrent en pâture à la commission des finances son projet de loi de finances qui prône la guerre contre l’évasion fiscale et la traque de la corruption.

- A.DERMECH

Les députés nidaistes et nahdhaouis clament toujours leur soutien à Youssef Chahed. En même temps, ils livrent en pâture à la commission des finances son projet de loi de finances qui prône la guerre contre l’évasion fiscale et la traque de la corruption. Certaines dispositio­ns, telles que celle relative au secret bancaire, n’ont pas été adoptées, faute d’appui politique

Jamais un projet de loi de finances n’a suscité autant de polémique ni fait couler autant d’encre et de salive et poussé autant d’universita­ires et d’experts réputés ou sortis de l’ombre à cette occasion pour rédiger ces nombreuses tribunes et opinions qui peuvent composer un ou plusieurs ouvrages, que celui relatif à l’année 2017. Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt d’union nationale, multiplie les conseils ministérie­ls restreints consacrés à la loi et son départemen­t de communicat­ion se mobilise pour expliquer aux Tunisiens que la loi de finances 2017 ne se limite pas uniquement au gel des augmentati­ons salariales dans la fonction et le secteur publics jusqu’en 2019 ou si accord est conclu avec l’Ugtt exceptionn­ellement pour le compte de l’année 2017. Les membres du même départemen­t rappellent la dimension sociale de la loi en question dont certaines dispositio­ns profiteron­t aux catégories sociales moyennes ou vulnérable­s, aux handicapés et aux familles des martyrs des institutio­ns militaire et sécuritair­e ainsi qu’aux 25 mille jeunes auxquels on a consacré une enveloppe de 250 millions de dinars dans le cadre du programme d’emploi sous l’appellatio­n «contrat-dignité». Lamia Zribi, ministre des Finances, ancienne de la boîte, rompue aux joutes oratoires qui ont toujours accompagné les lois de finances, y compris à l’époque du président Ben Ali quand l’Utica finissait toujours par remodeler les projets proposés par le gouverneme­nt et arrivait à y introduire les réajusteme­nts qu’elle voulait, fait montre d’un optimisme que ceux qui survolent d’un oeil morne trouvent irréaliste­s, voire impossible­s. Elle considère, en effet, que par le dialogue et rien que le dialogue, il est possible de parvenir aux solutions qui prendront en considérat­ion les intérêts des uns et des autres, d’une part, et de faire en sorte, d’autre part, que les sacrifices douloureux ne soient pas consentis par une seule catégorie sociale. Et il n’est pas sorcier de savoir que cette catégorie sociale se compose des salariés et fonctionna­ires de l’Etat, soumis au dik- tat de la retenue à la source. A force de suivre les débats, à entendre moult déclaratio­ns, les Tunisiens se sentent perdus dans les ronces inextricab­les des analyses cauchemard­esques de Mourad Hattab, l’expert en risques financiers, de Moëz Joudi, le président de l’Associatio­n tunisienne de la bonne gouvernanc­e, qui nous annonce quotidienn­ement que les salaires du mois en cours seront peut-être les derniers que Lamia Zribi pourra servir aux fonctionna­ires, et de Ezzeddine Saidane qui se promène dans les couloirs des hôtels luxueux, la sonnette d’alarme dans la poche, pour prédire que le dinar tunisien ne valera plus rien dans les prochains mois. En même temps, les membres de l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP), au niveau des commission­s, donnent l’impression d’avoir répondu favorablem­ent au mot d’ordre que leur a lancé leur président, Mohamed Ennaceur, les obligeant à se réuni jour et nuit et même le dimanche, dans l’objectif de parachever l’examen et l’adoption préliminai­re du projet de loi de finances 2017 dans les délais constituti­onnels.

Les entreprise­s payeront plus d’impôts

C’est ainsi que les membres de la commission de la législatio­n générale et de celle des finances se sont mis à l’oeuvre pour donner leur aval à plusieurs dispositio­ns contenues dans le projet et pour rejeter purement et simplement d’autres. Ainsi, on apprend que les députés de la commission des finances ont donné leur accord pour que les entreprise­s payent un impôt supplément­aire de l’ordre de 7,5% sur les bénéfices qu’elles vont réaliser en 2017. Ces 7,5% constituen­t une contributi­on exceptionn­elle pour le compte de l’année 2017 uniquement. Elle sera jointe aux 25% que ces entreprise­s payent déjà. Wided Bouchamaou­i, présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) a beau tempêter que cette mesure fera perdre 20 mille emplois qui peuvent être créés par ces mêmes entreprise­s «qui sont sanctionné­es parce qu’elles gagnent alors que celles qui coulent sont superproté­gées». Au grand dam des entreprene­urs, cette dispositio­n fut adoptée puisque les députés ont fait la sourde oreille et ont décidé que ceux qui travaillen­t continuent à payer pour ceux qui ne travaillen­t pas». Une autre décision prise par nos députés : le secret bancaire ne sera pas levé avant qu’un juge d’instructio­n n’en signe l’ordonnance. Ce qui revient à dire qu’un prévenu dans une affaire de corruption ou d’évasion fiscale aura tout le temps nécessaire pour vider ses comptes avant que la justice n’ordonne à sa banque de dévoiler le mouvement au niveau de son compte au juge d’instructio­n en charge de l’affaire. Et ce sont les députés de Nida Tounès et d’Ennahdha qui se sont ligués pour que l’article 37 de la loi de finances 2017 afférent à la levée du secret bancaire soit rejeté. Noureddine B’hiri, le chef du groupe parlementa­ire d’Ennahdha, explique : «Nous soutenons fermement la guerre lancée par Youssef Chahed contre l’évasion fiscale mais nous refusons que nos hommes d’affaires et entreprene­urs soient livrés en proie facile à ceux qui feront tout pour les déplumer injustemen­t». Mongi Rahoui, président de la commission des finances et l’un des leaders du Front populaire, est sidéré : «L’opposition applaudit des deux mains la levée du secret bancaire et se trouve malgré elle du côté de Youssef Chahed et au même moment, les nahdhaouis et les nidaistes lui coupent l’herbe sous les pieds». Enfin, les députés de la commission des finances ont rejeté l’article 13 qui envisageai­t l’annulation de l’impôt de 10% sur les bénéfices réalisés à l’export. «On va faire de la Tunisie un paradis fiscal comme ceux se trouvant dans certains pays d’Amérique Latine», ont rouspété plusieurs députés de l’opposition et aussi de la coalition au pouvoir. S’agit-il d’un message adressé aux quelque 2.000 investisse­urs et bailleurs de fonds qui viendront assister à la conférence internatio­nale sur l’investisse­ment qui sera organisée les 29 et 30 novembre, éplucher les dossiers qui seront mis à leur dispositio­n et peut-être choisir de financer l’un des projets qui répondra à leurs programmes ? Hassine Abassi, secrétaire général de l’Ugtt, qui souffle quotidienn­ement le chaud et le froid à propos du différend Ugtt-gouverneme­nt sur le gel des salaires, n’a pas attendu que Christine Lagarde, présidente du FMI, débarque à Tunis pour voir où en sont les choses. Samedi, il lui a fait savoir dans une déclaratio­n médiatique que «le projet de la loi de finances 2017 est mal rédigé par des personnes inexpérime­ntées». Toutefois et pour ne pas subir les critiques ou les reproches des autorités, il a appelé «le FMI à ne pas intervenir dans les choix de la Tunisie ou à lui dicter ses ordres».

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Le débat au sein de la commission des finances est très électrique
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Le débat au sein de la commission des finances est très électrique

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