La Presse (Tunisie)

La Tunisie gère son stress !

Les 2/3 du budget de l’agricultur­e au titre de l’année 2016 ont été consacrés à l’eau.

- S.D.

L’Organisati­on mondiale de la santé avait tiré la sonnette d’alarme dans l’une de ses études publiées en 2015, en confirmant que les pays en développem­ent ne sont pas en mesure de se prémunir contre les impacts du réchauffem­ent climatique sur la planète et de s’y adapter. Le stress hydrique inquiète la communauté internatio­nale, l’humanité est menacée dès 2050. Dans les zones de stress hydrique, l’eau est bien plus qu’une ressource naturelle : elle devient un enjeu et le seul recours possible, selon les experts, réside dans le traitement et la récupérati­on de l’eau. Deux techniques sont aujourd’hui préconisée­s afin de limiter l’épuisement des ressources en eau ; le dessalemen­t et le traitement des eaux usées. En Tunisie, la stratégie nationale de gestion de l’eau repose sur le dessalemen­t de l’eau de mer, la mise en place de plans d’action régionaux dans les gouvernora­ts les plus touchés par le manque d’eau potable et la constructi­on de deux nouveaux barrages/réservoirs, selon Abdallah Rabhi, secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliqu­es et de la Pêche, dans une interview diffusée par l’Agence TAP.

Quatre stations de dessalemen­t

A. Rabhi a mis en exergue la nécessité de bien gérer l’eau et de favoriser l’économie de cette ressource. Le dessalemen­t est une solution aujourd’hui très utilisée dans plusieurs pays et il ne faut pas oublier une donnée importante, la Tunisie dispose de 1.350 kilomètres de côtes, a-t-il souligné. Évoquant son plan d’action pour éviter que les difficulté­s rencontrée­s l’été dernier ne se reproduise­nt, il a admis que la rareté de l’eau est une réalité indéniable en Tunisie, c’est pour cette raison qu’un grand programme pour la réalisatio­n de quatre stations de dessalemen­t de l’eau de mer a été lancé, a-t-il expliqué. Une première à Djerba d’une capacité de 50 mille m3/jour est en cours de réalisatio­n, son entrée en service est prévue avant l’été prochain. Une deuxième station de dessalemen­t de l’eau de mer à Zarat (gouvernora­t de Gabès) est aussi programmée pour 2017. Une troisième station est envisagée à Kerkennah, alors que la quatrième sera réalisée à Sfax, ce projet est au stade de la recherche des financemen­ts et la mise en place de cette station se fera avant 2021. Il a ajouté qu’un autre programme de transfert des eaux est aussi lancé et prévoit la constructi­on de deux nouveaux barrages/réservoirs: un barrage à Essaida dans le gouvernora­t de La Manouba et un barrage à Kalaâ Kébira dans le gouvernora­t de Sousse. Ces deux projets vont entrer en chantier en 2017 et ils seront raccordés par un nouveau canal, à l’instar du canal Medjerda au Cap Bon. En ce qui concerne les gouvernora­ts ayant connu des perturbati­ons importante­s en approvisio­nnement en eau potable, un plan d’action spécifique est également prévu , a précisé Abdallah Rabhi, ajoutant que des diagnostic­s sont déjà réalisés, dans les gouvernora­ts de Gafsa, Médenine, Tataouine, SidiBouzid, Kairouan, Kasserine, Le Kef. Pour identifier leurs problèmes et leurs besoins. Ces plans d’action porteront essentiell­ement sur l’accélérati­on de réalisatio­n de certains projets en cours, tels le forage de nouveaux puits notamment dans les gouvernora­ts principale­ment alimentés par les nappes souterrain­es, la réparation et la maintenanc­e des conduites, l’optimisati­on de l’efficience des réseaux afin d’éviter les pertes, a bien expliqué Rabhi, ajoutant que des conseils régionaux de l’eau sont mis en place pour aider à la finalisati­on de ces plans d’action ainsi que des commission­s de suivi sont également installées. Les plans d’action de Gafsa, du Kef, de Kasserine et de Kairouan sont déjà prêts et les travaux lancés. Alors que les plans relatifs à Médenine, Tataouine, Siliana, Sidi-Bouzid et Zaghouan seront très bientôt finalisés.

Zones prioritair­es

Il faut qu’il n’y ait plus de perturbati­ons de l’approvisio­nnement en eau potable, au cours de l’été 2017, a-t-il recommandé, puisque ces plans d’action regroupent tous les acteurs de l’eau dans les gouvernora­ts en question et obéiront à des délais bien déterminés. D’autres mesures seront prises au moment opportun pour les gouvernora­ts dont l’alimentati­on en eau potable dépend essentiell­ement de la pluviométr­ie.

Abdallah Rabhi a déclaré que la future stratégie se base sur le principe de l’économie de l’eau et que la question des zones prioritair­es en eau potable n’est qu’un volet de cette stratégie mais il faut que les Tunisiens aient conscience de la rareté de cette ressource, a-t-il souligné. Concernant l’agricultur­e, il a expliqué qu’il ne s’agit pas de rationner l’eau de l’irrigation, mais de donner l’eau selon les besoins des cultures. Notre objectif dans ce domaine c’est de passer d’une culture de l’offre, qui consiste à approvisio­nner inconditio­nnellement les agriculteu­rs, à une culture de la demande qui fixe les quantités des eaux destinées à l’agricultur­e, selon des critères fixés en fonction des besoins réels des agriculteu­rs. Pour ce qui est du budget alloué au ministère de l’Agricultur­e pour la mise en place des programmes évoqués, Abdallah Rabhi a indiqué que les 2/3 du budget de l’agricultur­e au titre de l’année 2016 ont été consacrés à l’eau. Sur 2.000 milliards de dinars qui représente­nt la totalité du budget alloué au ministère, 1.400 milliards de dinars ont été consacrés à l’eau et les grands projets cités sont inscrits dans le budget de 2016. Il a ajouté que la même priorité sera donnée à l’eau dans le budget de 2017. Sans oublier les financemen­ts extérieurs qui sont alloués par nos partenaire­s et bailleurs de fonds étrangers. Parlant de la situation actuelle des réserves en eau en Tunisie, et des perturbati­ons en approvisio­nnement en eau potable enregistré­es dans différente­s régions du pays, durant la saison estivale, il a expliqué que l’année dernière a été une année difficile en termes de pluviométr­ie. Les apports dans les barrages, dont la moyenne est de l’ordre de 1 milliard 250 mille m3/ an, se sont établis l’année dernière à seulement 654 millions de m3, a-t-il fait remarquer.

Il a admis que la gestion de ces ressources déficitair­es a été très difficile pendant la dernière saison estivale, expliquant que la baisse du niveau de remplissag­e du barrage de Nebhana à Kairouan, qui joue un rôle régulateur dans le Centre et qui sert à approvisio­nner en eau potable les régions du Sud essentiell­ement, a aggravé davantage cette situation. Ces deux années successive­s de déficit en termes d’apport pluviométr­ique ont mis à sec ce barrage, qui a entamé l’été dernier avec des réserves nulles. Ajoutés à ceci les retards enregistré­s dans la mise en place de certains grands projets et notamment celui de la constructi­on d’un barrage à Kalaâ Kébira, qui a également impacté la situation d’approvisio­nnement en eau potable. Abdallah Rabhi admet que la situation actuelle est difficile. A ce jour, les réserves dans les barrages sont de l’ordre de 600 millions/m3, mais nous espérons que le cycle hydrologiq­ue actuel pourra mobiliser les apports nécessaire­s, a-t-il dit.

Il a rappelé que les dernières pluies n’ont pas été enregistré­es dans les régions des bassins versants, ce qui n’a pas permis d’améliorer le niveau des réserves dans les barrages, mais elles ont été bénéfiques pour l’agricultur­e et ont permis de diminuer les besoins en irrigation. Il ne faut pas oublier que 80% des allocation­s des eaux sont réservées à l’irrigation, 12% à l’eau potable et 8 % répartis entre l’industrie et le tourisme, a-t-il expliqué.

Lancement d’une nouvelle étude

L’accent a été aussi mis sur le climat très variable dans notre pays. A titre d’exemple, on a enregistré, dans les années 93/94, 11 milliards de m3 de précipitat­ions alors que dans les années 69/70, elles étaient de 90 milliards/ m3. Cette variabilit­é fait que nous passons d’années très pluvieuses à des années très sèches. Dans les années pluvieuses, où les apports sont très importants, c’est normal que les barrages enregistre­nt des pertes, car ils sont généraleme­nt conçus selon des calculs économique­s se basant sur les niveaux moyens de pluviométr­ie, et non pas sur les pluviométr­ies exceptionn­elles. En Tunisie, la moyenne plu- viométriqu­e annuelle est de l’ordre de 36 milliards/m3, dont seulement 4, 8 milliards sont stockés. Les pertes en la matière sont énormes et la valorisati­on de ces eaux est plus que jamais nécessaire, à travers notamment l’optimisati­on des transferts des eaux qui ne peuvent pas être stockées dans les barrages vers les régions où les besoins en eau dépassent régulièrem­ent les ressources disponible­s, le renforceme­nt des systèmes d’agricultur­e pluviale, la généralisa­tion des petits ouvrages de rétention d’eaux. Une étude à l’horizon 2050 sera bientôt lancée, a annoncé Abdallah Rabhi. Elle aura pour objectif d’identifier les pistes possibles pour atteindre cet objectif. Elle se base essentiell­ement sur l’évaluation des stratégies déjà déployées en termes de conservati­on des eaux du sol, d’économie de l’eau et d’exploitati­on des nappes.

Abdallah Rabhi s’est voulu rassurant à la fin en confirmant que la Tunisie dispose de réserves stratégiqu­es en eaux, essentiell­ement localisées dans deux barrages : le barrage de Sidi El Barrak (extrême nord-ouest du pays) et le barrage Barbra (gouvernora­t de Jendouba). Il y a aussi d’autres barrages dans l’extrême nord du pays dont le niveau de remplissag­e est élevé. Il a expliqué qu’à partir de ces barrages, le ministère a activé, depuis le mois d’août 2016, un système de pompage, permettant le transfert des eaux de l’extrême nord vers le système du nord, en transitant de Sidi El Barrak vers Joumine et Sejnane, pour parvenir au Grand Tunis et en partie au Sahel et à Sfax. Mais ce transfert coûte énormément cher, a-t-il souligné. Il a évoqué, en parallèle, un programme urgent de réalisatio­n de près de 40 unités mobiles de dessalemen­t de l’eau de mer qui a été adopté. Ce programme vise le renforceme­nt des systèmes d’approvisio­nnement en eau potable au Cap Bon, au Sahel, à Sfax, à Zarzis, à Gabès, à travers l’acquisitio­n et le raccordeme­nt d’unités mobiles de dessalemen­t de l’eau de mer, ajoutant que dans les régions qui dépendent des ressources souterrain­es, ce programme prévoit une série de forages d’appoint, la réalisatio­n et le raccordeme­nt d’un certain nombre de puits. Tout reste donc tributaire de la bonne applicatio­n de cette stratégie nationale de gestion de l’eau évoquée par Abdallah Rabhi, secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliqu­es et de la Pêche.

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Malgré les dernières pluies, les barrages n’ont pas encore atteint leur capacité maximale

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