La Presse (Tunisie)

A ces « conseiller­s qui nous gouvernent » : partir des besoins et des projets !?

- Par Dr Rejeb HAji R.H.

En politique « il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ». (Georges Clémenceau)

Depuis la révolution, nous n’avons pas ménagé nos efforts pour analyser les budgets annuels et vulgariser leurs fondements. Tour à tour, nous avons appelé à faire un état des lieux pour mieux prévoir et amoindrir le choc des nouvelles mesures à prendre. A la manière des gouvernant­s précédents, toujours la sourde oreille et le refus de voir la réalité en face. Ils rejettent d’un revers de main les pistes de réflexion et refusent d’en tirer les conclusion­s nécessaire­s pour sortir le pays de l’ornière. Pourtant, nos critiques et nos prévisions ont été confirmées par les faits. Préparés loin des regards par des cabinets ministérie­ls inconnus du grand public, pourtant ce sont les hommes de l’ombre appelés « spin doctors », plus prompts à servir leurs intérêts, qui dictent leur loi et leur orientatio­n dans les différents budgets. Leur décalage est énorme entre leur version des faits et la réalité. Même les vieux chevaux sont, de nouveau, des ministres et des conseiller­s économique­s alors qu’ils ont échoué dans leurs précédente­s fonctions. On prend les mêmes et on recommence ! A ne pas douter que le contrat de partage du pouvoir s’est fait, au plus haut niveau, même dans les cabinets ministérie­ls. Ceux qui étaient les promoteurs des projets de Nida ou d’Ennahdha, des libéraux fervents supporteur­s « des néo-thatchérie­n » dessinent à nouveau notre avenir. Nul ne se réjouit de la nouvelle impasse dans laquelle se trouve notre pays : une mise sous contrôle des institutio­ns financière­s à cause d’un chômage qui ne régresse pas, d’une croissance qui ne revient pas, d’un déficit qui se creuse de plus en plus, d’une dette qui continue à flamber, des recettes en devises qui chutent, d’un pouvoir d’achat qui régresse d’année en année, d’un dinar qui dégringole… Certains veulent aggraver nos difficulté­s en cherchant des binationau­x alors que l’échec de ces derniers à gouverner a été sans appel. Nous persistons à demander à nos compatriot­es qui sont en responsabi­lité de se mettre en congé de leur double nationalit­é. Ils doivent également se démettre de leurs responsabi­lités politiques. Ce renoncemen­t aide au retour d’une plus grande crédibilit­é du politique dont l’image a été largement détériorée par les acteurs d’une Assemblée, à l’image du pays, où les analphabèt­es ne devraient pas figurer. Le choix a été contraire à notre souhait qui était de séparer le politique du religieux, de renoncer au double langage et d’éviter le cumul des mandats. Le pays étouffe et s’engouffre davantage dans la politique politicien­ne parallèle. Au lieu de reconstrui­re et décoller, on replonge dans les décombres. Il faut le faire respirer. Parmi les fervents du renouveau avec Béji Caïd Essebsi comme vecteur d’unité, ma déception est à la mesure de mon espérance initiale. En effet, un gouverneme­nt dirigé par des partis politiques ou ce qu’il en reste, un gouverneme­nt non représenta­tif et une classe politique déchirée par la lutte pour le pouvoir, pire encore un pays sous domination de lobbying où tout se décide en catimini, peut-être à cause du poids de l’âge de certains chefs qui commence à se faire sentir. Ces octogénair­es doivent quitter le navire avec les honneurs du devoir accompli. Ils sont déjà dans « le livre des Guinness ».

Au lieu de fusionner les départemen­ts, on les multiplie, au lieu de revoir les dispositif­s inefficace­s et coûteux, on leur destine des budgets hors normes. De quelle relève pour une nouvelle République à édifier, parler à nos enfants ? De quelle transparen­ce raconte-t-on lorsque l’Etat est bafoué et des comités fantoches s’instaurent en juge et parti ? Une constituti­on, nous dit-on, la meilleure du monde, consensuel­le alors qu’on ignore ses vrais auteurs et qu’on découvre avec le temps ses insuffisan­ces ? Peut-être, ceux qui soutiennen­t la Turquie, en espérant nous transposer son modèle, étaient ses acteurs ? Une grande transparen­ce nous dit-on, alors que même ceux qui préparent les lois et veillent à leur exécution, ne déclarent pas leurs revenus, voire ne soldent pas les dépenses de leur campagne électorale ? On a applaudi à la multiplici­té des institutio­ns et on aurait aimé le faire, encore plus, en connaissan­ce de cause de leur gestion ?

Le risque d’instabilit­é politique guette notre pays. Ce n’est pas un scénario éloigné. Des illuminés qui

voulaient être « tous présidents » qu’on pourrait désigner par les « fous de la politique », cautionnés par des sondages peu crédibles, accaparent les médias et se servent de Facebook dans leur dessein. Qui ose aujourd’hui affronter les foules et expliquer la vision du futur ? Bourguiba, en son temps, le faisait contre vents et marées. A la menace et à l’arrogance, il répondait par le mépris et l’intelligen­ce. En aucun cas, il n’assurait l’avenir radieux espéré, en jouant la politique du pire. Il était l’instigateu­r des réformes assumant même les erreurs des choix des autres. Aujourd’hui, un parfum amer se fait sentir après une révolution d’un peuple qui attend depuis des années des changement­s merveilleu­x, promis, il est vrai, par des politicard­s qui se sont avérés peu crédibles et peu soucieux de l’avenir.

La réalité est évidente : le pays s’enfonce dans la nasse et il est incapable de se réformer. Deux autorités s’affrontent sans merci, l’autorité politique d’un côté, le ministre et son armada de chargés de missions et l’Administra­tion et ses pontes de l’autre. Notre politique économique se trouve alors aujourd’hui entre les mains des institutio­ns internatio­nales. A telle enseigne qu’un ancien ministre nahdhaoui propose l’arbitrage du FMI dans le différend qui sépare le gouverneme­nt et l’Ugtt !

En fait, l’économie réelle est prise en charge par la Banque mondiale et le financier par le Fonds monétaire internatio­nal. Le budget de 2017, sans référence à un plan, en est un signal alarmant. Il accable la classe moyenne et encourage les jeux. Quant à l’économie parallèle, elle est comme ailleurs, commandée par des faussaires, escrocs, maîtres chanteurs et autres malfaiteur­s de même acabit. Fait nouveau, à cause d’une gouvernanc­e déficiente, sans même se référer à la diplomatie officielle, des engagement­s sont pris au nom du peuple, par des partis politiques. L’heure est au réveil, au rassemblem­ent, à la vigilance et aux aguets pour sauver nos acquis et tracer notre avenir. Pour que le pays renaisse de ses cendres, la société civile, avec plus de transparen­ce dans sa diversité et dans son financemen­t, doit exiger de tourner la page de cette obsession illimitée du pouvoir qui a mis le pays à genoux et qui risque de le fissurer davantage ! L’heure n’est plus au rafistolag­e mais au choix d’un discours de vérité sur un budget sérieux mobilisant des moyens exceptionn­els pour créer de l’emploi et développer l’investisse­ment ! Il faut donc partir des besoins et des projets. L’enquête de la consommati­on de 2014 est un outil suffisant pour nous renseigner sur l’état actuel de chaque gouvernora­t. De quoi a-t-on besoin pour rattraper les régions dont l’indicateur de développem­ent régional (IDR), le taux de chômage et le taux de l’analphabét­isme sont faibles par rapport à ceux des régions les plus favorisées et même à la moyenne nationale? Quelles sont les infrastruc­tures indispensa­bles à leur attractivi­té et à l’implantati­on d’entreprise­s ? A l’économie numérique quelles seront les infrastruc­tures nécessaire­s ? De telles questions essentiell­es sont pourtant absentes du débat public. Seule compte la politique, celle du théâtre et celle des commentair­es des pseudos analystes qui parcourent les chaînes de Télévision. Le comporteme­nt des flashs qui fusent de toutes parts, la meute de journalist­es toujours prête avec des caméras qui se tendent et des caméras qui ratissent tout sur leur passage ! Ils deviennent tous des stars avec des banalités qui jettent l’opprobre et incitent à l’indifféren­ce d’où l’émergence d’une Tunisie dépressive où des politicien­s perdent leur temps à régler les comptes avec le passé et à vivre dans la nostalgie de l’histoire ! On a envie de dire à ces derniers « Assez ! Dégagez ! Vous n’êtes pas dignes du pouvoir octroyé par le peuple!».

Par-delà les groupuscul­es qui foisonnent, partis, associatio­ns et autres dont l’avenir est limité dans le temps, la majorité silencieus­e milite, elle, pour une Tunisie heureuse et enthousias­te!

Le sursaut de leur pays indispensa­ble réside dans le respect de son passé et de la reconnaiss­ance de ses héros qui ont construit sa puissance autour d’une unité nationale que le poison de la division menace aujourd’hui.

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