Le combat des femmes contre l’oppression n’est pas fini
Zoubeïda Khaldi construit une cinquantaine de poèmes non détachés, comme un corpus dans une intégrité manifeste qui transpire de l’ouvrage, comme en écho à la recherche d’intégrité (devant l’oppression ambiante) de la «narratrice» qui déclame les vers au
«J’ai cherché dans le Livre Sacré Dans tous les signes et les versets Ceux inscrits en nous et en l’horizon Ce qui les pousse à nous rabaisser Et faire de notre vie une prison Je n’ai évidemment rien trouvé» , crie la «narratrice» dans ce qui semble le plus éloigné de la poésie «classique», passablement impressionniste. Car, ici, Zoubeïda Khaldi s’engage à fond dans une poésie «figurative» aux antipodes de l’abstraction, de la recherche du beau invariable. Comme la peinture du même nom, les personnages sont immédiatement identifiables, leur psychisme tout de suite cerné, une dimension de militantisme clairement identifiée.
«Pouvoir balbutier, c’est déjà bien !»
Seulement, si vous êtes adepte de la poésie «abstraite» mettant les anges et les démons face à face dans un affrontement épique destiné aux chants lyriques, ce n’est pas ce que vous trouverez dans cet ouvrage de Zoubeïda Khaldi, même s’il n’est certainement pas dénué de lyrisme. Car ici, nous n’avons pas un «simple» recueil de poèmes dans le sens classique, mais plutôt un roman s’attardant sur un parcours, des hauts et des bas, des revirements, de héros, ou plutôt des héroïnes... Là où les 3 premiers poèmes du «roman» sont capitaux. Pris ensemble, ils sont la clef de l’ouvrage : dans le premier que nous avons cité ci-haut, c’est l’incompréhension des traditions qui consacre le vice de principe, et dans le second c’est la résignation : «Pouvoir balbutier, c’est déjà bien ! Bien des femmes fières et farouches Sont mortes, sans que jamais rien Ne sorte de leur bouche Pas même un souffle ! A part le dernier» . Dans le troisième, c’est la preuve mathématique, irréfutable dans la simplicité du propos, dans le caractère inéluctable de sa logique, que tout cela est totalement vicié et que ce vice porte déjà en lui la fatalité de l’effondrement de tout le système qui «les pousse à nous rabaisser et faire de notre vie une prison» .
Entre Animus et Anima
Cette logique, la voici, dans son étonnante simplicité : «S’il n’y avait pas de femmes... … Le visage du monde sans son visage … Regardez Adam pâlir et rougir Va-t-il mourir ? Non ! Regardez-le fleurir... C’est enfin la naissance d’Eve!». Une Eve qui n’est pas Une et Indivisible alors que Zoubeïda Khaldi nous entraîne sur les pas de deux femmes-figures : Aïcha et Zahra, entre Animus et Anima... deux alter-ego peutêtre. La première, Aïcha, est extravertie avec une forte dose d’Animus, elle fonce et ne se laisse pas faire en prenant les choses de front. Un caractère qui annonce la femme moderne dans son sens générique, même si les choses ne sont pas aussi simples. La seconde, Zahra, est introvertie, elle est l’image de l’Anima de base, et elle compose avec les événements, y compris les éprouvants, comme celui de la venue d’une rivale, imposée par la force ou la force des choses, le legs des siècles. Les deux facettes de l’auteure, sans doute. Car elle doute encore : «De sept voiles, je suis encore voilée C’est pourquoi je ne peux rien dévoiler Ces voiles, ces geôliers gardent la clé De mes sentiments et de ma pensée C’est pourquoi je ne peux que balbutier». Nous ne croyons pas que vous vous complaisez dans votre dimension Anima. Inspirez, Zoubeïda, expirez, vous venez d’exorciser vos démons.
Balbutiements à l’arrière-sai
son, 115p., mouture française Par Zoubeïda Khaldi Editions Sahar, 2016