Tunis-Carthage doit-il prendre sa retraite ?
La compétition entre compagnies aériennes ne se joue plus uniquement dans le ciel, mais aussi au sol, en aéroports. L’aéroport Tunis-Carthage ne déroge pas à cette règle et le mot fatal a été lâché par le ministre du Transport : «Cet aéroport, ne fait plus honneur à la Tunisie»
L’aéroport Tunis-Carthage a soufflé en juin 2016 sa 92e bougie. C’est l’aéroport historique de Tunis. Il n’empêche qu’avec l’âge et le délaissement, cet aéroport « ne fait plus honneur à la Tunisie», comme l’a si bien décrit Anis Ghedira, ministre du Transport, lors de son audition par la Commission de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et des services relevant de l’ARP, le 9 novembre dernier. Pourtant, les spécialistes affirment que la compétition entre compagnies aériennes se joue désormais non plus dans le ciel mais au sol, en aéroports. Le mot fatal a été lâché par le ministre et l’on sait que déjà trois scénarios sont possibles, l’un d’eux recommande le transfert de l’aéroport Tunis-Carthage vers une autre région. Est-ce la bonne solution ? Qui de nous n’a pas eu maille à partir avec les services de l’aéroport de Tunis-Carthage ? Vol de bagages, retards à répétition, promsicuité, taxistes-arnaqueurs, insalubrité, manque cruel d’informations… la liste des doléances est longue. Et pour cause, l’aéroport de Tunis-Carthage n’est pas dans l’air du temps. C’est un aéroport qui ne s’est pas adapté à temps aux chagements qui se sont opérés dans le secteur. Ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de vision. Il suffit d’observer de plus près les types de hubs qui existent actuellement dans le monde, les besoins logistiques qu’ils commandent, ainsi que les ressources humaines à pourvoir pour un bon fonctionnement de ces plateformes innovantes et numériques, pour se rendre compte du décalage flagrant. Doit-on pour autant laisser les autorités compétentes se regarder en chiens de faïence alors que l’aéroport joue un rôle charnière dans l’expérience du voyageur ? Véritable porte d’entrée et de départ d’une destination, c’est à l’aéroport que le visiteur conserve la première et la dernière impression. Plusieurs aéroports l’ont compris et ont adapté leurs espaces pour répondre à diffé- rents besoins, et sont même allés jusqu’à séduire les visiteurs de l’endroit. Qu’a-ton fait pour TunisCarthage ? Des extensions, rien que des extensions. Certes, il faut reconnaître les efforts déployés par l’Oaca pour maintenir en activité une infrastructure aéroportuaire de l’envergure de Tunis-Carthage et pour être à jour et en totale conformité avec les normes et standards internationaux d’exploitation des aéroports. Il n’empêche, l’aéroport Tunis-Carthage a connu plusieurs extensions et aménagements dont les plus importants demeurent l’ajout de l’aile sud de l’aérogare et l’exploitation pour la première fois en Tunisie des satellites et des passerelles télescopiques. Mais c’est lors du Conseil ministériel en date du 7 octobre 2005 qu’il a été décidé de reconvertir le hangar de fret qui a été construit dans les années 70/74 en un terminal pour pèlerins et vols charters et irréguliers, et ce, afin de réduire la pression sur l’aéroport Tunis-Carthage. Aujourd’hui, ayant dépassé 5 mil- lions de passagers par an, le principal aéroport de Tunis doit faire face à de nouveaux défis. A cet effet, au ministère du Transport, où on est conscient du problème, des études ont été engagées. Ces études devront aboutir à trois scénarios. Le premier consiste en l’extension et l’aménagement de l’aéroport pour un coût global avoisinant les 700 millions de dinars (MD). La capacité d’accueil s’élèvera ainsi à 9 millions de voyageurs par an. Le deuxième scénario consiste en la construction d’un nouvel aéroport qui viendrait s’ajouter à celui de Tunis-Carthage, alors que le troisième concerne la réalisation d’un aéroport qui remplace l’ancien, ce qui nécessite le choix d’un emplacement stratégique, comprenant tous les services relatifs au transport aérien et une infrastructure moderne. « La décision de transfert de l’aéroport vers une autre région n’a pas été prise jusqu’à ce jour. Cette décision doit être fondée sur des critères scientifiques et techniques», a fait savoir le ministre.
Aéroport Hammamet-Enfidha exclu ?
Bien que légitime, la question du transfert ou de la construction d’un autre aéroport ne doit pas servir de prétexte pour entamer un nouveau chantier alors que la densité en aéroports en Tunisie est déjà très éleve. La veille de l’ouverture de la Conférence internationale sur l’investissement, le projet d’un nouvel aéroport pourrait être contre-productif pour l’image du pays quand on sait que l’investisseur turc TAV Holding est déjà englué en Tunisie. Un autre aéroport porterait un coup de grâce à cette entreprise en Tunisie. En effet, depuis 2011, le volume d’activité de la société a connu une baisse significative. C’est ainsi que, comparé à 2010, le nombre de passagers en 2015 a baissé de 65% (en 2015, les deux aéroports ont enregistré, ensemble, 1,4 million de passagers contre 4 millions en 2010). Cela s’est naturellement traduit par des pertes considérables et accumulées pour la société qui oeuvre depuis lors à rechercher une solution viable pour la restructuration du projet. A ce titre, il importe de souligner que depuis 2011, en plus des fonds investis pour la construction de l’aéroport d’Enfidha, TAV Holding, actionnaire principal de TAV Tunisie, a contribué avec près de 150 millions de dinars supplémentaires pour couvrir le déficit de la Société et les dépenses d’exploitation, y compris les charges sociales. A ce jour, aucun des actionnaires n’a bénéficié de dividendes en retour de leurs investissements. A-t-on étudié l’hypothèse du transfert de l’activité de Tunis-Carthage à l’aéroport Hammamet-Enfidha qui dispose d’une plate-forme aéroportuaire innovante ? Silence et bouche cousue à ce propos. Pourtant, la Turquie sera présente à la Conférence internationale sur l’investissement avec une délégation de haut niveau et plusieurs investisseurs potentiels. Un témoignage de TAV Holding ferait fuir les Turcs de la Tunisie, comme le diable l’eau bénite.
Chokri BEN NESSIR