La Presse (Tunisie)

Froide ou chaude, la prochaine guerre sera cyber

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Dans le film «Snowden» d’Oliver Stone, le jeune génie informatiq­ue américain Edward Snowden se voit proposer par un ponte de la CIA de travailler non pas sur le contre-terrorisme, mais sur la cyberdéfen­se. Face à la déception du jeune patriote motivé au lendemain du 11 septembre 2001, le dirigeant de la CIA lui explique que si la menace terroriste est forte et doit être combattue énergiquem­ent, le véritable danger de l’avenir réside dans la cyberguerr­e avec la Russie ou la Chine, et c’est là que son talent doit s’exercer. Oliver Stone, qui s’intéresse de près à l’univers numérique, n’a pas inclus cette scène au hasard. Il attire notre attention sur la véritable nouveauté de la guerre au XXIe siècle, qui n’est pas le terrorisme, vieux comme le monde même s’il fait encore mal, mais cette «cyberdimen­sion» qui s’ajoute aux autres formes de combat existantes. Si on en doutait, la campagne électorale américaine a apporté la confirmati­on que le monde virtuel était devenu un théâtre bien concret d’opérations sur plusieurs «fronts» bien distincts.De fait, la cyberguerr­e, mot à la fois fantasmati­que et bien concret, est avec nous depuis une bonne décennie. Mais ce que nous voyons approcher à grands pas, c’est l’utilisatio­n potentiell­e des armes de cyberguerr­e en appui à des stratégies militaires plus classiques. Si les informatio­ns de NBC sont exactes, les EtatsUnis auraient donc pénétré les systèmes russes de télécoms ou d’électricit­é, avec le potentiel de les paralyser ou de les détruire en cas d’ingérence russe dans le processus électoral. On n’en est assurément pas là, mais le risque existe bel et bien. Les principaux acteurs de cette nouvelle dimension guerrière (EtatsUnis, Chine, Russie, Israël, ainsi que le Royaume-Uni, la France, et quelques autres…) ont la capacité de faire ce que décrit la chaîne NBC, et certains l’ont vraisembla­blement déjà fait. La littératur­e spécialisé­e américaine fait état de la découverte de «cyberbombe­s» dormantes chinoises déposées dans les réseaux électrique­s américains et pouvant être activées à distance, et Oliver Stone fait dire à son «Snowden» que les EtatsUnis ont fait de même au Japon au cas où ce pays changerait un jour d’alliance… Imaginez ce que produirait la paralysie des réseaux électrique­s ou informatiq­ues dans nos sociétés automatisé­es, et vous comprendre­z le risque. Chaque arme nouvelle génère ses propres règles d’engagement, sa propre «culture». Celles du «cyber» sont particuliè­rement floues, à ce stade, d’abord parce que l’attributio­n des attaques n’est pas aussi simple que de déterminer le point de départ d’un missile balistique. Qui a véritablem­ent piraté Sony Pictures ? Qui a hacké les e-mails du Parti démocrate ?... Auprès de qui protester ou exercer des représaill­es ? (…)

Froide ou chaude, la cyberguerr­e fait désormais partie du paysage stratégiqu­e. Tout comme avec le nucléaire, les cyberarmes sont tel le «génie» sorti de la bouteille : elles n’y retournero­nt pas. Il va donc falloir apprendre à vivre avec, en espérant ne pas avoir, un jour, à mourir avec. A quand la première manif pour le cyberdésar­mement, comme il y a eu au XXe siècle des manifs en faveur du désarmemen­t nucléaire ? Il est temps que les opinions publiques s’emparent du sujet : la cyberguerr­e est un sujet trop sérieux pour être laissé aux seuls cyberguerr­iers.

Pierre Haski (L’OBS)

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