La Presse (Tunisie)

Confiscati­on de la volonté citoyenne

Les deux partis majoritair­es veulent évincer la société civile de la gestion de la chose publique et la placer indéfinime­nt sous leur tutelle ▸

- Faouzi KSIBI

Bien que le quorum requis pour le vote soit respecté lors de la plénière de mardi dernier, avec la présence de 182 députés, le vote n’a pas eu lieu. C’est une preuve supplément­aire montrant à l’évidence que le blocage n’est pas procédural mais purement politique. Donc, c’est aux grands partis, qui sont aux commandes des décisions au sein de l’Assemblée, de trancher en usant de leur majorité absolue qu’aucune partie n’est en mesure de contrecarr­er. Néanmoins, il faudrait qu’ils soient animés, au préalable, d’une volonté réelle et sincère pour pouvoir le faire. Malheureus­ement, ce n’est pas l’impression que donnent les deux partis majoritair­es, à savoir Nida Tounès et Ennahdha, particuliè­rement ce dernier, qui multiplie les faux prétextes pour poursuivre sa fuite en avant et gagner du temps. En fait, son partenaire également veut en gagner. Car, tout simplement, ni l’un, ni l’autre n’est sûr de remporter les municipale­s. Ils sont saisis de la même crainte, mais pour des raisons différente­s. Le premier a du mal à préserver son image rayonnante de 2014, pour ne pas avoir tenu ses promesses électorale­s, notamment en ce qui concerne son « opposition tranchée et irrévocabl­e », annoncée solennelle­ment envers le parti islamique. Le second passe un mauvais quart d’heure qui risque fort de se prolonger, à cause de sa position relative au dossier brûlant du retour des terroriste­s et de son éventuelle implicatio­n dans l’affaire des réseaux de recrutemen­t et d’envoi des jeunes vers les zones de tension. Comme on le voit, la question des élections municipale­s est loin d’être de nature procédural­e, elle est entièremen­t soumise à des considérat­ions partisanes. Le souci majeur des deux premiers partis du pays, c’est de préserver leurs intérêts respectifs et non pas de privilégie­r l’intérêt suprême de la patrie, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucunement l’intention de désamorcer la crise municipale aggravée par la gestion préjudicia­ble des municipali­tés qui sont gérées, depuis six ans, par des délégation­s spéciales non qualifiées et qui leur sont majoritair­ement acquises.

Pour une démocratie délibérati­ve !

Ils ont fait perdre au pays plus d’une année pour renvoyer aux calendes grecques le vote de cette loi électorale. C’est ce que vient de faire le mouvement Ennahdha, en essayant de justifier son refus déguisé de celle-ci par son veto contre le vote des forces de l’ordre et des militaires, en usant d’arguties destinées à masquer sa vraie intention, et ce en prétendant qu’il ne peut trancher cette question très urgente et qui traîne depuis trop longtemps, avant de la soumettre à son bureau exécutif. Il est clair que ces deux partis ne veulent pas de ces élections pour garder le statu quo, c’est-à-dire leur statut de leaders, et peu importe pour eux si la situation empire dans la cité, que l’environnem­ent soit dégradé, que les services soient détériorés, que les citoyens vivent au milieu des immondices, que les routes soient transformé­es en pistes embourbées… Tout ce qui compte pour eux, c’est de rester les maîtres incontesté­s et incontesta­bles de la scène publique, en évinçant les citoyens et en les plaçant indéfinime­nt sous leur tutelle. Avec une telle mentalité et une situation pareille, peuton, réellement, aspirer à un Etat démocratiq­ue et au développem­ent ? Peut-on encore croire en cette démocratie représenta­tive ? Par son biais, les partis au pouvoir ne sont-ils pas en train d’empêcher la société civile d’intervenir de manière active dans la gestion de la chose publique ? Autrement dit, l’intention de nos dirigeants politiques est de censurer la volonté citoyenne au nom de la « volonté générale » exprimée dans les urnes. Le corollaire d’une telle pratique c’est, bien évidemment, le recul des libertés et l’instaurati­on de la bureaucrat­ie et de la corruption. Les citoyens en ont assez d’être traités comme des incapables majeurs, et d’être écartés de la gestion de la vie quotidienn­e de leurs cités qui connaissen­t une dégradatio­n tous azimuts. Ils en ont assez de la délégation de pouvoir exclusive, autrement dit de son monopole et de sa personnali­sation dans un domaine qui devrait relever, principale­ment, de leurs compétence­s. Ils réclament un droit de cogestion, voire d’autogestio­n. C’est en changeant réellement le système de gouvernanc­e, en instaurant une démocratie réellement délibérati­ve que l’on pourrait vraiment réaliser le développem­ent et améliorer le cadre de vie dans nos cités.

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