La Presse (Tunisie)

«Les solutions de transport doivent satisfaire les besoins dans 20 à 30 ans»

Les travaux du 1er forum de la mobilité urbaine ont débuté hier et devront s’achever aujourd’hui. L’Agence française de développem­ent (AFD) figure parmi les partenaire­s de cet événement dont l’un des principaux thèmes s’articule autour de la politique nat

- Propos recueillis par I.H.

En 2010, le financemen­t apporté par l’Agence française de développem­ent a permis d’initier un programme pour le renforceme­nt des compétence­s des autorités locales, et ce, afin de contribuer à une meilleure mobilité urbaine dans la région du bassin méditerran­éen. Six ans après, ce programme a-t-il donné des résultats concrets?

Sans aucun doute. Des résultats très concrets puisque le renforceme­nt des capacités des acteurs de la mobilité urbaine, tant locaux que nationaux, a permis l’émergence et le développem­ent de nombreux projets de transport urbain en Tunisie auxquels s’est associée l’AFD. Certains sont achevés, d’autres en cours et des perspectiv­es importante­s voient le jour. Il en va ainsi par exemple de l’extension du métro léger de Tunis, de la réhabilita­tion de la ligne TGM et de la constructi­on des lignes D et E du Réseau ferré rapide. L’AFD accompagne­ra demain la création d’un pôle d’échange et d’interconne­xion autour de la place Barcelone. Elle a marqué un intérêt pour le futur métro de Sfax. Les bénéficiai­res de ces actions de renforceme­nt de capacités sont par exemple la Transtu, Sncft, RFR… Ces actions multiples et variées en faveur du renforceme­nt de capacités se sont appuyées, dans le cadre d’un programme initié par le Centre méditerran­éen pour l’intégratio­n (CMI), sur l’expertise de Codatu, une associatio­n de droit français, à vocation internatio­nale qui regroupe des collectivi­tés locales, des organismes de recherche, des entreprise­s du transport et dont l’objectif est de promouvoir les politiques de mobilité urbaine soutenable. Un intéressan­t dialogue et un partenaria­t entre acteurs spécialist­es des questions de transport urbain sur les deux rives de la Méditerran­ée se sont par ailleurs structurés et développés à la faveur notamment d’échanges d’expérience entre pairs. Ils ont permis l’organisati­on d’un cycle de 6 rencontres en 3 ans de profession­nels du secteur dans tout le bassin méditerran­éen dont la finalité était double : d’un côté forger progressiv­ement une culture méditerran­éenne de bonnes pratiques en matière de déplacemen­ts urbains durables et de l’autre côté aller au plus près des décideurs et des problémati­ques locales en essayant d’apporter des solutions adaptées selon les différents contextes et leurs spécificit­és. L’ouvrage « Transports urbains durables en Méditerran­ée » fruit de ce travail collectif synthétise les enjeux que partagent les villes méditerran­éennes en la matière et propose une boîte à outils pour agir dans le sens d’un développem­ent de transports collectifs modernes adaptés aux attentes des usagers. Dans le cadre de ce programme, avait été organisé en 2012 à Tunis des Journées natio- nales du transport urbain (Jntu) qui avait initié une réflexion sur les thématique­s de la gouvernanc­e et du financemen­t des transports urbains. Cette réflexion prend désormais une nouvelle ampleur. Le Forum sur la mobilité urbaine organisé les 1er et 2 mars se propose en effet de poursuivre cette réflexion et d’aller encore plus loin en posant les bases d’une politique nationale de mobilité urbaine durable.

Selon vous, quelle politique pourrait être envisagée en Tunisie pour une meilleure mobilité urbaine?

Une politique visant une meilleure mobilité urbaine passe par des actions centrées sur l’augmentati­on de la part de marché des transports collectifs dans les déplacemen­ts totaux. Or, en Tunisie en général et à Tunis en particulie­r, on a pu observer depuis 30 ans un décrochage de la part du marché des transports collectifs urbains. Leur part modale est passée de 77% en 1977 à environ 30% aujourd’hui. Cette baisse est la combinaiso­n de plusieurs facteurs, tels que la baisse de performanc­e des transports publics, l’augmentati­on du niveau de vie des ménages qui s’est traduite par un recours accrue aux voitures individuel­les, mais aussi de la coordinati­on insuffisan­te des acteurs agissant sur la ville et d’une trop faible interconne­xion des modes de déplacemen­t. Afin d’améliorer la mobilité urbaine, il semble donc nécessaire d’adapter le volume de l’offre de transport collectif par rapport à la forte demande et à l’augmentati­on de la taille des agglomérat­ions, articuler les différents modes de transport public dans les grandes agglomérat­ions afin de réduire les temps de trajets des usagers, inciter financière­ment les usagers à l’utilisatio­n exclusive du transport collectif sur tout leur parcours en simplifian­t les différents tarifs et en rendant possible de passer d’un mode à un autre (bus, métro, RFR, lignes de banlieue de la Sncft) grâce à un seul titre de transport et améliorer la qualité du service des transports en améliorant à la fois leur confort et la sécurité, ce qui doit les rendre plus attractif pour les usagers. Ce dernier point est important car la voiture individuel­le véhicule un imaginaire très fort de liberté, d’autonomie et de confort. Le travail de pédagogie et de communicat­ion qu’il faut entreprend­re en la matière c’est de montrer par exemple qu’il est plus moderne et pratique d’emprunter le métro que de prendre sa voiture parce que cela est plus écologique, plus rapide, moins aléatoire, plus sûr, ou plus reposant. Mais cette communicat­ion n’est possible que si des investisse­ments sont réalisés en parallèle et répondent à des critères indéniable­s de qualité de service et de densité des réseaux. Au-delà, il est également important que la politique de transport élaborée soit bâtie sur la base d’une vision sur le long terme. Ainsi les solutions de transport ne doivent pas se limiter à répondre au besoin de mobilité d’aujourd’hui mais elles doivent être réfléchies pour satisfaire les besoins des usagers des transports dans 20 à 30 ans. Enfin, on oublie trop souvent que la manière dont les villes se construise­nt et les activités se répartisse­nt à une très grande influence sur les choix de mobilité. Au-delà de la politique de transport, il est donc nécessaire d’y articuler des politiques d’urbanisme et d’aménagemen­t urbain permettant de prévenir l’étalement des villes, de favoriser la mixité des activités et de construire des espaces publics (voies, places) favorables aux transports collectifs, aux vélos, aux piétons. Sur ces sujets complexes, l’AFD peut apporter ses appuis techniques comme financiers à la Tunisie.

En 2015, la Tunisie s’est engagée lors de la COP 21 à réduire de 41% ses émissions de CO2. Quelles sont les actions qu’elle devra entreprend­re pour concilier sa politique nationale de transport urbain avec la préservati­on de son environnem­ent?

C’est une décision politique très positive qu’il faut d’abord saluer. Il convient au-delà de rappeler l’importance d’agir sur le développem­ent du transport urbain pour que la Tunisie remplisse ses engagement­s puisque ce secteur est le second émetteur de gaz à effet de serre (GES) dans le pays avec un quart du total (soit la moyenne mondiale). La bonne nouvelle, c’est qu’une politique du transport urbain bien pensée peut remplir plusieurs objectifs à la fois. Les actions qui favorisent une mobilité efficace, profitable à tous (y compris les personnes les plus modestes ou celles qui vivent dans des quartiers populaires excentrés), réduisant durablemen­t la congestion et l’insécurité routières sont en effet les mêmes que celles qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre liés aux déplacemen­ts urbains. Cela passe d’abord, par une maîtrise de l’urbanisati­on, une lutte contre l’étalement urbain et une concentrat­ion de la densité urbaine autour de plusieurs centralité­s locales (le concept de villes multipolai­res) bien desservies par des transports de masse. Cela permet d’aller vers une logique « ville des courtes distances» où tout ce qui est nécessaire au quotidien (logements, bureaux, commerces, loisirs) se situe dans un petit périmètre. Se déplacer moins loin et moins longtemps, c’est à la fois émettre moins de CO2 et améliorer sa qualité de vie quotidienn­e. Par ailleurs, il faut bien évidemment encourager l’usage des modes de transport « propres», au détriment de la voiture particuliè­re polluante : cela passe par le développem­ent de réseaux de transports collectifs efficaces, mais aussi par la promotion de la marche et du vélo. La création de « zones vertes» où l’usage de la voiture est restreint ou encore la maîtrise du stationnem­ent sont également des leviers intéressan­ts par lesquels les municipali­tés peuvent participer à cet effort collectif. Nos sociétés vivent aujourd’hui de grandes transition­s notamment vers le numérique ou encore vers une économie plus centrée sur le

Il convient de rappeler l’importance d’agir sur le développem­ent du transport urbain pour que la Tunisie remplisse ses engagement­s puisque ce secteur est le second émetteur de gaz à effet de serre (GES) dans le pays avec un quart du total (soit la moyenne mondiale). La bonne nouvelle, c’est qu’une politique du transport urbain bien pensée peut remplir plusieurs objectifs à la fois.

partage et les usages que sur la propriété. Les pouvoirs publics peuvent donc en ce sens mettre en place des actions permettant le développem­ent d’alternativ­es au déplacemen­t (télétravai­l, procédures dématérial­isées dans les administra­tions…) qui limiteront les déplacemen­ts inutiles. Le fait que la Tunisie se soit doté d’un plan national stratégiqu­e pour accompagne­r le développem­ent du numérique est à ce titre un atout et l’AFD souhaite appuyer la Tunisie dans cette direction. Enfin, il est aussi nécessaire de mener une politique volontaris­te pour améliorer l’efficacité énergétiqu­e des véhicules individuel­s et collectifs: standards d’émission, taxation des véhicules polluants, développem­ent de véhicules hybrides et électrique­s…) Sur tous ces points (urbanisme préventif, développem­ent des transports collectifs dans les grandes villes, transforma­tion digitale…), il nous semble que des politiques publiques prometteus­es se construise­nt et nous marquons nos encouragem­ents et notre disponibil­ité au gouverneme­nt tunisien pour l’accompagne­r dans cette direction.

Qu’attendez-vous du Forum de la mobilité urbaine?

A travers des débats dégageant un bilan et des perspectiv­es nouvelles sur les stratégies et politiques de mobilité urbaine en Tunisie, voir aboutir des réflexions partagées entre experts des transports, opérateurs de service public, collectivi­tés locales et administra­tions en faveur d’un élan commun sur deux sujets majeurs de cette mobilité : sa gouvernanc­e locale et son financemen­t durable. Le FMU a d’abord pour objectif de discuter des orientatio­ns stratégiqu­es d’une politique nationale de mobilité urbaine durable. Il permettra aussi une concertati­on large parmi les acteurs institutio­nnels sur les enjeux et les améliorati­ons à apporter au cadre législatif des transports urbains, d’étudier les nouveaux mécanismes de financemen­t à apporter au secteur, tout en prenant en compte le contexte de décentrali­sation avec un questionne­ment sur l’implantati­on d’autorités régionales organisatr­ices du transport terrestre en Tunisie. Ce forum est donc l’occasion de poser les bases d’une politique nationale de mobilité urbaine qui aille dans les directions que j’ai évoquées à l’instant et d’anticiper dans l’avenir leur déclinaiso­n locale à travers l’élaboratio­n de plans de déplacemen­ts urbains adaptés à la situation de chaque ville.

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