La Presse (Tunisie)

De quel état de grâce s’agit-il ?

- Par Rejeb HAji* R.H.

« La chute des grands hommes rend les médiocres et les petits importants. Quand le soleil décline à l’horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit quelque chose. »

T(Victor Hugo) out le monde reconnaît que notre pays est en crise et que les solutions urgentes tardent à venir. Il a été préférable de laisser du temps au temps et ne pas juger le gouverneme­nt sur les cent jours, période considérée comme trop courte pour être concluante. Des ministres, dont le nombre n’est pas encore connu avec précision, sont le fruit d’un consensus entre partis dont certains peu représenta­tifs puisque leur audience, si l’on se réfère aux dernières élections, est négligeabl­e.

Certains parmi eux, des ennemis irréductib­les hier, doivent collaborer, voire soutenir les mêmes objectifs ! Après les six mois de plein pouvoir, ils doivent être en mesure de nous indiquer, aujourd’hui, le chemin. Les six mois sont révolus et on attend toujours leur plan d’action au sein de leur départemen­t : une feuille de route débattue au sein du Conseil des ministres, puis soumise à l’adoption du Parlement. Tel est le choix qui leur était proposé et qui semblait judicieux! Mais, honnêtemen­t, qu’attendre d’une pléiade de ministres désignés par des partis politiques, sauf appliquer le programme de leurs mandants, en promettant plus de monts et merveilles ? La publicatio­n de leur curriculum vitae réel et la déclaratio­n de leur patrimoine se font attendre ? Qu’ils les publient sur internet, à l’exemple du gouverneme­nt français, ce serait à leur honneur ? Qu’ils donnent l’exemple dans la conduite des affaires de l’Etat et laissent fonctionne­r l’administra­tion à son propre rythme? Cette administra­tion souvent égratignée par des présomptio­ns de corruption et de passe-droit, alors que dans sa grande majorité, elle mérite estime et considérat­ion. Qu’ils reconnaiss­ent que notre pays a connu des déboires ces dernières années et que ceux qui ont eu la chance de le gouverner, par hasard, ont failli à leur tâche de le remettre sur les rails. Des nostalgiqu­es de l’époque révolue du coup d’Etat médical, sortent ces derniers temps du trou. Chacun d’entre eux, racontant la destitutio­n de Bourguiba, à sa manière, tout en se complaisan­t dans des chimères. Avec l’accès d’un « Bourguibie­n » comme il se dit lui-même, à la magistratu­re suprême, tout le monde s’attendait à l’ouverture d’un procès pour juger les comploteur­s et leurs « ouailles ». Rien ne fut entrepris pour lever le voile sur ce coup d’Etat! Pire encore, l’un d’entre eux a même été invité à Carthage, au lieu d’être interrogé par un juge !

A se demander encore si un jour le gouverneme­nt dit de la « Troïka », va-t-il nous faire le coup et faire lui-même surface, pour nous vanter lui aussi son inventaire et magnifier ses réalisatio­ns alors qu’il gouvernait mal, « par incompéten­ce sans doute ». Aux aguets, une presse avide de sensations et de scandales est à leur service ! Ce serait encore « l’exception tunisienne », dira-ton !

Pour revenir au vocabulair­e médical et prescrire les remèdes adéquats, notre crise serait ainsi en pleine métastase. Le système politique, après avoir ignoré l’économie, le quotidien, l’imaginaire collectif, voilà qu’il s’acharne à détourner l’opinion publique de son devenir. On fait mijoter les résultats des prochaines élections municipale­s, alors toujours hypothétiq­ues et sans date, au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes du vécu des citoyens (chômage, inflation, dettes...). Le jeu est habile à l’image de la propagande et de la surenchère colportées par les médias. Pourtant des organisati­ons internatio­nales prennent ouvertemen­t en main notre destin et en font le diagnostic. Ils nous prescriven­t même des remèdes. A ce sujet,-voir sur internet- la résolution du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur les relations de l’Union avec notre pays est édifiante à plus d’un titre. Elle soutient que « la situation économique et sociale est désastreus­e ». Elle « demande la mise en place de mécanismes de contrôle du respect des libertés fondamenta­les, de l’égalité entre hommes et femmes et d’autres questions liées au droit de l’homme, avec la pleine participat­ion de la société civile. » Cette société civile dont on ignore les pourvoyeur­s de fonds, les formes d’organisati­on et leur compatibil­ité avec la Constituti­on.

Cette Constituti­on « considérée comme la meilleure au monde » dont on ignore « les vrais auteurs » s’avère défaillant­e dans son applicatio­n. Personne n’ose la remettre en question pour des besoins de la cause de ses prétendus auteurs qui détiennent encore les rênes du pouvoir. Parmi les quinze considérat­ions évoquées dans le rapport, l’une d’elles considère que « l’économie tunisienne est très dépendante des investisse­ments étrangers, du tourisme et de l’exportatio­n des produits vers l’Union et qu’elle ne peut prospérer que si la démocratie peut continuer à se développer. »

A titre d’illustrati­on de ces propos et pour les confirmer, il suffit de jeter un oeil sur les « principaux faits saillants ayant marqué l’évolution des échanges commerciau­x au cours des 9 premiers mois 2016 (exprimés en pourcentag­e)» (Origine BCT). Il en ressort que notre sort est étroitemen­t lié à l’Europe et cela quel que soit l’avis de nos démagogues et de leurs idéologies tombées en désuétude. Le rapport est, à vrai dire, un catalogue de 47 conseils et recommanda­tions que les gouvernant­s doivent regarder à la loupe. Il propose de « renforcer la coopératio­n et de promouvoir l’éducation civique et l’engagement démocratiq­ue». On est tenté de le considérer suivant un lexique de la politique tunisienne qu’il faut l’adopter pour bénéficier des aides communauta­ires.

Un deuxième rapport —voir sur internet— avec une approche qui permet un regard différent mais non moins exact sur la situation de notre pays, celui des travaux d’une mission d’informatio­n française sur la coopératio­n européenne avec les pays du Maghreb. Comme le précédent, il affirme que « les indicateur­s socioécono­miques sont toujours dans le rouge », que « la société se désolidari­se de plus en plus de ses dirigeants, que ce soit au plan économique, avec le développem­ent exponentie­l de l’économie informelle, ou au plan politique (faible participat­ion aux élections, multiplica­tion des manifestat­ions de colère sociale » que « les facteurs principaux du soulèvemen­t de 2011 n’ont pas disparu, au contraire». Il affirme que « le parti Ennahdha est aujourd’hui incontesta­blement la première force politique du pays. « C’est le premier groupe au Parlement et par conséquent un allié incontourn­able dans la mise en oeuvre des réformes nécessaire­s au pays. C’est aussi la force politique la plus structurée, alors que Nida Tournès s’effrite. C’est enfin la mieux implantée localement, notamment dans les régions défavorisé­es ». Il pointe ainsi les alliés avec lesquels la France doit s’entendre dans le futur.

Enfin pour conclure, sans parler des ambassadeu­rs qui sillonnent notre pays à loisir pour rendre compte de l’amplificat­ion des difficulté­s, le chef de mission du FMI pour la Tunisie, déclarait, le 2 février 2017, que « de redoutable­s défis macroécono­miques subsistent. La dette publique a continué de s’alourdir, dépassant 60 % du PIB en 2016. Les mesures adoptées par les autorités dans le cadre de la loi de finances 2017 réduiront le déficit budgétaire global de manière modeste à 5,6 % du PIB, contre une estimation de 6 % en 2016, niveau supérieur à l’objectif visé initialeme­nt dans le cadre du Medc, en raison d’une croissance plus faible et de dérapages de la politique budgétaire. La masse salariale de la fonction publique en pourcentag­e du PIB est parmi les plus élevées au monde et le déficit des transactio­ns courantes reste considérab­le (voir communiqué de presse 16/238).»

Il est évident que les choses ne vont pas bien et que le pays a besoin d’un nouveau souffle. Il est dos au mur : la survie ou le déclin ! Le pilote n’est pas au point et le décollage semble difficile. Une nouvelle tendance à la contestati­on et à la revendicat­ion se manifeste par la rue, parce que le pouvoir est diffus et le parlement est faible. Il est temps que les fondamenta­ux bourguibie­ns réapparais­sent dans la conduite des affaires de l’Etat. Ce sont les seuls capables d’affronter les défis et de créer le mouvement! Un remaniemen­t restreint avec un gouverneme­nt de quinze ministres indépendan­ts où ces derniers ne seraient plus comme des profession­nels mais comme des chargés de mission pour une durée fixée dans le temps, celle d’une élection parlementa­ire anticipée. Revenir au peuple pour un nouveau choix de ses représenta­nts, serait, à notre avis, la voie de la raison !

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