Tunis, Moscou et la crise libyenne
Le chef du gouvernement d’union nationale a fait cette semaine le voyage de Moscou, là où son rival, Khalifa Haftar, s’était rendu auparavant et où il jouit d’un soutien manifeste... Que se passe-t-il au juste ?
L’initiative tunisienne pour une sortie de crise en Libye bénéficie-t-elle de tous les appuis internationaux qui lui permettraient de réussir, ou y a-t-il un risque qu’elle soit gênée, voire phagocytée, par des initiatives concurrentes ? Certes, la diplomatie tunisienne s’est impliquée depuis longtemps dans l’effort en vue de dégager une solution politique entre les différents protagonistes de la crise libyenne. Elle bénéficie, en outre, du soutien affiché de l’ONU, comme en témoigne la visite effectuée par Martin Kobler, le représentant spécial pour la Libye, à la veille de la dernière réunion ministérielle qui s’est tenue à Tunis les 19 et 20 février en présence des ministres algérien et égyptien. Mais, connaissant la difficulté du dossier libyen et la fragilité des opérations de médiation qui sont menées ici ou là en ces temps troubles de notre histoire, quelle certitude pouvons-nous avoir en cette affaire ? Et puis, apprendre que le chef du gouvernement d’Union nationale, Fayez Sarraj, s’est rendu jeudi dernier à Moscou et qu’il a été reçu par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, n’est pas pour nous rassurer, au contraire. Quel est le rôle de la Russie précisément ? On sait que l’homme fort de l’est, le maréchal Khalifa Haftar, s’est lui-même rendu à Moscou en juin et en novembre 2016. Il a également été reçu, de façon très médiatique, sur le porte-avions russe Kuznetsov le 11 janvier dernier au large des côtes libyennes : un message sans ambiguïté concernant le soutien dont il bénéficie de la part des autorités russes. Le fait maintenant que Sarraj fasse lui aussi le voyage à Moscou pourrait au moins laisser penser que la capitale russe est devenue, sinon un deuxième lieu de médiation, du moins une annexe... Et, s’il s’agit d’une annexe, ne risque-t-elle pas de prendre une dimension un peu trop disproportionnée ? La question est très légitime. Et le propos n’est pas seulement de préserver, dans un esprit de chauvinisme qui serait vraiment mal inspiré, la place occupée par la Tunisie dans la résolution du problème libyen afin de pouvoir ensuite s’en prévaloir. L’enjeu, pour la Tunisie du reste comme pour tous les autres pays voisins de la Libye, c’est que tout le monde ait mis la main à la pâte pour que, la paix étant revenue à l’intérieur de la Libye, elle se prolonge ensuite en projets de développement au niveau de toute la région nord-africaine. L’enjeu, autrement dit, n’est pas seulement de rétablir chez notre voisin du sud les conditions de la paix civile : il est que ce rétablissement ait créé entre tous les pays voisins un partenariat nouveau, une dynamique de solidarité qui sera le garant véritable contre tout retour possible de la violence. Malgré la modestie de ses moyens, ou peut-être à cause d’elle, l’offre tunisienne est pour cette raison-là assez irremplaçable. Et le modèle politique qu’elle représente, en tant qu’il est lui-même le fruit d’un dialogue national, ne saurait non plus être éclipsé par quelque considération que ce soit. Cela, il semble bien que les Russes en sont conscients. L’échange téléphonique qui a eu lieu jeudi dernier entre Khemaïes Jhinaoui et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Michael Bogdanov, va dans ce sens : le responsable russe a «salué l’initiative tunisienne» et, surtout, il s’est félicité « des efforts de médiation des pays voisins». Voilà qui écarte certaines interrogations et qui, dans le même temps, suggère que la diplomatie russe a su adopter la juste attitude qui consiste à aider sans prendre parti et sans non plus se substituer à ceux qui, par la géographie et par l’histoire, sont les plus habilités à pousser les Libyens à surmonter leurs difficultés et à s’ouvrir des perspectives d’avenir par le dialogue.