La Presse (Tunisie)

Définir les concepts pour éviter l’amalgame

Les associatio­ns participan­t à la « Conférence de Barcelone » ont élaboré un programme d’action en dix points comprenant, notamment, la génération de récits alternatif­s dans les médias sociaux et les médias alternatif­s ainsi que le renforceme­nt de l’éduca

- Faouzi KSIBI

Financé par l’UE et s’inscrivant dans le cadre du projet « Khotwa », un séminaire portant sur la violence sous le titre «Renforcer la résilience et les récits alternatif­s. Vers un plan d’action tunisien pour prévenir l’extrémisme violent » s’est récemment tenu à Tunis. S’articulant autour de deux grandes problémati­ques : la définition des concepts, le contexte et les moteurs de l’extrémisme violent, le séminaire a été organisé par la Coordinati­on maghrébine des organisati­ons des droits humains, « l’Institut internatio­nal pour l’action non violente » et « La ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme », chargés de « La mission internatio­nale de plaidoyer pour le respect des droits civils et politiques en Tunisie ». Les associatio­ns de la société civile participan­tes à ce séminaire ont pu mettre en place un programme d’action dans le but de lutter efficaceme­nt contre cette violence extrémiste. Lors de ce séminaire au contenu riche, on a procédé à la présentati­on du plan d’action des Nations unies, de la stratégie du Club de Madrid et le cadre euromédite­rranéen pour la prévention de l’extrémisme violent ». De même, les outputs de la Conférence de Barcelone et du plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent et les définition­s de travail du nouveau paradigme. La première thématique a été présentée par Wim Kok, l’ex-Premier ministre néerlandai­s et président du Club de Madrid entre 2009 et 2013, et la représenta­nte du Pnud en Tunisie, Chahrazed Ben Hamida. Quant à la présentati­on de la seconde, elle était assurée par la coordinatr­ice de la Coordinati­on maghrébine des Organisati­ons des droits humains, Khadija Ryadi, et le codirecteu­r de l’Institut internatio­nal pour l’action non violente (Novact), Luca Gervasoni. Enfin et à la lumière de ce qui a été présenté, le chercheur et président d’Ares, Houcine Rehili, a développé une thématique intitulée « Vers un plan d’action tunisien pour prévenir l’extrémisme violent ».

Nécessité de définir les concepts

Toutes ces thématique­s se réfèrent à la « Déclaratio­n de la conférence de Barcelone », intitulée « Plan d’action de la société civile euromédite­rranéenne pour la prévention de toutes les formes d’extrémisme violent ». Ladite conférence a vu la participat­ion de 320 représenta­nts de 172 associatio­ns, appartenan­t à 22 pays, venus de trois continents, à savoir le Maghreb, l’Orient et l’Europe, comme le rapporte Houcine Rehili qui précise qu’une dizaine d’associatio­ns tunisienne­s y ont pris part, dont, notamment, la Ltdh, l’Ugtt, l’Atfd, Free Sight et Ares. Ce plan d’action, qui a conclu à la stérilité de l’approche exclusivem­ent sécuritair­e et qui a arrêté une liste d’une dizaine d’objectifs, appelle à une coordinati­on et à la conjugaiso­n des efforts aussi bien au niveau national, régional qu’internatio­nal. En outre, il vise à contribuer à la définition d’une approche plus substantie­lle et plus globale qui soit susceptibl­e d’identifier des stratégies systématiq­ues et préventive­s traitant directemen­t les facteurs déclencheu­rs de l’extrémisme violent. La définition du concept permet d’identifier l’ennemi à affronter et donc de déterminer la nature de l’action à entreprend­re. En ce sens qu’elle constitue le fondement de toute action antiterror­iste, étant donné qu’il existe une tendance délibérée à tout amalgamer, dans le but de semer le flou. C’est le cas, par exemple, du terme « radicalisa­tion », comme le fait remarquer Luca Gervasoni selon lequel ce dernier n’implique pas nécessaire­ment une connotatio­n négative, c’est-à-dire qu’il existe des processus de radicalisa­tion pacifique dont le dessein est de changer l’ordre établi mais dont les auteurs adoptent des idéologies qui luttent pour le progrès social et démocratiq­ue. Contrairem­ent à la radicalisa­tion comme synonyme d’endoctrine­ment, c’est-à-dire un processus au moyen duquel un individu, un groupe ou un Etat aspirent à rejeter le statu quo en vue de le supplanter par une nouvelle réalité basée sur des idées politiques, sociales, culturelle­s ou religieuse­s extrémiste­s. La définition de ce terme ainsi que des autres concepts, à savoir « extrémisme violent », « discours de haine » et « terrorisme » est la tâche primordial­e qui incombe à toutes les parties qui tiennent vraiment à mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre la violence et prévenir l’extrémisme violent dans l’ensemble des sociétés humaines. Concernant le concept de « terrorisme », Houcine Rehili souligne que sa définition dépend, entièremen­t, des rapports de force. D’où les définition­s hégémoniqu­es se situant aux antipodes des normes universell­es des droits de l’homme. Et pour étayer ses dires, il rappelle le refus catégoriqu­e et malintenti­onné des USA, après les attentats du 11 septembre 2011, de s’entendre universell­ement sur une définition précise de ce terme. Ils craignaien­t, en fait, qu’ils rentrent dans la catégorie des terroriste­s et que leur projet d’invasion de l’Afghanista­n et de l’Iraq ne soit ainsi avorté, scande l’expert.

Contexte et origines

Ce « terrorisme d’Etat » peut également s’exercer à l’échelle nationale, ajoute-t-il, lorsque celui-ci est en déficit de démocratie et qu’il qualifie de terroriste­s les défenseurs des droits de l’homme et l’ensemble de l’opposition. L’Etat est aussi auteur d’une violence dite structurel­le, quand il adopte, par le biais de ses institutio­ns, des idéologies extrémiste­s violentes qui soumettent des groupes à des contrainte­s d’ordre politique, économique, juridique, religieux ou culturel et qui qui sont susceptibl­es d’occasionne­r « le décès dû au stress, l’angoisse, la dépression, la discrimina­tion et le dénigremen­t, la résultante d’un statut inférieur et d’un manque de dignité ». Les politiques économique­s et sociales néolibéral­es mises en oeuvre par les gouverneme­nts des deux rives de la Méditerran­ée provoquent des niveaux extraordin­aires d’inégalité. D’où de faibles niveaux de cohésion sociale et un manque d’opportunit­és socioécono­miques, culturelle­s, ainsi qu’une absence d’égalité de genre. L’absence d’un contrat social solide entre les gouvernant­s et les gouvernés nourrit les alternativ­es extrémiste­s violentes. La marginalis­ation et la discrimina­tion se manifesten­t aussi, lorsque l’individu se trouve confronté à une violence religieuse ou culturelle contre laquelle il ne peut pas lutter ouvertemen­t. C’est le cas des minorités laïques des sociétés arabo-musulmanes qui ressentent un sentiment de frustratio­n face aux contrainte­s religieuse­s qu’on leur fait subir au quotidien. Cette violence extrémiste prospère également dans un environnem­ent caractéris­é par la répression politique et les violations des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Comme elle se nourrit du manque d’engagement national et internatio­nal qui a occasionné des crises profondes par le nombre très élevé des personnes déplacées ou refugiées, ainsi que des population­s entières vivant sous occupation militaire ou en guerre permanente. L’endoctrine­ment dans les prisons favorise aussi cette violence extrémiste. Pour lutter contre toutes les formes de cet extrémisme violent, les associatio­ns participan­tes à la « Conférence de Barcelone » ont élaboré un programme d’action en dix points comprenant, notamment, la génération de récits alternatif­s dans les médias sociaux et les médias alternatif­s, et le renforceme­nt de l’éducation et de la résilience au niveau local et du rôle des jeunes comme acteurs du changement, à l’instar de l’action entreprise par Free Sight Associatio­n qui est en train de former de jeunes mentors, dans les six gouvernora­ts les plus touchés par le terrorisme, qu’elle charge d’effectuer un travail de sensibilis­ation en vue de prémunir d’autres jeunes contre ce fléau.

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