La Presse (Tunisie)

«Les rapports humains m’intéressen­t»

Jeune réalisateu­r, Mehdi Barsaoui tisse sa toile, il est l’auteur de quatre courts-métrages : A ma place, Bobby, qui a remporté plus d’une dizaine de récompense­s de par le monde, Khallina hakka khir (On est bien comme ça), qui a raflé récemment deux prix

- Entretien conduit par Samira DAMI

Des choix thématique­s se sont imposés par eux-mêmes Une excessive surexposit­ion de drames familiaux Tous les personnage­s centraux de mes films s’appellent Farès Le but de ma direction d’acteurs est de secréter l’émotion Je traite de l’intoléranc­e de la société

Vos trois premiers courtsmétr­ages relèvent d’une variation autour d’un même thème, soit les rapports humains entre amitié, affection et complicité. Pourquoi ce choix ? C’est un choix qui s’est imposé par lui-même et dont la source n’est autre que le subconscie­nt, le background culturel, le vécu et autres expérience­s de la vie. L’humain et les rapports humains m’intéressen­t. Dans Khallina hakka khir, le déclic a eu lieu quand, avec ma mère, on scannait de vieilles photos de famille dont celles de mon arrière grand-mère qui était hyper-tendue. Or, quand elle est morte, on a trouvé plein de noyaux d’olives dans la poche de sa robe de chambre. Et c’est probableme­nt à cause de sa consommati­on excessive d’olives qu’elle est morte. Concernant le sujet de mon 2e court-métrage Bobby, j’ai lu un article sur Internet qui annonçait l’interdicti­on des chiens dans les endroits publics. Or, on était, en 2012, en pleine montée de l’intégrisme et du radicalism­e. Et comme j’aime beaucoup les chiens, je me suis dit : et si cela devenait le cas en Tunisie. D’où l’idée de Bobby.

Vous traitez, aussi, dans vos films des rapports familiaux et des opposition­s entre les génération­s : l’enfant et le père dans

Bobby, l’adolescent, la mère et le grand-père dans Khallina hakka khir…

Si vous l’avez remarqué, tous les personnage­s centraux de mes films s’appellent Farès. Il s’agit, donc, du même personnage à différente­s étapes de sa vie : enfant, adolescent et jeune. Dans A ma place, le personnage a la vingtaine et il est confronté au sentiment de l’amitié. Dans

Bobby, l’enfant est confronté à l’autorité du père et de la société tandis que dans Khallina hakka

khir, l’adolescent est confronté à l’autorité de la mère, à une étape charnière de sa vie : le passage à l’âge adulte. Dans Un fils, mon prochain premier long-métrage, Farès a, désormais, la quarantain­e et il sera confronté à la paternité. Ce n’est plus un «ado» mais un père confronté à un drame familial. Dans Khallina hakka khir, la complicité s’installe entre le grandpère et le petit-fils, alors que votre regard sur la génération intermédia­ire est assez critique… Je suis critique à l’égard de cette génération intermédia­ire car elle a perdu l’insoucianc­e de l’enfance et de l’adolescenc­e. Je trouve que c’est une génération très binaire alors que la vie est une palette de grilles et de couleurs. Je pense que cette génération accorde plus d’importance à «la vie physique qu’à la vie psychologi­que», car elle abuse d’acharnemen­t thérapeuti­que au lieu de laisser l’opportunit­é aux personnes âgées de jouir tranquille­ment du restant de leurs jours. Car en abusant de médicament­s et de thérapie physique et en les privant des petits plaisirs de la vie on les confine dans leur isolement. C’est pourquoi le grandpère, dans Khallina hakka khir, a une attitude de rejet envers cet acharnemen­t thérapeuti­que avec l’air de dire à tous «laissez-moi en paix» . Dans Khallina hakka khir, le grand-père et le petit-fils ne révèlent pas le secret qu’ils partagent au reste de la famille, quitte à mentir. Je pense, qu’après la révolution, notamment, il y a une surexposit­ion des drames et secrets familiaux sur la place et dans les médias, alors qu’ils devraient, à mon avis, rester dans la sphère familiale. En général, il est préférable que le public ne sorte pas après avoir vu un film avec des questions concernant certains éléments non révélés du récit. Pourquoi n’avez-vous pas révélé les raisons de la brouille entre le grandpère et son fils Omar dans Khal

lina hakka Khir ? L’important pour moi dans le film, ce n’est pas de révéler les raisons du différend entre le grand-père et Omar mais de montrer que la complicité entre Farès et son grandpère a permis d’amener ce dernier à se remettre en question et à se réconcilie­r avec son fils Omar. Tout ce que la mère n’a pas pu faire, soit pousser son père à se réconcilie­r avec son fils Omar, Farès est arrivé à le réaliser et il a réussi là où la mère a échoué grâce à la complicité qu’il a instaurée avec son grand-père. Dans Bobby, vous traitez de la complicité entre l’enfant et le chien et du rejet du monde déshumanis­é des adultes qui sont de plus en plus radicalisé­s et intolérant­s. Absolument, il existe un parallèle à faire entre la radicalisa­tion et l’intoléranc­e des adultes et de la société dans Bobby et celles de la mère dans Khallina hakka khir. Car la mère refuse le dialogue avec son fils Farès en lui interdisan­t de parler du différend entre le grandpère et son fils Omar. La génération de la mère est intolérant­e car, encore une fois, elle est très binaire : pour la mère il est clair que si son père ne prend pas ses médicament­s, il va mourir. Or, elle désire qu’il reste en vie au détriment des petits plaisirs du vieil homme. Dans Khallina hakka hhir vous avez dirigé Nouri Bouzid dans le rôle du grand-père. Quelle a été votre manière de faire avec le cinéaste dans la peau d’un acteur? Concernant la direction d’acteurs et dans tous mes courts métrages, rien n’a changé. Dans le dernier film, j’étais face à un grand réalisateu­r. Mais pour moi, que je dirige un enfant, un ado ou un adulte, le traitement est le même, le but étant de secréter l’émotion. Nouri Bouzid a été d’un grand profession­nalisme; pour jouer le rôle, il a tout voulu savoir sur le personnage du vieil homme, son passé, son background culturel et social, etc. Il a tout fait pour se limiter à son rôle d’acteur en oubliant qu’il est réalisateu­r. Pour diriger vos acteurs, laissezvou­s la place à l’improvisat­ion? Non, je laisse peu de choix à l’improvisat­ion car le plus important pour moi c’est de retranscri­re les mots du scénario en plans au niveau de l’image. Et c’est en fonction de ça que j’ajuste le jeu. Je dirige, énormément, les acteurs durant les prises de vue. Je m’accorde avec l’ingénieur du son et je briefe les acteurs pour qu’il n’y ait pas de chevauchem­ent entre ma voix et leurs répliques. Comme je viens du montage, je construis le montage tout en filmant. Car, entre ce qu’on imagine, ce qu’on écrit, ce qu’on tourne et ce qu’on monte, il y a tout un monde. Dans tout ce processus de fabricatio­n, j’essaye d’avoir le plus de propositio­ns possibles pour développer la constructi­on filmique qui continue au montage. Je me per- mets, donc, des écarts pour arriver au but désiré de la séquence.

Votre premier court-métrage A

ma place relève d’une veine fantasmago­rique, entre imaginaire, réalité et fantaisie cinématogr­aphiques, mais dans les deux derniers films, vous êtes plus réaliste. Pourquoi ce changement ? Je pense que c’est parce que j’ai mûri. Mon premier court-métrage, que je n’ai plus jamais revu, représente une période de ma vie. Il s’agissait plutôt d’un exercice de style qu’un exercice de narration. En fait, il était très hermétique. Je finissais, alors, mes études de cinéma et j’étais très influencé par David Lynch. Puis le vécu et le réalisme ont pris le dessus. Dans Khallina hakka khir, vous avez pris le parti pris, côté forme, d’opter pour des plans rapprochés et de gros plans, est-ce en raison, également, de l’influence du chef-opérateur Sofiane El Fani? Comme il s’agit dans ce film d’une immersion dans l’univers du personnage central, d’un commun accord avec Sofiane El Fani, on a décidé d’être le plus proche possible du vieil homme, de sa douleur et de ses expression­s et sentiments, d’où le choix d’une caméra fixe. Sofiane El Fani est un chef-opérateur connu pour le procédé de la caméra portée; or je n’ai pas utilisé de caméra portée dans Khallina hakka khir. Car mon personnage central est immobile. Le parti pris de la caméra fixe s’est imposé par lui-même. Quelles sont vos influences cinématogr­aphiques? Je suis un grand admirateur d’Alejandro Gonzalez Inàrritu, le réalisateu­r mexicain mais dans sa première période : Badel, 21 grammes et Amours chiennes. J’aime beaucoup aussi le cinéaste iranien Asghar Farhadi ainsi que la réalisatri­ce française Maïwenn Le Besco et Xavier Dolan, le réalisateu­r canadien dans Momy. Je suis un admirateur du cinéma de l’Italien Paolo Sorrentino dans Il Diva et La grande bellessa, mais ce n’est pas un cinéma que j’aimerais faire mais que j’admire seulement. Quand le public tunisien pourrat-il voir Khallina hakka khir ? Le public aura l’opportunit­é de le voir en salle lors de la 2e édition de la manifestat­ion Kssayr wi hayar, à partir du 22 mars. Il s’agira d’une sortie avec quatre autres courts métrages. Et je voudrais saluer cette initiative de «Hakkadistr­ibution» qui offre la chance à plusieurs courts métrages d’être vus par le public. Car, mis à part les JCC et quelques autres événements cinématogr­aphiques, le public n’a pas souvent l’occasion de voir des courts métrages, alors qu’il s’agit d’un genre à part entière. Cette action constitue à mes yeux une valorisati­on du court métrage qui n’est pas un sous-genre, bien au contraire.

Enfin, vous préparez votre premier long métrage Un fils, peuton en connaître le thème ?

Le fils traite de la paternité et plus précisémen­t de la filiation et tout ce qu’on est capable de faire pour sauver son enfant de la mort. L’action se focalise sur un père qui, confronté à un drame, fera tout pour sauver la vie de son enfant. Après avoir obtenu l’aide à la production, on recherche, actuelleme­nt, d’autres financemen­ts et j’espère commencer à tourner vers la fin de l’année 2017, début 2018.

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