Les étals anarchiques font de la résistance !
Les vendeurs à la criée refusent l’idée de s’installer dans les nouveaux espaces aménagés par la municipalité
L’occupation illégale de l’espace public ne cesse de gagner de l’ampleur en Tunisie. Les trottoirs rétrécissent comme une peau de chagrin à cause de la prolifération des étals anarchiques. Le phénomène est loin d’être nouveau en Tunisie, mais depuis plus de deux ans, les commerçants des trottoirs ont envahi presque tous les espaces publics. Ils sont sur les bords des routes, devant les centres commerciaux, à côté des cafés, à proximité des jardins publics.
Cachez-moi cette laideur
Chaque endroit amène son lot de potentiels acheteurs selon les catégories ciblées. Vente à la criée, étalage à même le sol, ou présentation sophistiquée et décoration farfelue, les commerçants ne manquent pas d’imagination. Les échoppes sont pleines de marchandises exposées : étalées, bien organisées et attirantes par leurs différentes couleurs. Ils vendent de tout: parfums, vêtements, tapis, jouets pour enfants, boissons en boîte, coffres-forts, ustensiles de cuisine, etc. Dès que l’on approche d’une échoppe, le commerçant, les yeux brillants, nous appelle et nous encourage à voir les articles exposés sur son étal. Tout est disponible et tout porte à croire qu’il s’agit de réseaux de distribution professionnels pour la plupart d’entre eux. Des citoyens trouvent leur compte en achetant des produits et des articles bon marché. D’autres, par contre, se plaignent de «la pollution visuelle» de leur ville. L’accès à la rue Charles- deGaulle est quasi difficile sinon pratiquement impossible. Les commerçants ambulants ont installé leurs étals sur les trottoirs. Une situation intenable à laquelle ont du mal à s’habituer les passants qui éprouvent de la peine à se faufiler entre les étals et à circuler sur la chaussée . On est loin de la campagne de chasse aux commerçants de la rue. Plus étonnant encore, les grossistes de la rue Bab el Jazira fournissent les petits hors-la-loi, qui vont quelques mètres plus loin étaler leur marchandise à même le sol, pratiquement au même prix que celui de la boutique. En questionnant un grossiste, celui-ci nous a répondu: «Les vendeurs ambulants s’approvisionnent chez les grossistes. Ce business nous arrange tous. Mais nous ne sommes pas les uniques fournisseurs de ces commerçants qui vendent beaucoup d’articles provenant de la contrebande des pays voisins . En témoignent les produits non franchisés en Tunisie. Il est difficile de connaître qui sont les grosses têtes de ces réseaux de distribution» .
Les commerçants de la capitale se rebiffent
Les propriétaires des boutiques installés dans les artères de la capitale ont de plus en plus de mal à supporter ces vendeurs à la criée devenus envahissants. «Ce ne sont pas des gens pauvres comme on a tendance à le croire. Ce commerce leur rapporte beaucoup d’argent» , se révolte le gérant d’une boutique de chaussures. Un autre commerçant renchérit : « Le paysage urbain est complètement défiguré. Les articles qui sont exposés représentent un risque pour la santé du consommateur car ils sont exposés au soleil. Cela ne peut pas continuer ainsi. Nous avons déjà fermé boutique et baissé les rideaux en signe de protestation. Nous ne comptons pas nous arrêter là. Tant mieux, si des mesures sont prises sinon nous passerons à l’étape suivante» .
Le décor va changer dorénavant
La délégation spéciale de la municipalité de Tunis a sérieusement mis en garde contre toute infraction à la loi et souligné que déjà des sanctions sévères ont été appliquées à l’encontre des contrevenants. Les autorités ont lancé une campagne de lutte contre les étals anarchiques et l’exploitation illégale des trottoirs. Lors d’une séance de travail tenue la semaine dernière et consacrée au suivi de la situation générale dans la région, le gouverneur de Tunis, M. Omar Mansour, a relevé «qu’une campagne de lutte contre les étals anarchiques a été lancée et se poursuivra dans tout le gouvernorat. Il est grand temps de faire respecter la loi» . Le phénomène des étals anarchiques s’amplifie au fil des ans. Depuis les événements du 14 janvier 2011, nous observons une sorte de légitimité symbolique, a observé M. Mansour, déplorant le fait que le commerce parallèle se soit propagé tel un fléau. Ce dernier, qui accapare jusqu’à 60% de l’économie nationale, n’obéit à aucune loi et occasionne de grosses pertes aux circuits légaux. Contrairement aux commerçants conventionnels, les marchands clandestins ne paient pas de taxes, ni de TVA. Leur gagne-pain n’apporte aucune valeur ajoutée à l’économie nationale, bien au contraire. Le commerce, l’économie et la santé du consommateur en souffrent. La capitale étouffe sous les étals des marchandises de provenance et de qualité douteuses, mais aussi sous les déchets que laissent derrière eux les marchands à la fin de la journée. La municipalité déploie, quotidiennement, un effort supplémentaire pour soulager les rues adjacentes à l’avenue Bourguiba des tonnes de déchets en plastique et autres.
Nouvelle stratégie pour lutter contre ce fléau
La stratégie, en cours de réali- sation, comprend trois volets : il convient, d’abord, d’étudier de près la situation des commerçants réglementaires, dont l’activité a été fragilisée par le commerce parallèle. « L’une des alternatives envisagées est d’intégrer les vendeurs à la criée dans le circuit économique afin de les soumettre à la loi. Pour cela, nous nous penchons sur la recherche d’un local à même de les abriter. Près de 200 étals anarchiques ont été détruits. Des tonnes de matière plastique ont été ramassées et des produits cosmétiques saisis. Ces commerçants installés illégalement ont refusé d’évacuer la place et de s’installer dans les nouveaux espaces qui ont été aménagés à l’avenue MongiSlim et à El Kherba » , a relevé le gouverneur de Tunis. En dépit d’une pluie de mises en garde municipales, ils sont toujours là, arrogants et envahissants. Les étals des commerçants ambulants rendent impossible la circulation automobile et même piétonne. Trottoirs confisqués et défigurés. Désordre dans la ville. La campagne de lutte contre les étals anarchiques ne semble pas avoir donné les résultats escomptés. La rue Charlesde-Gaulle offre, à cet égard, un exemple concret. Un véritable désordre règne dans cette artère du centre-ville. Beaucoup de Tunisiens tendent à accepter le fait de « se débrouiller » en faisant fi des règles et de la loi. Un tel avis peut aussi bien émaner des exploitants et bénéficiaires que d’autres citoyens ou consommateurs. Certains avanceraient, parfois, à raison, que les conditions économiques difficiles poussent les gens à user de tout moyen disponible pour augmenter leurs revenus. D’autres y voient simplement un service disponible et moins cher pour le client potentiel. «Sauvons notre Tunisie», a conclu le gouverneur de Tunis.