Un voyage initiatique à l’intérieur de l’âme humaine
Prix de la première oeuvre ainsi que de la meilleure contribution technique à la biennale de Venise, Tanit d’Or de la première oeuvre aux JCC, le film de Ala Eddine Slim «The last of us» est sur nos écrans.
Incroyable ce que l’image et la bande sonore (sans dialogues) peuvent communiquer comme sensations. C’est peutêtre aussi la magie du cinéma lorsque rien qu’avec ces deux éléments il peut créer une intensité qui ne laisse pas le spectateur indifférent. The last of us n’est peut-être pas le premier film sans dialogues (à ne pas confondre avec muet) mais, à notre sens, l’originalité de ce film vient du fait qu’il nous accroche déjà au premier niveau de lecture. C’est ce qui fait que ce film peut également trouver beaucoup d’échos auprès du grand public en tant que «Robinsonnade» des temps modernes. A ne pas négliger non plus, si on veut pousser le niveau «d’assimilation» plus haut, le fait que ce film constitue aussi une sorte de conte philosophique. Car à notre sens le film est un conte philosophique construit sur le périple d’un personnage qui effectue une traversée pour quitter le pays. Cette traversée devient alors un voyage initiatique à l’intérieur de l’âme humaine dans tout ce qu’elle a de primitif et d’existentiel. Le synopsis décrit l’histoire d’une tentative de traversée maritime illégale de «N», jeune subsaharien, qui échoue en pleine mer. Cette traversée s’avérera un nouveau chemin pour un territoire inconnu pour le personnage principal «N». Ce dernier est amené à faire des rencontres singulières tout au long de son parcours et à rencontrer une image altérée de lui-même. Le film est d’une facture peu ordinaire, du moins pour le cinéma tunisien. Une facture visuelle, narrative et sonore bourrée par l’idée du réalisateur Ala Eddine Slim qui signe là son premier long métrage. A aucun moment ces trois axes (narratif, visuel et sonore) ne sont dissociés l’un de l’autre pour s’éloigner de l’idée centrale et obsessionnelle du film, celle de ce voyage initiatique à l’intérieur de soi. Ce n’est pas seulement la narration qui conduit le film avec le recours à l’image et au son. On a l’impression qu’ils constituent les mêmes éléments d’une même entité et qu’ils sont transmis au spectateur d’un seul coup. Rappelons que c’est Amine Messadi et Moncef Taleb qui ont respectivement assuré ce rôle. Le jeu de Jawhar Soudani est aussi d’une grande justesse. Celui de Fethi Akkari également. Une grande expérience théâtrale qu’on trouve résumée en des séquences fortes et sans la moindre parole. Interrogé sur le concept esthétique à l’image, Amine Messadi a répondu : «C’est un concept sur lequel j’ai travaillé avec Ala Eddine Slim depuis quelques années. Depuis son film Le stade et jusqu’à Babylone on a commencé à travailler sur ce concept. On cherchait justement une écriture spécifique. Le projet The last of us constitue pour moi un pas nouveau dans ces recherches. L’objectif était de sortir de l’image habituelle du cinéma tunisien, tout en gardant des références par rapport à son travail et à mon expérience visuelle à l’international. En tout cas, je peux dire qu’il a eu beaucoup de travail en amont sur l’image dans ce film. La manière de filmer était aussi différente, parce que l’équipe était réduite par manque de moyens… J’assurais donc aussi bien la lumière, la machinerie que la caméra. J’avais seulement une assistante, Hana Ferchichi, et un conseiller technique, Ala Eddine Arbi. Le choix de faire mon premier long-métrage en tant que chef opérateur en Tunisie avec Ala Eddine Slim vient aussi de la continuité de cette complicité esthétique qui nous a liés depuis les premiers films. C’est un film où je me suis vraiment senti comme un porteur de projet avec le réalisateur. The last of us était aussi le défi technique de ce peu de moyens pour rester à un niveau très élevé». Le film doit également beaucoup à sa bande sonore. «Le travail qu’on a fait avec Ala Eddine Slim en amont était très important, dit Moncef Taleb. Il s’agissait de sonoriser différemment les univers géographiques, à savoir le désert, la ville, la mer et la forêt. Comment communiquer des émotions à travers un silence ? C’est ça le défi. Tout le projet du réalisateur est basé sur ce silence souligné. Les condi- tions de tournage dans la forêt étaient particulièrement difficiles, puisque l’équation était : comment avoir le son qu’on voulait sans abîmer notre matériel. Il est vrai que le film a eu des prix, mais pour moi, la réussite auprès du public est très importante. Mon espoir est que le public sort de ce film, avec l’impression qu’il s’est échappé vers un autre monde. Il y a beaucoup d’informations sonores dans ce film justement pour faciliter ce voyage. C’est une invitation à écouter un film autrement que par les dialogues. Espérons que les conditions de sonorisation de nos salles de cinéma seront optimales pour que le spectateur puisse capter cet univers sonore» . Conçu et monté dans une indépendance totale, The last of us représente un nouveau modèle de fabrication des films en Tunisie. Quatre sociétés de production s’y sont associées : Exit productions, Inside productions, Madbox et SVP.