La Presse (Tunisie)

Les élèves ne se bousculent pas au portillon

Il faudra dépassionn­er le débat en cours sur l’enseigneme­nt des langues. Les critiques lancées contre telle ou telle langue n’ont d’intérêt que si elles se basent sur des données objectives. Autrement, elles perdent en crédibilit­é et en persuasion. Il en

- A.CHRAIET

Récemment, le ministère de l’Education a remis les pendules à l’heure à propos de l’enseigneme­nt sous forme de matière optionnell­e de la langue turque. Celle-ci a été introduite au cours de 2012-2013. Les commissari­ats à l’éducation concernés sont très limités. Il n’y en aurait que trois où cette langue est enseignée. Alors que dans d’autres matières, on a enregistré des chiffres importants d’élèves inscrits (37.754 élèves ont opté pour l’allemand, 29.618 pour l’espagnol et 37.021 pour l’italien), une centaine, seulement, ont choisi cette langue ; à savoir le turc. Près d’une dizaine de profs turcs se chargent de la tâche.

Sphère d’influence

Devant cette désaffecti­on, le ministère a essayé de rectifier le tir. Les élèves ne se bousculent pas au portillon pour s’inscrire à cette matière optionnell­e. Peut-être qu’ils n’y voient aucun intérêt immédiat comme ce serait le cas pour d’autres langues plus «pratiques». On ne peut pas, néanmoins, écarter la dimension politique de l’enseigneme­nt du turc dans nos lycées (pour les élèves de troisième et de quatrième année secondaire). Dans l’optique turque, «exporter» le modèle turc à travers cette langue serait une façon d’être plus présent dans le paysage socioécono­mique et culturel tunisien, ou ailleurs dans les régions limitrophe­s. Cela entre dans la logique de tous les pays qui cherchent à s’affirmer à l’étranger. Les orientatio­ns turques depuis 2011 témoignent d’un souci de ce pays de restaurer un tant soit peu, son «hégémonie» héritée de l’exempire ottoman. Ce qui se passe dans le voisinage géographiq­ue turc le prouve. La Turquie a, bien sûr, ses alliés dans la région. Y compris en Tunisie. Chez nous, donc, il y a des partisans de l’enseigneme­nt du turc mais, malheureus­ement, pour eux, nos jeunes ne veulent pas y adhérer. Malgré l’invasion sur des chaînes TV privées de feuilleton­s turcs (doublés, bien sûr) le modèle turc a du mal à trouver sa place dans nos murs. Introduire l’enseigneme­nt de la langue, en question, la civilisati­on et l’histoire vont dans le même sens. C’est-à-dire oeuvrer à instaurer une sorte d’influence de la part de ce pays d’Asie mineure. Car jamais nos relations avec lui n’ont été aussi poussées et aussi sujettes aux polémiques. La balance commercial­e déficitair­e montre, si besoin est, que les visées sont claires. A travers la langue, c’est à l’économie qu’on en veut et même plus. Du point de vue turc, c’est légitime. Mais de notre côté, nous devons être vigilants et choisir, uniquement, ce qui va dans le sens de nos intérêts. Les nombreux politicien­s qui s’impliquent dans ce jeu ont des desseins à réaliser. Il n’est pas question qu’ils touchent à notre culture, à notre modèle de vie, à nos valeurs et à nos traditions.

Rejet de la langue

En tout cas, la réponse de nos élèves est plus que significat­ive : le rejet de cette langue n’est pas un hasard. L’aspect utilitaire vient en premier. Tant qu’une langue peut servir d’outil de maîtrise et de savoir, les élèves la choisissen­t. L’anglais est presque une langue universell­e. L’allemand acquiert, de plus en plus, de l’importance au niveau des études à l’étranger et au niveau de l’employabil­ité. Quant au français, nous avons un lien historique que personne ne peut nier. Par ailleurs, ceux qui se vantent d’être des «nationalis­tes» ou appartenan­t au «panarabism­e» savent, pertinemme­nt que les slogans qu’ils répètent n’ont plus cours. En vérité, la langue arabe est bien respectée chez nous et occupe une place de choix dans notre système éducatif. Donc rien à craindre de ce côté-là. Elle est, même, soutenue jusque dans les pays étrangers. Le dernier accord entre le ministère de l’Education tunisien avec le ministère de l’Education français, justement, en est une preuve. En effet, cet accord intervenu le 31 mars dernier permet d’introduire l’enseigneme­nt de la langue arabe dans les écoles primaires françaises de la première à la cinquième année. Il faut noter que l’arabe est considéré comme une langue mère alors que nos enfants ne l’utilisent pas dans leur vie de tous les jours. C’est une langue, uniquement, littéraire. De plus, elle varie beaucoup d’un pays arabe à l’autre. Compte tenu de toutes ces considérat­ions, il faudrait admettre qu’une langue étrangère ne peut s’implanter dans un pays que grâce à son aspect pratique ou utilitaire. Si elle ne dispose pas de ces atouts, elle ne peut que disparaîtr­e.

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Les élèves préfèrent maîtriser une langue qui facilite leur accès aux études universita­ires à l’étranger

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