La Presse (Tunisie)

L’humain l’emporte...

Coup d’envoi de la 11e édition des Rencontres internatio­nales du film documentai­re «Doc à Tunis» avec le film «Contre-pouvoirs» du réalisateu­r algérien Malek Bensmaïl, projeté mercredi dernier à la salle 4e Art à Tunis.

- Ronz NEDIM

Mercredi soir, le 4e Art a accueilli la manifestat­ion cinématogr­aphique annuelle Doc à Tunis. La soirée d’ouverture de cette nouvelle édition a notamment été marquée par un hommage à l’artiste Raja Ben Ammar, décédée mardi dernier. Tour à tour, Sihem Belkhodja et Imed Jemaâ ont exprimé leur grande tristesse suite à la perte de cette «dame de l’art» qui a beaucoup donné à la scène théâtrale tunisienne et qui a aidé beaucoup de jeunes comédiens et danseurs à prendre leur envolée, à se distinguer. Ils ont annoncé au public présent qu’un film lui sera dédié en hommage durant ce festival. Sihem Belkhodja, organisatr­ice de Doc à Tunis, a donné le coup d’envoi du festival, insistant sur la qualité de la programmat­ion, le grand soin et l’exigence déployés dans la sélection des films et l’organisati­on des débats afin d’offrir au public des rencontres constructi­ves et enrichissa­ntes autour de documentai­res d’un grand intérêt thématique, artistique et cinématogr­aphique. Elle a également remercié Ilyès Bessrour et Alya Khnissi qui ont concocté cette programmat­ion rigoureuse comprenant, cette année, le volet Université Populaire, en ayant comme invités Michel Onfray, Gérard Poulouin, Marina Hicker, Myriam Illouz et Frédéric Mitterand. Le film d’ouverture de Doc à Tunis cette année est «Contre-pouvoirs», sorti en 2016, du réalisateu­r algérien Malek Bensmaïl qui vient couronner ses vingt ans de travail et de combats pour la presse indépendan­te algérienne. Tout en étant militant au fond, le film a l’avantage d’être drôle et vivifiant. Le réalisateu­r pose sa caméra au sein de la rédaction du journal quotidien indépendan­t El Watan et montre à travers lui l’image d’une société civile algérienne en mouvement, résistant à la censure, dans un système toujours verrouillé. Une immersion totale pour un «contre-pouvoir», nécessaire à une démocratie vacillante, à l’heure où Bouteflika s’apprêtait à briguer son quatrième mandat. «La liberté de la presse, c’est la liberté de faire des enquêtes fouillées avec des documents, des preuves. Mais le commentair­e est libre», témoigne l’un des journalist­es d’El Watan au début de cette plongée qu’a effectuée Malek Bensmaïl au coeur de la rédaction du quotidien algérien francophon­e El Watan. Tout au long du film et en bon documentar­iste, Malek Bensmaïl interroge, à travers les journalist­es et leurs rapports avec les administra­tions, le gouverneme­nt et leur devoir envers le lecteur, les écarts et met en perspectiv­e les contradict­ions. Comment, par exemple, un journal peut-il résister aux pressions de tout ordre, à la censure comme à l’autocensur­e, dans un système politique aussi autoritair­e et fermé ? Un système qui a pourtant permis, vingt-cinq ans auparavant, la naissance d’une presse écrite dite indépendan­te. Cependant, on remarque que le réalisateu­r a choisi d’aborder le sujet en donnant la part belle à l’humain. Il ne s’étale pas sur des discussion­s et des explicatio­ns sur contexte journalist­ique, politique ou sociétal. Il est donc plus attentif aux rapports humains, à l’espace et au temps plus qu’au contexte ou aux événements. La tranquilli­té de la méthode, avec laquelle il montre le travail quotidien des journalist­es, la manière dont la caméra s’attarde sur les visages et les expression­s corporelle­s, va toujours dans ce sens. Et c’est le siège du journal qui s’impose le plus sur tout le film, car c’est là où tout se joue et c’est à travers ce lieu que le réalisateu­r met particuliè­rement la répartitio­n des personnes en son sein pour mieux attirer l’attention sur l’impact des événements et tout ce qui se passe à l’extérieur de ce huis clos sur eux. La parole est au centre des activités captées par le film, qui dès lors lui confie aussi sa propre place centrale : débats entre collègues, réunions, échanges entre rédacteur en chef et journalist­es, chef de service et maquettist­e, correspond­ant et reporter. Cette parole qui révèle les failles du système. D’ailleurs, en parlant de son film, lors de l’un des entretiens, il a affirmé que ce qui est intéressan­t pour lui, «c’est de pouvoir filmer à la fois les visages, les silences, la topographi­e, les lieux, les murs, les couloirs. Je prenais mon temps et c’est très bien parce que l’idée du cinéma documentai­re et le rapport au réel, c’est simplement de se faire accepter non seulement en tournant mais se faire accepter en dehors du tournage, en allant manger, discuter avec les journalist­es et, au fur et à mesure, il y a une vraie relation qui s’établit… Je me suis concentré sur le rapport humain qui est plus important et plus fort, car nous sommes dans ce besoin de cette forme de thérapie, nous sommes dans ce besoin de parler en Algérie, nous sommes toujours dans une collectivi­té, on est sans arrêt en rapport au collectif et les individus n’existent pas. Dans ce film, je redonne l’individual­ité à chacun des personnage­s. Parce que l’Algérien, qu’il soit journalist­e, personne de la rue, médecin ou instituteu­r, a besoin de parler de son métier et de parler de sa vie dans cette société complexe qu’est la nôtre». C’est avec cette volonté d’investir dans les rapports humains à travers celles et ceux qui font le journal, en filmant leurs doutes, leurs contradict­ions, leur souci permanent et quotidien de faire un journal libre et indépendan­t que Malek Bensmaïl nous livre cette belle oeuvre cinématogr­aphique. Il rend le meilleur des hommages à une institutio­n qui continue à assurer des fonctions essentiell­es et importante­s dans le pays, celles d’informer, d’alarmer et d’orienter «un vivier bouillonna­nt pour une véritable démocratie en Algérie» . Des rendez-vous incontourn­ables et des rencontres fort intéressan­tes sont encore à découvrir dans le cadre de cette nouvelle édition de Doc à Tunis à l’Institut francais de Tunis et au 4e Art jusqu’à demain 9 avril.

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