Chacun tire la couverture à soi
A l’approche des élections municipales programmées pour le 17 décembre prochain, chacun affûte ses armes comme il peut au risque d’embraser le pays.
Depuis l’annonce du 17 décembre 2017 en date pour l’organisation des élections municipales que tout le monde attend depuis la révolution (les dernières élections municipales se sont déroulées fin mai 2010), le paysage politique national et aussi associatif, plus particulièrement, les partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition ou même ceux qui viennent d’être créés il ya à peine quelques semaines, vivent dans une ébullition remarquable et remarquée. Une ébullition et une convulsion qui montrent que nos acteurs politiques et associatifs sont déterminés à faire en sorte que la donne résultant des législatives et de la présidentielle de fin 2014 change radicalement dans le but non avoué mais très facile à deviner pour que chaque parti politique se procure les meilleures conditions possibles en prévision des échéances législatives et présidentielles prévues fin 2019. Et qu’importent les moyens et les pratiques auxquels on a recours pour marquer son territoire et s’assurer sa part du gâteau. Et qu’importent aussi les déclarations incendiaires qu’on distille aux médias avides de scoops qui font monter les audiences même si on se retrouve obligés de rectifier ces mêmes déclarations en accusant les journalistes d’incompréhension ou même d’instrumentalisation en obéissant aux ordres de ceux qui financent les entreprises de presse en question. Et qu’importent également les alliances contre nature conclues à la va-vite et sans aucun programme même sous la forme d’un document fondateur (on attend toujours que le Front du salut et du progrès publie la charte promise à la base de laquelle Slim Riahi, Mohsen Marzouk, Ridha Belhaj et Mohamed Kilani vont travailler ensemble au cas où leur Front gagnerait les élections). Et qu’importe, d’autre part, si l’Ugtt s’autoproclame la force politique et sociale n°1 dans le pays en supplantant Youssef Chahed et ses ministres pour rencontrer les représentants du Fonds monétaire international et leur promettre que leur argent sera dépensé comme convenu et pour diriger ou superviser les mouvements de protestation dans les régions par le biais des unions dans ces mêmes régions au point que l’Union régionale de Sfax outrepasse ses attributions et se comporte comme le justicier du Far West qui redresse tous les torts et s’oppose énergiquement à toutes les injustices, y compris celle pratiquée par Wadii Jeri, président de la Fédération tunisienne de football (FTF), à l’encontre de Moncef Khemakhem, président du Club Sportif Sfaxien (CSS), l’association que les Sfaxiens considèrent, à tort ou à raison, comme le porte-drapeau de leur lutte contre la hogra, l’injustice et le déni de citoyenneté dont ils souffrent depuis l’époque bourguibienne. Et quand les syndicalistes de Sfax jurent qu’ils feront tout pour que l’humiliation essuyée par Moncef Khemakhem et à travers lui Sfax, la ville du grand militant Hédi Chaker, soit levée, il est temps de se demander quand les syndicalistes vont comprendre qu’ils n’ont pas à intervenir dans des affaires qui ne les concernent pas et quand ils vont arrêter de jeter l’huile sur le feu en croyant défendre les intérêts de la région où ils s’activent.
L’exemple vient d’en haut
Malheureusement, la dérive des syndicalistes dans les régions intérieures du pays où ils font la pluie et le beau temps face aux gouverneurs incapables de leur faire face (à Tataouine, ils ont fixé au gouvernement un ultimatum d’une semaine pour qu’il obtempère à leurs revendications) provient de la direction centrale de l’Ugtt où les membres du bureau exécutif ne se contentent plus des communiqués signés par Noureddine Taboubi, secrétaire général de la centrale ouvrière. Ils rivalisent, en effet, en matière de déclarations qui poussent à la réflexion et devraient interpeller Youssef Chahed et ses ministres et les pousser à rectifier le tir ou au moins à proposer leurs versions des événements rapportées par ces mêmes syndicalistes. La dernière déclaration à caractère polémique est celle livrée par Anouar Ben Gaddour, membre du bureau exécutif de l’Ugtt chargé du département études et documentation à l’hebdomadaire Arrai El Am, en date du 13 avril. Ben Gaddour souligne, en effet, à propos des rencontres de la direction de l’Ugtt avec les représentants du FMI : «Nous dialoguons avec eux. Nous défendons nos positions. Nous élaborons des études préparées par le département études et documentation qui comprend des experts et des universitaires. Sur cette base, je peux dire que nous pouvons négocier avec le FMI d’une manière plus efficace que celle adoptée par le gouvernement». La déclaration de Ben Gaddour participe pour plusieurs observateurs de la surenchère, mais pour les Tunisiens qui ont aujourd’hui 50 ou 60 ans qui se rappellent des querelles Bourguiba-Habib Achour à la fin des années 70 du siècle précédent, il s’agit du retour d’un discours qu’on croyait révolu avec la disparition de Bourguiba et de Habib Achour. Faut-il rappeler à ceux qui ont la mémoire courte que feu Habib Achour défiait ouvertement Bourguiba en lui répondant que les études des spécialistes de l’Ugtt étaient plus crédibles que celles préparées par les spécialistes qui officiaient sous les ordres de feu Hédi Nouira. Et en poussant un peu plus la réflexion et en examinant la déclaration du représentant du FMI à Tunis à l’issue de l’entretien avec Noureddine Taboubi et ses lieutenants : «Maintenant, nous avons une vision plus claire», on se pose la question suivante : le FMI a-t-il trouvé en l’Ugtt le partenaire crédible sur lequel il peut désormais compter ?