Ils comptent aller voter
« En dépit d’une perception dégradée de la situation en Tunisie, d’une faible implication dans la chose politique et d’une méconnaissance témoignée du prochain rendez-vous électoral, une majorité écrasante des citoyens analphabètes disent vouloir exercer
« En dépit d’une perception dégradée de la situation en Tunisie, d’une faible implication dans la chose politique et d’une méconnaissance témoignée du prochain rendez-vous électoral, une majorité écrasante des citoyens analphabètes disent vouloir exercer leur droit de vote lors des municipales 2017 ». C’est ce qui ressort d’une enquête empirique menée, il y a presque quatre mois, sur un échantillon « probabiliste aléatoire à plusieurs degrés » représentatif de 1.008 personnes illettrées issues des milieux urbain et rural. Une première en Tunisie et dans le monde arabe, déclare le chef de l’Ifes.
Intitulé « participation des analphabètes tunisiens à la vie politique et électorale », ce sondage d’opinion a été présenté lors d’une conférence de presse tenue, hier à Tunis, à l’initiative de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (Ifes), avec le concours de ses partenaires en Tunisie, à savoir l’Isie et le ministère des Affaires sociales. Et c’est sous ses bons auspices que l’institut de sondage « One to One », basé dans la capitale, avait tâté le terrain, en se mettant en contact direct avec les interrogés, dans les 24 gouvernorats du pays. « Impressionnant est le nombre d’analphabètes sous nos cieux. Voire choquant », ainsi déclare, sidéré, M. Youssef Meddeb, directeur général de « One to One ». L’homme n’a jamais imaginé qu’un pays comme le nôtre qui a trop misé sur l’éducation compte 1,7 million d’analphabètes, soit 15,5% de l’ensemble de la population. Et c’est encore frappant lorsqu’on sait qu’un Tunisien sur deux, dans certaines régions, ne sait ni lire ni écrire. En l’occurrence à Hassi Frid à Kasserine (55%) ou à Bouhajla et à El Ala à Kairouan, respectivement 46% et 43%.
Un poids électoral significatif
Mais, un tel poids démographique semble, selon lui, assez significatif, puisque cette catégorie spécifique représente 20% du corps électoral, avec une dominante féminine de plus de 69%. Il importe donc de lui inculquer une culture citoyenne imprégnée des valeurs démocratiques bien ancrées. Car, selon l’enquête, les sondés en âge de voter ont tous une perception passive, parfois négative, de la situation générale et politique dans le pays : « 47, 1% pensent que la Tunisie n’est pas sur la bonne voie. Et 49,8%, dont notamment des jeunes du 18-34 ans, se sont déclarés non satisfaits du rendement politique ». Quel regard portent-ils à la démocratie naissante après la révolution ? A leurs yeux, c’est plutôt une démocratie tronquée, tristement jetée dans le désarroi. Sinon, une démocratie problématique, comme l’ont qualifié quelque 46% d’interviewés. D’autres ne la comprennent pas comme il se doit, étant donné que 60 % parmi eux n’en savent absolument rien. Sauf que des mots bâtards tels que « libertés et droits, confort de vie, égalité…». Alors que chômage, pouvoir d’achat, terrorisme et pauvreté sont les questions qui les préoccupent en priorité. Cependant, commente M. Meddeb, cette frange de la population se veut plus optimiste et peut être moins exigeante, voire aussi tolérante, par rapport au reste des Tunisiens. A titre comparatif, une enquête faite en mars 2015 auprès de 1.200 citoyens en âge de voter a montré que 73% sont insatisfaits de leurs politiques, tandis que 69% voient que le pays va droit au mur. N’empêche, ces analphabètes, généralement considérés comme sujets indécis et gravement manipulables, ne le sont réellement pas ainsi, selon la réalité du terrain. A la question suivante : «Pensez-vous que vous pouvez influencer les décisions prises par le gouvernement ? », 41,7% ont répondu « oui, vraiment ». Et là, un paradoxe qui donne matière à réflexion. En fait, leur intérêt à la chose politique (51%) sans en, jamais, discuter ni y participer laisse pantois. Cela étant, 79% trouvent que la vie politique à la tunisienne demeure pour eux aussi complexe que compliquée. Et ça se comprend dans ce cafouillage partisan, où les intérêts politiciens l’emportent sur toute autre considération citoyenne.
Redoubler d’effort et de sensibilisation
Toujours selon l’enquête en question, un bon nombre des sondés a ouvertement révélé avoir pris part aux précédentes élections postrévolution. Lors des échéances de 2011 ou celles de 2014 (législatives et présidentielle), leur taux de participation était respectable. Ceux qui n’avaient pas voté se sont justifiés par des raisons dues à leur état de santé, à une position de refus, à la non-inscription et au désintérêt à l’opération électorale tout bonnement. Sans, pour autant, y avoir rencontré des difficultés pour voter. Cela veut dire qu’il y a eu une bonne accessibilité aux isoloirs et à toutes les procédures du scrutin. Et avec une assez large latitude de choix pour qui voter, sans aucune influence de quiconque. A preuve, 94% d’entre eux se sentent aujourd’hui libres de voter le jour du scrutin. Encore plus, l’on enregistre une perception positive très appréciée à l’égard des prochaines élections municipales, attendues à la fin de cette année. Dans ce sens, 48,9% d’analphabètes interrogés comptent, fort probablement, voter le 17 décembre prochain. Ce qui n’est pas le cas pour les jeunes illettrés de 18-34 ans. Soit 26% affichent une très faible intention d’y aller carrément. Autre point à mettre en considération dans les campagnes de sensibilisation et d’information que la société civile et l’Isie devraient engager tous azimuts. Tous ces éléments ressortis de l’enquête semblent être du goût de M. Chafik Sarsar, président de l’Isie, qui était, lui aussi, présent à la présentation des résultats. Les témoignages recueillis plaident en sa faveur, lui permettant de redoubler d’effort et de rigueur dans la réussite du prochain rendezvous électoral. Mais la majorité des sondés ont révélé qu’ils ne savent rien des élections municipales. La balle est dans le camp de l’Isie, mais aussi celui de la société civile qui doivent jouer leur rôle de sensibilisation et de conscientisation. Pour M. Sarsar, les résultats de cette étude serviront de document de référence pour l’avenir. De même pour le directeur général de la promotion sociale auprès du ministère des Affaires sociales, M. Mohamed Zribi, lui aussi partenaire de l’Ifes en Tunisie. Cette dernière est une ONG internationale qui travaille, depuis 30 ans, au service de la démocratie.