La Presse (Tunisie)

La sempiterne­lle dépendance entre l’Eve et l’Adam génériques

Fredj Lahouar trace un trait entre aujourd’hui et l’éternité mais, contrairem­ent à ce que titre l’ouvrage sur le corps, ce n’est absolument pas la seule dimension de la relation entre Mohamed et Ferdaous, les deux pôles du roman. Car si l’Eve originelle a

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Des masques qui se mettent et s’enlèvent au gré des moments, au fil des attitudes, des émotions, des angoisses... Voilà ce qui transpire des personnage­s de ce roman singulier par la force des choses de la vie et des abstractio­ns dont nous ne pouvons que reconnaîtr­e l’ascendant. Peut-être des faiblesses communes à nous tous, des oscillatio­ns entre la Maison du Seigneur et la maison de tolérance (dans leur sens plutôt que dans leur réalité). C’est ce qui fait la force de cet ouvrage où Fredj Lahouar n’hésite devant aucune incursion et où il ne laisse rien cantonné dans les évidences triviales alors qu’il s’interroge sur tout, à commencer par le lien entre l’ici-bas et l’au-delà mais surtout entre les innombrabl­es manifestat­ions des deux pôles du genre humain. Une confrontat­ion sans merci qui est pourtant résolue par des débats harassants mais excluant résolument les violences, comme seule la littératur­e en a le secret.

Des joutes linguistiq­ues et syntaxique­s

Ferdaous est l’inspiratri­ce follement éprise de contes et d’abstractio­ns. Capricieus­e, elle cantonne Mohamed dans une dépendance omnipotent­e vis-àvis de son essence virtuelle. Elle rit de lui et décrit son aspiration à l’Au- delà du Trône («Maa wara al arch», les voies impénétrab­les du Seigneur) comme une vaine auto-duperie consumante. Son souvenir va et vient mais ce qu’il retient le plus, ce n’est pas une facette de sa propre personne mais quelque chose à elle ; cette profonde lucidité de Ferdaous qui murmure que sa seule perspectiv­e est la publicatio­n de ces feuillets que l’auteur hésite à porter au grand jour et qui sont en vérité sa seule prétention à l’éternité. Pour enfoncer le clou, elle l’entraîne dans des joutes linguistiq­ues et syntaxique­s dont le but est de le convaincre par toutes sortes de sophismes qu’il a entre les mains son ouvrage de loin le plus significat­if et qu’il a le devoir de le passer à la postérité. Mohamed acquiesce alors qu’il sait pertinemme­nt que c’est uniquement de sa propre postérité que Ferdaous s’inquiète. Sachant être lucide à son corps défendant, un peu malgré lui, Mohamed sait que ces joutes sont les voies royales de la maîtrise de Ferdaous, les outils qui le gardent constammen­t sous la tension qu’elle crée ainsi de toutes pièces, qui l’enchaînent à sa logique et qui le gardent sous son emprise.

Terrorisé par ses propres audaces...

Mohamed est l’alter ego de l’auteur et son erreur fondamenta­le, sa faute pour ainsi dire, est de croire que les esclaves des voies triviales et de limites (le commun des mortels) allaient bénir son apostasie réclamée comme un trophée. Pourtant, Ferdaous lui conseille de s’enfoncer encore plus dans la faute, de ne pas regarder en arrière car, s’il le faisait, il serait terrorisé par ses audaces et son propre être pourrait se rebeller contre lui. La seule échappatoi­re, la seule voie de salut, c’est de ne pas changer, poursuivre les audaces coupables. Ces propos deviendron­t paradoxale­ment une chose malaxée de sainteté et lui permettron­t peutêtre de prétendre à la sagesse et au sens. Mais cela sera-t-il possible ? Et voilà que Ferdaous, apparemmen­t fidèle à sa nature «instable», l’engage maintenant à entamer une quête de rédemption. Mais y croit-il vraiment ? Finalement, il ne veut pas abandonner cet impossible qu’il assimile à l’essence de la vie et décide qu’il est plus urgent de ramener Ferdaous à ce qu’elle est : le simple fait de son imaginatio­n. Seulement, comme elle est ainsi liée à lui et à l’arbitraire de sa pensée, il découvre avec effarement qu’il est bien plus lié à elle qu’il ne le pense, un lien pour l’éternité.

Sarrah O. BAKRY

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