La Presse (Tunisie)

«Une situation inacceptab­le»

Praticien et théoricien du sport, enseignant chercheur, Bechir Jabbès a occupé les fonctions de Commissair­e général au sport. Il a publié un grand nombre de publicatio­ns

- T.G.

«Les juristes voudraient bien réunir dans un code du sport tous les textes relatifs à l’éducation physique et sportive et au sport. La première problémati­que consiste à définir le sport. En fait, depuis 2014, nous disposons d’une nouvelle conception du sport et des sports. Il faut tenir compte de ces deux visions: -Le sport, c’est le sport pour tous qui concerne près de quatre millions de Tunisiens ( le sport scolaire, dont l’EPS, et universita­ire, le sport et travail, le sport pour tous, le sport amateur...) -Les sports fédérés, c’est-à-dire les spécialité­s sportives individuel­les ou collective­s de haut niveau. Le nombre est très réduit, en tout et pour tout à peine 3% de la population. Près de 300 mille personnes, un taux très faible. Son améliorati­on suppose une pression sur les fédération­s concernées. Malheureus­ement, on assiste à une pyramide inversée puisque le nombre des seniors est beaucoup plus important que celui des jeunes. Pourquoi le sport ? A quoi sert le sport ? Nous sommes en train de chercher des buts. Les finalités, c’est l’Etat qui les définit. L’Etat doit-il inves- tir dans le sport, ou plutôt dans les sports ? Doit-il verser les subvention­s au sport profession­nel ? C’est une honte d’assister au spectacle devenu routinier chez nous d’un club qui menace: «J’arrête mes activités si le ministère ne me procure pas une subvention !». La situation est triste et inacceptab­le: à peine 3% pratiquent le sport; le ratio de «sportivisa­tion» ne dépasse pas 2,5%; le nombre des encadreurs des sportifs, dirigeants et technicien­s dépasse celui des pratiquant­s sportifs; le nombre des membres appartenan­t au bureau directeur de certaines fédération­s dépasse parfois le nombre des clubs affiliés à ces fédération­s; plus de la moitié du terri- toire, abritant 4 millions de Tunisiens, est quasiment dépourvue d’infrastruc­tures sportives; les clubs profession­nels engloutiss­ent presque la moitié du budget du ministère, alors que le budget alloué au sport pour tous, aux sports scolaires, aux sports féminins, tous réunis ne représente que 10% du budget du ministère de tutelle; 85% du budget du ministère sont consacrés au fonctionne­ment des structures sportives, dont les fédération­s, alors que 15% vont au développem­ent du sport. Aujourd’hui, 790 clubs amateurs perçoivent 50% du budget de l’Etat représenté par le ministère, alors que 78 clubs de football profession­nel en perçoivent 46%. Ce constat et ces chiffres veulent dire une seule chose: que le sport tunisien marche sur la tête.

« Le secteur économique le plus florissant »

«En 1990, notre sport se trouvait au même point qu’un pays comme le Portugal. Le 3 avril 1997, la législatio­n a autorisé les clubs à constituer des associatio­ns commercial­es. En Tunisie, il nous manque les ressources financière­s indispensa­bles au sport. Toutefois, il faut se convaincre que le profession­nalisme est l’enfant du capitalism­e. Il ne peut pas réussir dans un pays qui n’a pas opté pour une économie capitalist­e. Il faut ce qu’on appelle un retour sur investisse­ment. En Europe, 65% des budgets des clubs proviennen­t des droits TV. Où en sommes-nous avec ces montants colossaux provenant des droits TV ? Al Watanya permet-elle réellement un retour sur investisse­ment ? A mon avis, pour une réflexion profonde, il faut réunir les différents acteurs du sport autour d’une table ronde car cela ne peut plus continuer comme cela. Il faut se poser la question de savoir pourquoi l’Etat a posé les bases du profession­nalisme. On parle encore de sport outil de préservati­on de la santé. De quelle santé parle-t-on encore ? Les sports comportent des relents régionalis­tes, nationalis­tes, chauvins; ils sont récupérés par l’extrême droite à travers le monde. Ce qu’on voit comme affronteme­nts entre publics de l’EST et du CA par exemple, c’est le hooliganis­me des années 1980.

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