Des menaces qui pèsent sur l’industrie structurée
L’industrie tunisienne doit être capable de se défendre dans son territoire et hors des frontières en privilégiant le haut de gamme, la conformité aux normes internationales et le partenariat.
Le protectionnisme est-il de retour au niveau mondial ? Le pays le plus libéral de la planète, en l’occurrence les Etats-Unis d’Amérique — qui ont toujours recommandé aux pays du tiers monde de libéraliser leur économie —, est entré dans une phase de protectionnisme prononcé pour protéger son industrie et son commerce. Pour défendre ses intérêts, chaque pays fait de son mieux parfois même en faisant des acrobaties pour contourner les conventions et les engagements, même ceux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui prône pourtant la libéralisation des échanges commerciaux entre tous les pays membres. D’où les mesures prises par ces pays pour donner libre cours aux échanges, traduites par des quantités importantes des produits exportés et importés. Cette nouvelle donne économique a eu des impacts sur la Tunisie dont les équilibres financiers internes et externes sont profondément touchés. La politique économique tunisienne s’est toujours distinguée par son ouverture à l’étranger aussi bien pour ce qui concerne le commerce que pour les investissements. Le principe de la régulation des prix sur la base de l’offre et de la demande est bien appliqué même si certains produits considérés de base sont homologués par l’Etat, et ce, pour permettre aux catégories à revenus moyens et limités d’y accéder. A la faveur de cette politique d’ouverture, il a été possible de conclure des accords de libre-échange avec certains pays avec lesquels nous sommes liés par des accords de coopération comme c’est le cas, par exemple, avec la Turquie.
Mesures restrictives nécessaires
Consciente des impacts négatifs sur une industrie fragile, l’OMC a prévu une clause dans laquelle elle permet à chaque pays concerné d’appliquer des mesures restrictives pour des produits importés qui ont leurs similaires fabri- qués localement, et ce, pour une période donnée, le temps que le secteur touché puisse se développer et faire face à la concurrence. Ces mesures restrictives peuvent être appliquées également quand les réserves en devises s’affaiblissent et ne permettent pas d’importer les quantités convenues de produits soumis au libre-échange ou payant des droits de douane. La Tunisie a déjà conclu un accord de partenariat avec l’Union européenne dans une perspective de libre-échange dans les différents domaines, à commencer par celui de l’industrie manufacturière qui a fait l’objet d’un programme de mise à niveau et d’un autre relatif à la modernisation industrielle avec un apport financier de l’UE. L’objectif étant de permettre aux petites et moyennes entreprises d’améliorer leurs capacités de production et leur qualité en se conformant aux standards et normes internationaux en vigueur. La mise à niveau a concerné aussi bien l’aspect immatériel — avec formation et redéploiement des ressources humaines — que l’aspect matériel et équipement. Plusieurs entreprises ont pu acquérir des équipements modernes afin d’améliorer leur productivité et être plus compétitives sur le marché international. Toutefois, malgré la réalisation de ces programmes, l’industrie tunisienne est restée fragile et peut être affectée par les importations massives. L’exemple le plus significatif est celui des secteurs du textile-habillement et du cuir et des chaussures qui sont confrontés à des difficultés épineuses. Une grande partie de ces importations se fait dans le cadre des circuits parallèles qui ne sont pas totalement contrôlés par les pouvoirs publics dans la mesure où l’on constate encore l’infiltration à travers les frontières des pays voisins d’importantes quantités de produits de diverses natures.
Le dumping inonde le marché
C’est que certains pays ne trouvent aucun inconvénient à pratiquer le dumping qui est interdit par la réglementation internationale pour inonder les marchés par des produits bas de gamme à prix modérés dans le but d’attirer le maximum de clients et de porter un coup de boutoir à l’industrie structurée du pays ciblé. Ce commerce illégal concerne pratiquement tous les secteurs de l’industrie, y compris les équipements électroménagers, les articles de prêt-à-porter, voire les produits alimentaires. L’industrie parallèle dans ces pays est tolérée par l’Etat qui ferme les yeux sur ces petits ateliers répartis dans toutes les régions et qui font travailler des femmes et parfois des enfants sans leur garantir leurs droits à la sécurité sociale et à la santé. Ces travailleurs, qui travaillent plus de huit heures par jour, se contentent d’un salaire dérisoire insuffisant pour subvenir à leurs besoins. A côté des importations illégales, l’industrie tunisienne fait face aussi à l’importation légale qui provient de plusieurs pays avec lesquels l’Etat a conclu des accords de libre-échange et de non-imposition douanière. Ces pays ont offert à la Tunisie la possibilité d’exporter des tonnes de produits, mais cette opportunité n’est pas toujours exploitée, compte tenu du volume de la production qui est en deçà des quantités demandées. Par contre, ces pays exploitent bien cet accord et sont capables d’exporter vers la Tunisie tout genre de produit de consommation portant ainsi atteinte au produit national dont le prix est proche du produit importé qui ne paye pas de droit de douane dans le cadre de l’accord signé. Il est impératif de sauver l’industrie manufacturière tunisienne du dumping et des importations massives entrant dans le cadre des accords de libre-échange pour préserver les postes d’emploi et permettre aux nombreuses entreprises de continuer leurs activités en commercialisant une partie de leurs produits sur le marché extérieur et une autre sur le marché intérieur. Le marché tunisien étant exigu, il n’est pas possible de développer les ventes à une cadence effrénée et de faire de grands bénéfices dans le contexte actuel. Une grande part de ce marché est, d’ailleurs, accaparée par le circuit de l’économie parallèle.
Un meilleur contrôle de la distribution
Mais l’application des mesures restrictives ne peut avoir les retombées positives escomptées sans le contrôle rigoureux des circuits de distribution et des points de vente répartis à travers tout le territoire de la République. Certes, le ministère du Commerce dispose d’une équipe de contrôleurs économiques déployés surtout pendant les périodes de grande consommation, mais elle est parfois débordée — vu le manque des équipements, du matériel roulant et des ressources humaines —, ce qui rend l’opération de contrôle assez difficile et peu rentable. Pourtant, le contrôle économique est devenu de nos jours un élément essentiel dans la préservation des équilibres du marché et dans la lutte contre le dumping et le marché parallèle. D’où la nécessité de renforcer les équipes de contrôle et de leur fournir tous les moyens de travail à même de dissuader les contrevenants. Les mesures restrictives ne sont pas la règle du commerce mais l’exception qui doit durer une période donnée pour éviter un retour du protectionnisme banni depuis des années du commerce international. L’industrie tunisienne doit être capable de se défendre dans son territoire et hors des frontières en privilégiant le haut de gamme, la conformité aux normes internationales et le partenariat. Le monde est devenu un village où les entreprises s’allient pour constituer une force et s’imposer sur un marché caractérisé par une concurrence rude dans tous les secteurs. Déjà, certains groupes de fabrication d’automobiles ont fait leur fusion pour consolider leur part de marché. C’est le cas aussi dans d’autres secteurs comme ceux de l’alimentation, du textile, du cuir et chaussures, de la chimie. L’objectif est de barrer la route face aux profiteurs du dumping et de l’économie parallèle qui ne reconnaissent aucune loi ou réglementation aussi, soit-elle celle de l’OMC. Ces petites économies ne s’intéressent qu’à leur intérêt immédiat et ne planifient pas pour le moyen et le long terme et ignorent les impacts néfastes que peuvent avoir ces produits bas de gamme sur l’industrie structurée. Les autorités publiques sont appelées à agir efficacement à tous les niveaux pour réduire la menace qui pèse sur notre industrie. Celle-ci a contribué, pourtant, à la réduction du déficit de la balance commerciale grâce à ses exportations régulières vers plusieurs marchés.
Les mesures restrictives ne sont pas la règle du commerce, mais l’exception qui doit durer une période donnée pour éviter un retour du protectionnisme
Le marché tunisien étant exigu, il n’est pas possible de développer les ventes à une cadence effrénée et de faire de grands bénéfices dans le contexte actuel