C’est «l’Eldorado» de la contrebande
M. Mohamed Hammadi Jarraya nous explique les impacts du dumping et des importations anarchiques sur l’industrie tunisienne et les mesures à prévoir pour contrecarrer ce phénomène.
Face à l’invasion des produits étrangers, comment peut-on protéger notre industrie ? Officiellement, le marché local est ouvert aux produits importés provenant de pays partenaires de la Tunisie, en vertu d’accords et conventions, souvent sous l’égide de l’OMC et/ou de l’UE. Théoriquement, ces conventions assurent un minimum de protection des partenaires. En parallèle, beaucoup de marchandises entrent dans nos frontières de façon illégale dans le cadre de la contrebande. Avec le terrorisme, c’est « l’hémorragie » la plus dangereuse. Pour les produits conventionnés, la protection de notre marché ne pourra qu’être relative. Toute mesure pour développer la protection des produits locaux nécessitera l’accord du pays cosignataire. Les répercussions pourront, dans certains cas, être contraignantes surtout avec les pays qui nous accordent des aides stratégiques (le cas de l’UE). Pour le marché parallèle, le dispositif légal et sécuritaire doit être renforcé pour appliquer la loi avec toute la vigilance requise. Le citoyen a aussi un grand rôle à jouer (consommer tunisien en priorité).
Est-il possible d’appliquer les mesures restrictives d’importation prévues par l’OMC ? Les mesures restrictives sont appliquées et respectées, mais l’OMC n’en prévoit pas beaucoup, laissant le champ grand ouvert aux libreséchanges commerciaux. C’est la raison d’être et le premier objectif de l’organisation. Toutefois, dans une situation particulière, comme la nôtre, la négo- ciation de dérogations exceptionnelles est envisageable. L’initiative doit être lancée par le gouvernement avec une campagne de sensibilisation auprès des pays membres.
Quels sont les produits les plus exposés au dumping et à l’importation anarchique ? Les produits de consommation courante (alimentaire, habillement, jouets, appareils électroniques et électroménager, etc.) sont les premiers exposés au dumping. La concurrence la plus rude, à ce niveau, est celle des produits d’origine chinoise. Les carburants, les cigarettes et les produits prohibés viennent en tête de liste des importations anarchiques. C’est «l’Eldorado» de la contrebande. Pourquoi l’Etat n’a pas rationalisé ses importations malgré le manque de devises et continue à importer plusieurs produits de luxe, comme les bananes et d’autres produits de consommation ? La raison annoncée est l’engagement du pays par certaines conventions bilatérales qu’il doit respecter. Sans accuser personne, une autre bonne raison explique cette situation : le pouvoir de certains lobbies commerciaux liés à certains hommes d’affaires et pouvoirs politiques. Si l’importateur ne trouve plus de clients et sa marchandise stagne, le phénomène s’auto-réduira sensiblement. La clé est, alors, entre les mains du consommateur tunisien.
L’accord de libre-échange avec la Turquie n’a pas été bien exploité par les exportateurs tunisiens, mais a profité plus à ceux de ce pays… Pour être équilibré, un accord commercial doit être équitable et complémentaire entre des pays à prix réciproquement compétitifs. La réalité est différente. La Turquie n’a pas beaucoup besoin de nos produits (elle en produit ou s’en procure auprès d’autres partenaires, en qualité souvent meilleure). Aussi, nos prix ne sont pas compétitifs sur le marché turc. D’ailleurs, même sur notre marché local, les produits turcs sont moins chers que nos produits (alimentation et habillement).
Quelles perspectives de l’industrie tunisienne à l’avenir avec la concrétisation du libre-échange qui va toucher plusieurs produits ? L’industriel tunisien doit savoir se restructurer pour améliorer sa compétitivité locale et à l’export. Il gagnera en efficacité s’il modernise ses moyens de production avec l’appui financier abordable des banques. Le programme de mise à niveau doit être plus développé. Une révision de la chaîne des valeurs est, aussi, indispensable. Parmi les stratégies efficaces, dans ce cadre, on peut citer les regroupements professionnels (centrales d’achat de matières, coopératives commerciales, d’export et de logistique, rationalisation et maîtrise de la chaîne des intermédiaires, etc.). Avec ces dispositifs, les perspectives de l’industrie tunisienne pourront être prometteuses. A défaut, c’est la disparition progressive. Propos recueillis par C. G.