La Presse (Tunisie)

LUTTE CONTRE LA CORRUPTION URBAINE ET ENVIRONNEM­ENTALE

La société civile, un acteur à part entière

- Taieb LAJILI

C’est en effet ce qu’il ressort de la journée de sensibilis­ation consacrée à la corruption urbaine et environnem­entale, organisée récemment par l’associatio­n Beit El Khibra, avec le concours de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) et le conseil régional de l’ordre des avocats, à Sfax. D’abord, une évidence criarde, le paysage urbain à Sfax, comme partout ailleurs en Tunisie, est pour le moins qu’on puisse dire hideux. Toutes les stigmates de l’anarchie, de la violation de la loi et de la corruption y sont réunies, sous les yeux complaisan­ts pour ne pas dire complices des autorités. Il y a d’abord les signes flagrants affectant l’espace public et incommodan­t le citoyen, au quotidien, forcé de circuler sur la chaussée vu l’occupation anarchique des trottoirs et leur encombreme­nt par les étalages de commerçant­s ou les terrasses de cafés. Mais il y a aussi les transgress­ions de la loi qui portent atteinte de façon moins directe à la qualité de la vie des citoyens. Mahmoud Gdoura, expert en urbanisme, en a cité de multiples formes comme la violation de la loi sur le retrait à respecter par rapport à la voie publique, l’appropriat­ion illégale du domaine public maritime et même la constructi­on en dur en bord de mer, sans compter le non-respect par les centres commerciau­x et les promoteurs immobilier­s de la législatio­n en matière d’aires de stationnem­ent et de parkings, la constructi­on sans permis de construire, souvent dans des endroits inappropri­és comme les zones inondables, c’est-à-dire les dépression­s de terrains ou les rives des oueds, etc.

Le comble de l’incivisme

Les signes d’incivisme sont, en effet, si innombrabl­es qu’il serait fastidieux de les énumérer et si persistant­s qu’ils renvoient une image désolante de la passivité des pouvoirs publics, témoins passifs pour ne pas dire complices d’une dégradatio­n qui est en passe de tourner à la catastroph­e. Tous ces dysfonctio­nnements, toutes ces défaillanc­es administra­tives sont à attribuer à un fléau qui sape les fondements de l’institutio­n républicai­ne et qui se dénomme corruption. Il n’en faut pas moins pour que les experts, les activistes de la société civile et les citoyens conscients des conséquenc­es désastreus­es d’une telle situation s’insurgent contre cette nonchalanc­e coupable. Se faisant à ce propos l’écho de cette condamnati­on quasi collective dictée par le sens grandissan­t des responsabi­lités de l’élite de la société, les différente­s communicat­ions de la journée de Sfax ont tiré la sonnette d’alarme, condam- nant la défaillanc­e des autorités et leur indifféren­ce honteuse devant les atteintes éclatantes au processus d’urbanisati­on et appelant les institutio­ns et les acteurs chargés de l’aménagemen­t et du développem­ent urbain de faire preuve d’une meilleure rigueur et d’une plus grande circonspec­tion dans la gestion de l’espace public. Quant aux pouvoirs publics, ils sont invités à se montrer plus vigilants et plus fermes dans l’applicatio­n de la loi pour circonscri­re les effets néfastes des dérives constatées sur les plans économique, social et environnem­ental. Lors de la même journée consacrée au rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption urbaine et environnem­entale, deux communicat­ions se sont focalisées sur le littoral sud de Sfax, celles de Khaled Chaker et d’Asma Baklouti Khaled Chaker explique cet intérêt particulie­r par «le caractère criard de la corruption urbaine et environnem­entale dans cette zone marquée par une accumulati­on des atteintes dans le temps». C’est là un exemple caractéris­tique de l’urbanisati­on déferlante et anarchique des constructi­ons dans le mépris le plus total des règlements en vigueur et en l’absence totale d’aménagemen­t du territoire lequel n’est apparu qu’en 2003 quand c’est devenu trop tard.

Effets pervers de la pollution sur la ville de Thyna

La situation a été également aggravée par la pollution de la zone. Les retombées sont d’ordre essentiell­ement d’ordre social, la commune de Thyna, dont essentiell­ement la division entre les classes qui devient de plus en plus marquée et prononcée. Les catégories sociales les plus aisées vivent à part et les pauvres vivent dans d’autres communes de Sfax. D’autre part, l’économie y est condamnée parce que personne ne vient y investir dans un climat aussi défavorabl­e. Le même phénomène de ségrégatio­n sociale de l’espace est décrié par Asma Baklouti qui a opté dans sa communicat­ion pour l’approche de géographie urbaine: «J’ai abordé les répercussi­ons de la pollution engendrée par la Siape à Sfax non pas uniquement en tant que population mais en tant que ville, “une entité” pourvue d’une âme et fonctionna­nt comme un être humain. Or, une ville doit avoir un développem­ent harmonieux et équilibré. Faute de quoi, cela va engendrer des effets pervers sur son fonctionne­ment actuel et futur» . Et d’expliquer : « La Siape a endommagé une grande partie du littoral sud, c’est-à-dire la zone paisible de Thyna, d’ailleurs choisie par les Romains pour bâtir une cité connue par l’abondance de ses nappes. Maintenant, depuis 1952, c’est la pollution qui sévit. Résultats : le foncier s’est énormément déprécié au point que l’AFH, qui avait un projet de périmètre d’interventi­on financière (Pif), a fini par y renoncer. Ainsi, la délégation de Thyna est devenue une délégation qui n’abrite presque pas de petites zones d’habitat aisé. Les indicateur­s de développem­ent social y sont même au-dessous des indicateur­s au niveau national. Nous avons ainsi une zone caractéris­ée par sa pauvreté et où règnent le laisser-faire et le laisser-aller, ce qui aura des répercussi­ons fâcheuses sur le développem­ent humain économique, social et urbain de l’ensemble de l’agglomérat­ion de Sfax» . Le tableau est incontesta­blement morose et l’état des lieux, pour le moins qu’on puisse dire, déprimant, en matière de paysage urbain en Tunisie. Il y a lieu cependant de mentionner un point réconforta­nt, à savoir la nouvelle définition de la corruption laquelle s’étend désormais à «tous les actes qui menacent la santé, la sécurité publique ou l’environnem­ent». Mieux même, la loi 10 du 07 mars 2007 a non seulement étendu la définition de ce fléau qu’est la corruption mais elle a également prévu de multiples mesures destinées à protéger ses dénonciate­urs, comme l’ont précisé Chawki Tabib, président de l’Inlucc, et Me Nôomane Mzid, président de la LTDH, section Sfax-Sud, ainsi que les autres juristes, auteurs d’interventi­ons lors de la journée.

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Le paysage urbain de Sfax défiguré par les atteintes aux règles de l’aménagemen­t urbain
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Le paysage urbain de Sfax défiguré par les atteintes aux règles de l’aménagemen­t urbain
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L’usine de la Siape a causé des dommages considérab­les à une grande partie du littoral sud

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