La glorieuse incertitude du football
La logique de rente de situation pour les meilleurs a créé un déséquilibre compétitif qui pénalise notre sport-roi.
Nous n’allons pas nous étaler de nouveau sur les relations parfois orageuses entre footballeurs et arbitres. Mais nous espérons que les deux grands formats de ce week-end nous feront vibrer, chavirer les coeurs des uns, remplir de fierté les autres, le tout dans un climat sain, propice au bon déroulement des deux chocs de la saison. Ce faisant, estimer les chances des uns et des autres avant le moment de vérité est chose aisée quand on scrute le classement et les cotes fixées. D’autres diront que ce genre de confrontations vous interdit d’émettre tout pronostic. Et pour cause ! Confirmer une tendance qui semble se vérifier depuis quelque temps dans la réalité, c’est renier l’idée de la glorieuse incertitude dans le sport, supposer que chaque match se joue avec des variables indéterminées et que tout le monde a ses chances. C’est un débat continu entre tenants de l’équilibre compétitif dans le football (tout n’est qu’histoire de travail et de motivation et n’importe qui peut gagner une confrontation) et partisans de l’efficience sportive (la compétitivité du plus fort). Mais nous ne sommes pas dans une logique de rente de situation pour les meilleurs, sorte de total déséquilibre compétitif. En dépit d’une certaine bipolarisation de notre football (le couple ESS-EST mène le bal depuis peu), ce processus de compétitivité ne bloque guère les possibilités de surprise. Ceci, sans parler des outsiders que sont l’ESM et l’USBG, appelés certes à faire de la figuration face aux gros bras. Mais capables de se révolter, de se transcender le temps d’un match. Et, surtout, jouer le rôle d’arbitre de la course au titre et des places d’accessit continental. En Tunisie, le Grâal du championnat est l’affaire de quatre clubs qui se relayent, et ce, depuis des dizaines d’années. Il y a parfois des trouble-fêtes qui viennent bousculer la hiérarchie. Mais leurs exploits s’inscrivent rarement dans la durée. Et quitte à nous répéter, la glorieuse incertitude dans le sport, qui garantit l’équité entre les équipes et la chance accordée à n’importe quel club de remporter un titre, est donc de moins en moins tenace à l’ère du football moderne libéralisé. La concurrence tenace, qui sévit chez nous, oblige le quatuor de tête à se structurer davantage pour faire face aux risques sportifs. Il est vrai qu’à terme, le risque pour le spectateur est de voir le suspense tué, avec seulement quelques associations capables de truster les meilleures places. Même les clubs en pâtissent à terme.
Le grand frisson
Regardez en Algérie. Durant les cinq dernières saisons, les champions ont différentes étiquettes et c’est tout bénéfice pour l’équipe nationale qui brasse large pour composer son ossature. Ce ne sont pas toujours les mêmes. Il n’y a pas à proprement parler de Top 4. Des clubs tels que CR Belouizdad, USM Alger, JS Kabylie, ES Sétif, MC Oran, Chlef, Harrach et Constantine ont chacun à son tour réussi à brandir le Grâal du championnat. Chez nous, c’est une histoire de rotation entre les quatre postulants classiques de la compétition. Parmi les troublefêtes d’hier, ceux qui prenaient un malin plaisir à jouer le titre se retrouvaient quelque temps après dans les abîmes de la hiérarchie. Le cas de l’USM, de l’OB, de Gafsa et surtout du COT est assez révélateur. Quant au ST, espérons qu’il aura retenu la leçon une fois son redressement assuré. Bref, l’on se demande à l’avenir quel outsider serait encore susceptible de sortir du lot. Des clubs à petits budgets et à grandes «capabilités» sportives. On peut toujours espérer, vu que notre football s’est dirigé depuis des dizaines d’années vers des cadences dictées par des locomotives ultra-compétitives face à des équipes à l’affût des miettes qu’on leur laisse. D’ailleurs, un calcul simple nous permet de constater que l’efficience de la Ligue 1 est de plus en plus importante. C’est-à-dire que la corrélation entre le budget des clubs et leur classement est extrêmement élevée et augmente d’année en année. En clair, la différence entre le classement économique et le classement sportif nous montre une baisse continue de la variance moyenne. Et c’est même la détermination d’un budget d’avant-saison qui peut donner le tiercé gagnant de nos jours ! Il faut comprendre par là que ce budget prévisionnel est une variable significative de la place sportive finale. Si un club, par exemple, est le premier budget de Ligue 1, il peut finir entre la première et au pire la quatrième place ! À terme, le risque serait de connaître le classement sportif de la saison qui va débuter, dès le mois de juillet, à partir du classement économique! Il est certes valorisant d’avoir des monstres compétitifs, mais la «glorieuse incertitude» doit être protégée pour garantir le spectacle sportif et tout ce qui rend le football magique et populaire !